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Qu'il est impossible d'en trouver d'efficaces tant qu'on ne s'occupera pas de tarir la source de ses maux;

>> Considérant que ces maux dérivent principalement des défiances qu'a inspirées la conduite du chef du pouvoir exécutif dans une guerre entreprise en son nom contre la Constitution et l'indépendance nationale;

» Que ces défiances ont provoqué de diverses parties de l'Empire un vœu tendant à la révocation de l'autorité déléguée à Louis XVI;

» Considérant néanmoins que le corps législatif ne doit ni ne veut agrandir la sienne par aucune usurpation;

« Que, dans les circonstances extraordinaires où l'ont placé des événemens imprévus par toutes les lois, il ne peut concilier ce qu'il doit à sa fidélité inébranlable à la Constitution avec sa ferme résolution de s'ensevelir sous les ruines du temple de la liberté plutôt que de la laisser périr qu'en recourant à la souveraineté du peuple, et prenant en même temps les précautious indispensables pour que ce recours ne soit pas rendu illusoire par des trahisons, décrète ce qui suit :

» Art. 1er. Le peuple français est invité à former une Convention nationale : la commission extraordinaire présentera demain un projet pour indiquer le mode et l'époque de cette Convention.

» 2. Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions jusqu'à ce que la Convention nationale ait prononcé sur les mesures qu'elle croira devoir adopter pour assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l'égalité.

» 3. La commission extraordinaire présentera dans le jour un mode d'organiser un nouveau ministère : les ministres actuellement en activité continueront provisoirement l'exercice de leurs fonctions.

» 4. La commission extraordinaire présentera également dans le jour un projet de décret sur la nomination du gouverneur du prince royal.

»> 5. Le paiement de la liste civile demeurera suspendu jusqu'à la décision de la Convention nationale : la commission extraordinaire présentera dans les vingt-quatre heures un projet de décret sur le traitement à accorder au roi pendant la suspension.

» 6. Les registres de la liste civile seront déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale, après avoir été cotés et paraphés par deux commissaires de l'Assemblée, qui se transporteront à cet effet chez l'intendant de la liste civile.

» 7. Le roi et sa famille demeureront dans l'enceinte du corps législatif jusqu'à ce que le calme soit rétabli dans Paris.

» 8. Le département donnera des ordres pour leur faire préparer dans le jour un logement au Luxembourg (1), où ils seront mis sous la garde des citoyens et de la loi.

(1) Ce palais ne parut pas offrir à la municipalité les moyens de sûreté nécessaires pour la garde du roi et de sa famille, dont l'enlèvement était projeté par les monarchistes : l'Assemblée s'en remit aux

» 9. Tout fonctionnaire public, tout soldat, sous-officier, officier, de tel grade qu'il soit, et général d'armée, qui dans ces jours d'alarmes abandonnera son poste est déclaré infâme et traître à la patrie.

» 10. Le département et la municipalité de Paris feront proclamer sur le champ et solennellement le présent décret.

>> 11. Il sera envoyé par des courriers extraordinaires aux quatrevingt-trois départemens, qui seront tenus de le faire parvenir dans les vingt-quatre heures aux municipalités de leur ressort, pour y être proclamé avec la même solennité, »

Sur la motion de M. François (de Neufchâteau) l'Assemblée avait provisoirement suspendu le départ des courriers : cette mesure ne pouvait être maintenue plus longtemps sans ajouter aux inquiétudes des citoyens des départemens. M. Lamarque, au nom de la commission extraordinaire, proposa la levée de cette suspension, ainsi que le prompt envoi aux départemens des décrets de l'Assemblée et d'une adresse au peuple : l'Assemblée adopta les vues de sa com

mission.

ADRESSE AU PEUPLE FRANÇAIS LE 10 AOUT 1792.

Depuis longtemps de vives inquiétudes agitaient tous les départemens; depuis longtemps le peuple attendaient de ses représentans des mesures qui pussent le sauver : aujourd'hui les citoyens de Paris ont déclaré au corps législatif qu'il était la seule autorité qui eût conservé leur confiance. Les membres de l'Assemblée nationale ont juré individuellement, au nom de la nation, de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à leur poste ils seront fidèles à leur serment.

» L'Assemblée nationale s'occupe de préparer les lois que des circonstances si extraordinaires ont rendues nécessaires. Elle invite les citoyens, au nom de la patrie, de veiller à ce que les droits de l'homme soient respectés, et les propriétés assurées ; elle les invite à se rallier à elle, à l'aider à sauver la chose publique, à ne pas aggraver par de funestes divisions les maux et les dangers de l'Empire.

» L'Assemblée nationale déclare infâme et traître euvers la patrie tout fonctionnaire public, tout officier et soldat qui

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soins des magistrats du peuple, qui préférèrent le Temple au Luxem bourg.

désertera son poste, et n'y attendra pas avec soumission les ordres de la nation, exprimés par ses représentans.

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Il était environ cinq heures lorsque cette adresse fut décrétée. De ce moment l'Assemblée se déclara en permanence, et délibéra presque sans interruption sur les mesures que réclamait la situation du gouvernement. Entre autres elle décréta que les ministres du roi n'avaient pas la confiance de la nation, et que les scellés seraient mis sur leurs papiers; que le ministre de la guerre, personnellement responsable de la présence des Suisses au château, serait arrrêté et mis en état d'accusation ;

Que les nouveaux ministres seraient nommés par elle, mais hors de son sein, et à la pluralité des suffrages, sur une liste de candidats proposés individuellement et à haute voix par chaque membre de l'Assemblée ;

Que les décrets non sanctionnés, ainsi que ceux qui ne pourraient l'être attendu la suspension du roi, auraient néanmoins force de loi, et que ces décrets seraient imprimés et publiés sans la formule royale ;

Que des commissaires, choisis dans son sein, seraient envoyés sur le champ aux armées, afin de faire connaître avec exactitude aux défenseurs de la patrie les changemens survenus dans l'ordre politique;

Que la distinction de citoyen actif et non actif serait supprimée, voulant que tout citoyen qui vivait de son travail, mais non dans l'état de domesticité, pût concourir à la formation de la Convention nationale : elle fixa à vingt-cinq ans l'âge requis pour être élu représentant, à vingt-un ans celui qui donnait le droit d'élire.

L'Assemblée procède dans la soirée même du 10 à la nomination d'un nouveau ministère, conformément au décret rendu quelques heures auparavant. A l'unanimité, aux acclamations générales, elle rappela d'abord à leurs fonctions les trois anciens ministres qui avaient emporté les regrets de la nation (voyez plus haut, page 48); dépouillant ensuite les suffrages qui leur désignaient des collègues, elle remit le pouvoir exécutif aux soins d'un ministère composé ainsi qu'il

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Intérieur, M. Roland; guerre, M. Servan ; -contributions publiques, M. Clavières; —justice, M. Danton; -marine, M. Monge; affaires étrangères, M. Lebrun; secrétaire du conseil, M. Grouvelle.

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Ces différens décrets étaient attendus avec impatience et reçus avec enthousiasme des citoyens se pressaient au bureau des secrétaires pour en multiplier des copies manuscrits, qu'ils faisaient circuler dans tous les quartiers de Paris; les rues, les places retentissaient de ces cris: Le roi est déchu! Le roi et sa famille restent en otage! La liste civile est supprimée ! Nous avons des bons ministres ! Des pétitionnaires se succédaient à la barre; ils apportaient des détails sur l'événement du jour (1); tous demandaient vengeance,

(1) Ces détails se trouvent réunis dans l'extrait suivant du Moni

teur:

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:

On s'accorde à dire que les Suisses faisaient signe de leurs bonnets aux citoyens en criant: vive la nation! La porte du Carrousel fut ouverte. Des Suisses protestaient de leur civisme et serraient la main aux Marseillais : nous-mêmes avons entendu dire à plusieurs fédérés bretons, qui ont dans cette journée perdu beaucoup de leurs camarades oui, monsieur, nous avions encore la bouche sur leurs joues quand tout à coup une grêle de balles et de mitraille a été dirigée sur nous. Les Suisses tiraient par les fenêtres, et même par les soupiraux. Les citoyens désarmés ou mal armés fuient ; les Marseillais et les Brestois se rallient; les Parisiens les secondent; un feu terrible répond à celui qu'on éprouve; la gendarmerie surtout se distingue, et donne des preuves du plus grand courage.

>> On se précipite dans les cours malgré les décharges continuelles des Suisses; on brave le feu roulant du grand escalier; on pénètre jusqu'à la terrasse; enfin les Suisses mettent bas les armes ; mais un grand nombre de Marseillais, de fédérés et de citoyens de Paris avaient perdu la vie. Le désespoir était à son comble; la voix de l'humanité et de la générosité ne pouvait plus être écoutée; on poursuivait les Suisses; on les massacrait partout où l'on pouvait les rencontrer; cependant plusieurs ont été cachés dans les caves: quatre-vingts environ furent conduits à l'Hôtel-de-Ville par la garde nationale; on voulait leur sauver la vie; mais un cri terrible se fit entendre vengeance!' vengeance! Ils ont égorgé nos frères! Il fut impossible de les soustraire à

la mort.

» Le château des Tuileries était à la disposition des citoyens. Déjà

en accusant le pouvoir exécutif d'avoir donné le signal du carnage.

Si plusieurs fois après le combat on vint annoncer à l'Assemblée que le peuple se faisait justice lui-même en augmentant le nombre des victimes, souvent aussi elle eut à applaudir à de grands actes d'humanité. La fureur populaire s'apaisa vers le soir, et dès lors, déposant toute haine, on donna des larmes au malheur une pensée à la liberté, conquise une seconde fois.

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les bâtimens qui séparent les Tuileries de la place du Carrousel sont en feu; l'indignation s'acharne aveuglément sur tous les meubles renversés dans le château; les glaces sont brisées, les boiseries mises en pièces. Parmi cette multitude irritée tous ceux que l'on surprend vouloir s'approprier quelques effets sont conduits à la place Vendôme, où, après avoir subi une espèce de jugement, ils reçoivent la mort sur le champ.

>> Pendant toutes ces scènes terribles les flammes continuent d'embraser les petits bâtimens voisins des Tuileries; la place et la cour sont couvertes de flocons de laine sortis des matelas du château. On voyait en même temps des détachemens armés, accablés de fatigue, retourner dans leurs demeures, tandis que d'autres détachemens venaient les remplacer. Un grand nombre de citoyens emportaient chacun an bout de sa pique ou de sa baïonnette un lambeau sanglant des vêtemens des Suisses.

» Mais ce qui étonnait, au milieu de ce désordre et de ces scènes sanglantes, c'était de voir les citoyens non armés, les femmes, les enfans, les vicillards, que la curiosité seule attirait, se promener avec sécurité comme dans un temps de calme; les femmes surtout n'offraient point sur leur visage les traits de la peur, et rarement l'expression de la sensibilité, tant l'injustice et la perfidic avaient lassé la longue patience du peuple!

» Vers huit heures la lueur des flammes prêtes à s'éteindre, l'approche de la nuit, la vue des corps étendus et presque nus des Suisses morts, le spectacle de ruine et de destruction des appartemens du château; les cris confus de la multitude, tout remplissait l'âme d'horreur et d'une secrète épouvante.

» La courte réflexion que tous ces désastres étaient l'ouvrage des ennemis de la révolution, toujours formant de nouveaux complots, rendaient pénible et déchirant le cri de vive la nation, qui dominait

sur cette scène. »

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