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par leurs commissaires à l'Hôtel-de-Ville. Une députation de ces com ssaires se présente devant l'Assemblée nationale; l'un d'eux porte ainsi la parole:

« Ce sont les nouveaux magistrats du peuple qui se présentent à votre barre. Les circonstances, les dangers de la patrie commandaient notre élection, et notre patriotisme saura nous en rendre dignes. Le peuple, las enfin d'être depuis quatre ans l'éternel jouet des perfidies de la cour et de ses intrigues, a senti qu'il était temps d'arrêter l'Empire sur le bord de l'abîme. Législateurs, il ne nous reste plus qu'à seconder le peuple : nous venons ici en son nom vous demander des mesures pour le salut public. Pétion, Manuel, Danton sont toujours nos collègues ; Santerre est à la tête de la force armée. ( Applaudissemens.)

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Que les traîtres frémissent à leur tour! Ce jour est le triomphe des vertus civiques. Législateurs, le sang du peuple a coulé; des troupes étrangères, qui ne sont restées dans nos murs que par un nouveau délit du pouvoir exécutif, ont tiré sur les citoyens; nos malheureux frères ont laissé des veuves et des orphelins!

» Le peuple, qui nous envoie vers vous, nous a chargés de vous déclarer qu'il n'a cessé de vous croire dignes de sa confiance; mais il nous a chargés en même temps de vous déclarer qu'il ne pouvait reconnaître pour juges des mesures extraordinaires auxquelles la nécessité et la résistance à l'oppression l'ont porté que le peuple français, votre souverain et le nôtre, réuni dans ses Assemblées primaires. (Applaudissemens.)

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Réponse du président (M. Guadet). « Messieurs, fidèles à leur devoir, les représentans du peuple maintiendront jusqu'à la mort la liberté et l'égalité : ils en ont fait le serment, et ce serment, ils ne le violeront jamais. Vous avez voulu vous porter vous-mêmes aux lieux où le péril était le plus grand; ces sentimens vous honorent : l'Assemblée nationale applaudit à votre zèle; elle ne peut voir en vous que de bons citoyens, jaloux de ramener la paix, le calme et l'ordre. Elle vous invite à user de tous les moyens que la confiance du peuple de Paris peut mettre en votre pouvoir pour le rappeler à ses devoirs. Afin que l'Assemblée nationale ne puisse jamais être accusée d'avoir porté

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aucune de ses délibérations dans le trouble et dans la violence, l'Assemblée vous invite à retourner à votre poste, car vous tiendriez peut-être dans ce moment à insulte qu'on vous invitât à la séance. L'Assemblée nationale vous invite en même temps à présenter au peuple les divers décrets qu'elle vient de rendre ce matin : le peuple de Paris y trouvera l'expression des sentimens des représentans du peuple, et l'intérêt qui l'animera toujours pour son bonheur. »

Les commissaires se retirent.

M. Montaut. « Messieurs, déjà deux fois l'Assemblée nationale s'est levée d'un commun accord, et a juré au nom de la patrie liberté et égalité. Si le serment du Jeu de paume honora l'Assemblée constituante, s'il a été fameux dans toute P'Europe, celui que nous avons fait aujourd'hui tous ensemble ne sera pas moins mémorable. Je demande un appel nominal afin que chacun de nous, montant à la tribune, puisse le prêter individuellement. » (Vifs applaudissemens.)

M. Thuriot. « Je demande que le serment soit ainsi conçu : Au nom de la nation, je jure de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à mon poste. »

La proposition de M. Montaut et la rédaction de M. Thuriot sont adoptées; on procède à l'appel nominal, et chaque membre en prononçant ce serment donne le signal des plus vifs applaudissemens.

M. Guadet cesse de présider; M. Gensonné le remplace.

M. Vergniaud. « Messieurs, je viens au nom de la commission extraordinaire vous présenter une mesure bien rigoureuse : je la présenterai cependant sans réflexions; je m'en rapporte à la douleur dont vous êtes pénétrés pour juger combien il importe au salut de la patrie que vous l'adoptiez sur le champ. >>

M. Vergniaud donne lecture d'un projet qui, après avoir subi quelques amendemens, est décrété en ces termes :

<«< L'Assemblée nationale, considérant que les dangers de la patric sont parvenus à leur comble;

>> Que c'est pour le corps législatif le plus saint des devoirs d'employer tous les moyens de la sauver;

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Qu'il est impossible d'en trouver d'efficaces tant qu'on ne s'occupera pas de tarir la source de ses maux;

» Considérant que ces maux dérivent principalement des défiances qu'a inspirées la conduite du chef du pouvoir exécutif dans une guerre entreprise en son nom contre la Constitution et l'indépendance nationale; » Que ces défiances ont provoqué de diverses parties de l'Empire un vœu tendant à la révocation de l'autorité déléguée à Louis XVI;

» Considérant néanmoins que le corps législatif ne doit ni ne veut agrandir la sienne par aucune usurpation;

« Que, dans les circonstances extraordinaires où l'ont placé des événemens imprévus par toutes les lois, il ne peut concilier ce qu'il doit à sa fidélité inébranlable à la Constitution avec sa ferme résolution de s'ensevelir sous les ruines du temple de la liberté plutôt que de la laisser périr qu'en recourant à la souveraineté du peuple, et prenant en même temps les précautious indispensables pour que ce recours ne soit pas rendu illusoire par des trahisons, décrète ce qui suit :

» Art. 1er. Le peuple français est invité à former une Convention nationale : la commission extraordinaire présentera demain un projet pour indiquer le mode et l'époque de cette Convention.

» 2. Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions jusqu'à ce que la Convention nationale ait prononcé sur les mesures qu'elle croira devoir adopter pour assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l'égalité.

» 3. La commission extraordinaire présentera dans le jour un mode d'organiser un nouveau ministère : les ministres actuellement en activité continueront provisoirement l'exercice de leurs fonctions.

>> 4. La commission extraordinaire présentera également dans le jour un projet de décret sur la nomination du gouverneur du prince royal. » 5. Le paiement de la liste civile demeurera suspendu jusqu'à la décision de la Convention nationale : la commission extraordinaire présentera dans les vingt-quatre heures un projet de décret sur le traitement à accorder au roi pendant la suspension.

» 6. Les registres de la liste civile seront déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale, après avoir été cotés et paraphés par deux commissaires de l'Assemblée, qui se transporteront à cet effet chez l'intendant de la liste civile.

>>7. Le roi et sa famille demeureront dans l'enceinte du corps législatif jusqu'à ce que le calme soit rétabli dans Paris.

» 8. Le département donnera des ordres pour leur faire préparer dans le jour un logement au Luxembourg (1), où ils seront mis sous la garde des citoyens et de la loi.

(1) Ce palais ne parut pas offrir à la municipalité les moyens de sûreté nécessaires pour la garde du roi et de sa famille, dont l'enlèvement était projeté par les monarchistes : l'Assemblée s'en remit aux

» 9. Tout fonctionnaire public, tout soldat, sous-officier, officier, de tel grade qu'il soit, et général d'armée, qui dans ces jours d'alarmes abandonnera son poste est déclaré infâme et traître à la patrie.

>> 10. Le département et la municipalité de Paris feront proclamer sur le champ et solennellement le présent décret.

>> 11. Il sera envoyé par des courriers extraordinaires aux quatrevingt-trois départemens, qui seront tenus de le faire parvenir dans les vingt-quatre heures aux municipalités de leur ressort, pour y être proclamé avec la même solennité. »

Sur la motion de M. François (de Neufchâteau) l'Assemblée avait provisoirement suspendu le départ des courriers : cette mesure ne pouvait être maintenue plus longtemps sans ajouter aux inquiétudes des citoyens des départemens. M. Lamarque, au nom de la commission extraordinaire, proposa la levée de cette suspension, ainsi que le prompt envoi aux départemens des décrets de l'Assemblée et d'une adresse au peuple : l'Assemblée adopta les vues de sa commission.

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ADRESSE AU PEUPLE FRANÇAIS LE 10 AOUT 1792.

Depuis longtemps de vives inquiétudes agitaient tous les départemens; depuis longtemps le peuple attendaient de ses représentans des mesures qui pussent le sauver : aujourd'hui les citoyens de Paris ont déclaré au corps législatif qu'il était la seule autorité qui eût conservé leur confiance. Les membres de l'Assemblée nationale ont juré individuellement, au nom de la nation, de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à leur poste ils seront fidèles à leur serment.

» L'Assemblée nationale s'occupe de préparer les lois que des circonstances si extraordinaires ont rendues nécessaires. Elle invite les citoyens, au nom de la patrie, de veiller à ce que les droits de l'homme soient respectés, et les propriétés assurées ; elle les invite à se rallier à elle, à l'aider à sauver la chose publique, à ne pas aggraver par de funestes divisions les maux et les dangers de l'Empire.

» L'Assemblée nationale déclare infâme et traître envers la patrie tout fonctionnaire public, tout officier et soldat qui

soins des magistrats du peuple, qui préférèrent le Temple au Luxembourg.

désertera son poste, et n'y attendra pas avec soumission les ordres de la nation, exprimés par ses représentans.

nence,

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Il était environ cinq heures lorsque cette adresse fut décrétée. De ce moment l'Assemblée se déclara en permaet délibéra presque sans interruption sur les mesures que réclamait la situation du gouvernement. Entre autres elle décréta que les ministres du roi n'avaient pas la confiance de la nation, et que les scellés seraient mis sur leurs papiers; que le ministre de la guerre, personnellement responsable de la présence des Suisses au château, serait arrrêté et mis en état d'accusation;

Que les nouveaux ministres seraient nommés par elle, mais hors de son sein, et à la pluralité des suffrages, sur une liste de candidats proposés individuellement et à haute voix par chaque membre de l'Assemblée ;

Que les décrets non sanctionnés, ainsi que ceux qui ne pourraient l'être attendu la suspension du roi, auraient néanmoins force de loi, et que ces décrets seraient imprimés et publiés sans la formule royale;

Que des commissaires, choisis dans son sein, seraient envoyés sur le champ aux armées, afin de faire connaître avec exactitude aux défenseurs de la patrie les changemens survenus dans l'ordre politique;

Que la distinction de citoyen actif et non actif serait supprimée, voulant que tout citoyen qui vivait de son travail, mais non dans l'état de domesticité, pût concourir à la formation de la Convention nationale : elle fixa à vingt-cinq ans l'âge requis pour être élu représentant, à vingt-un ans celui qui donnait le droit d'élire.

L'Assemblée procède dans la soirée même du 10 à la nomination d'un nouveau ministère, conformément au décret rendu quelques heures auparavant. A l'unanimité, aux acclamations générales, elle rappela d'abord à leurs fonctions les trois anciens ministres qui avaient emporté les regrets de la nation (voyez plus haut, page 48); dépouillant ensuite les suffrages qui leur désignaient des collègues, elle remit le pouvoir exécutif aux soins d'un ministère composé ainsi qu'il

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