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semblée nationale; seulement M. le commandant – général, ayant été mandé vers quatre heures du matin à la commune, il s'y est rendu. Depuis ce temps encore nous n'avons eu aucune relation avec M. le commandant-général : on nous a dit même qu'il avait d'abord couru de grands risques en sortant de la municipalité ; que le peuple demandait sa tête; nous avons appris ensuite qu'il était constitué en état d'arrestation; et quoi qu'il en soit il ne nous est parvenu aucun renseignement sur l'état des choses. Nous avons donc été bornés aux rapports qui nous venaient non officiellement d'une multitude de citoyens empressés d'aller voir ce qui se passait : nous avons appris qu'un ordre particulier d'un officier municipal avait fait dégarnir le pont Neuf des canons qui y étaient établis, et d'une partie de la force publique qui y était pour empêcher la communication des rassemblemens d'au delà et d'en deçà de la rivière. Le département était d'ailleurs informé, et ceci est un fait plus positif, qu'il a été délivré le 4 de ce mois au bureau de la police cinq mille cartouches à balles à des fédérés, sur leur pétition, et sans réquisition d'aucun commandant de bataillon de la garde nationale de Paris.

» Je supplie l'Assemblée avant d'aller plus loin de distinguer dans les faits que je viens de citer celui que j'affirme, et ceux que nous n'avons sus que par des rapports indirects. Nous avons appris encore, il y a une heure environ, que la municipalité se trouvait à peu près déconstituée, qu'il y avait d'autres représentans de la commune, envoyés par un grand nombre de citoyens pour remplacer ceux qui existent maintenant. Il y a aussi environ une heure qu'après avoir été instruits de tous ces détails affligeans nous avons vu se former un grand rassem— blement sur la place du Carrousel : des canons ont été amenés; ils ont été tournés vers les portes du château, on s'est porté à la porte même; on a frappé fortement : alors les deux officiers municipaux se sont présentés; nous les avons accompagnés ; nous avons représenté qu'une si grande multitude ne pourrait avoir accès ni près du roi, ni près de l'Assemblée nationale; que, la loi limitant le nombre des pétitionnaires à vingt, ils étaient invités à nommer des députés, soit pour présenter une pétition au roi, soit pour la présenter à l'Assemblée nationale, et que cette députation aurait sûreté et libre passage. Les per

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sonnes qui étaient venues nous exprimer le vœu du rassemblement se sont retirées avec ces paroles. Alors nous avons cru de notre devoir de parler aux troupes qui se tenaient dans l'intérieur de la cour : je leur ai fait lecture de l'article 15 de la loi du 3 octobre: je leur ai dit : « Messieurs, à Dieu ne plaise que » nous demandions que vous versiez le sang de vos frères, que vous attaquiez vos concitoyens! Vos canons, messieurs, sont là pour votre défense; ils ne sont pas pour l'attaque: mais je requiers au nom de la loi cette défense ; je la requiers au nom >> du droit de votre conservation; je la requiers au nom de la » sûreté que la loi garantit à la maison devant laquelle vous êtes postés. La loi vous autorise, lorsque des violences seront exer»cées contre vous, à les repousser par une forte réaction; la loi » vous autorise, lorsque vous serez au point d'être forcés dans » votre poste, à le maintenir par la force; et, encore une fois, » vous ne serez point assaillans; vous ne serez que sur la défen»sive. » Une partie de la garde nationale, peu nombreuse il est vrai, a bien entendu ce langage; mais les canonniers, à qui nous demandions une bonne contenance, une annonce de forte résistance si des canons homicides venaient à tirer sur eux, pour réponse à la citation de la loi ont déchargé leurs canons devant nous. Alors nous sommes retournés à la porte par où les pétitionnaires s'étaient adressés à nous l'effervescence était grande. Un citoyen du rassemblement est entré, et a dit, ce que nous ne croyons pas, « que l'intention de cette troupe tout >> entière était de rester autour de l'Assemblée nationale jusqu'à » ce qu'elle eût prononcé la déchéance du roi. » Telle a été la déclaration qui nous a été faite et fortement manifestée. (Applaudissemens des tribunes. )

» Dans ces circonstances des rapports multipliés se sont succédés sans interruption, et nous ont appris qu'un très grand nombre de bataillons se réunissaient et marchaient vers le faubourg Saint-Antoine, où nous étions instruits que depuis minuit tous les citoyens sortaient de leurs maisons, se mettaient en armes au milieu des rues, que beaucoup même étaient déjà formés en bataillons : ce rassemblement devait venir à la suite de celui qui est maintenant à la place du Carrousel, et devait en former le renfort. La municipalité n'ayant plus de correspondance avec nous, les rapports qui nous ont été faits nous prouvant

qu'elle était dans un état de désorganisation très prochain s'il n'était effectué, le commandant de la garde nationale n'existant plus pour nous, la suite des ordres par lui donnés étant seulement dans sa tête, nous ne nous sommes plus sentis en état de conserver le dépôt qui nous était confié : ce dépôt était le roi. Ce roi est un homme; cet homme est un père : les enfans nous demandent d'assurer l'existence du père ; la loi nous demande d'assurer l'existence du roi ; la France nous demande l'existence de l'homme. Ne pouvant plus défendre ce dépôt, nous n'avons conçu d'autre idée que de prier le roi de se rendre avec sa famille au sein de l'Assemblée nationale.

» Messieurs, nous avons porté dans les dernières formalités qu'il nous a fallu observer à cet égard les précautions impérieuses que nous imposaient la Constitution, le respect dû à la liberté du corps législatif. Nous avons pensé d'abord que, le roi ayant sa place marquée par la Constitution dans le sein du corps législatif toutes les fois qu'il voulait y venir, son entrée n'éprouverait aucune difficulté; mais que la reine, que les enfans et autres personnes de la famille royale n'ayant de place que celle que leur péril imminent sollicitait, il était nécessaire que l'Assemblée nationale fût prévenue de leur arrivée. Le président du département a été chargé de vous présenter notre pétition commune à cet égard.

» L'Assemblée nationale a été elle-même au devant de ce que nous demandions, puisqu'une députation de plusieurs de ses membres est venue au devant du roi et de son cortége. Arrivés au pied de la terrasse, là finissait le territoire du roi ; là commençait le territoire de l'Assemblée nationale; là aussi j'ai requis la force publique qui faisait le cortége du roi de s'arrêter jusqu'à ce que MM. les députés, membres du corps législatif, qui étaient venus au devant du roi, eussent prononcé s'il serait libre à cette garde nationale de former la haie jusqu'au point où la garde de l'Assemblée nationale elle-même formerait la haie pour entrer dans le sein du corps législatif. MM. les députés ont adhéré à ma demande; ils ont trouvé bon que l'on franchît les trois ou quatre toises de terrein qui font partie de l'enceinte de l'Assemblée nationale.

» Je ne sais si dans le zèle, ou pour mieux dire dans le trouble qui régnait dans les esprits, quelques soldats de la

garde du roi l'ont accompagné plus loin que le seuil extérieur de cette porte je l'ignore; mais lorsque le roi était près d'eutrer j'ai pris la liberté de me présenter à l'Assemblée nationale, et de lui demander la permission de faire vider le passage pour laisser plus de facilité à celui du roi, m'étant borné à cet égard dans les termes d'une simple pétition. Dès que l'Assemblée a manifesté quelque inquiétude j'ai sommé ces gardes de se retifer, et j'ai reconnu, quand le roi est entré dans cette salle, qu'il n'y avait pas sept ou huit hommes de sa garde qui eussent franchi la porte extérieure de l'Assemblée.

» Tel est le compte que nous avons cru devoir donner à l'Assemblée. Je ne sais s'il est ici quelque officier municipal, autre que ceux qui sont de garde au château, qui puisse donner des détails à l'Assemblée sur le fait des canons dont j'ai parlé : je désire que l'Assemblée veuille bien l'entendre. Nous n'avons à ajouter à ce que je viens de dire rien autre chose, sinon que, notre force étant paralysée et inexistante, nous ne pouvons avoir que celle qu'il plaira à l'Assemblée nationale de nous communiquer. Nous sommes prêts à mourir pour l'exécution des ordres qu'elle voudra bien nous donner : nous demandons seulement de rester à portée d'elle, étant inutiles partout ailleurs. »>

M. Roederer avait à peine fini de parler : une sombre rumeur se répand dans la salle; un officier de la garde nationale, un officier municipal arrivent tout émus; ils annonçent que le peuple a déjà forcé plusieurs points, que le château esț menacé, que la vie des citoyens qui le gardent est dans un imminent danger. Sur la motion de M. Lamarque, l'Assemblée charge vingt de ses membres d'aller haranguer le peuple; par un décret que propose M. Lejosne, et qui est adopté au même instant, elle met la sûreté des personnes et des propriétés sous la sauvegarde du peuple de Paris. Il fut impossible aux commissaires de pénétrer jusqu'au lieu du combat.

Le bruit du cauon se fait entendre; l'agitation, mais nou la crainte, s'empare de l'Assemblée et des tribunes : le bruit du canon redouble; il est accompagné de ces cris, proférés par la multitude: Aux armes ! Voilà les Suisses! On égorge

nos frères! L'agitation de l'Assemblée s'accroît : M. Guadet, à qui M. Vergniaud venait de céder le fauteuil, demande du calme au nom de la patrie; il se couvre, et le silence se rétablit.

Le bruit du canon et de la mousqueterie continue; des balles viennent frapper les murs du sanctuaire de la représentation nationale : quelques membres se lèvent; ils vont sortir pour partager les dangers du peuple; mais leurs collègues les rappellent à leur poste; c'est ici, leur disent-ils, c'est ici que nous devons tous mourir ! Chacun reprend sa place au cri de vive la nation! Dans les tribunes : Vive l'Assemblée nationale! Nous ne vous quillons pas; nous périrons avec vous !

Le ministre de la marine (M. Dubouchage) annonce que le roi, de la loge où il est refugié, a fait passer aux Suisses l'ordre de retourner à leurs casernes; qu'il leur est expressément défendu de se servir de leurs armes...

Le malheur était consommé.)

(Ordre tardif!

M. Gossuin pense que dans cette grande circonstance l'Assemblée doit par une proclamation éclairer les citoyens sur leurs véritables intérêts. M. Montaut croit qu'il suffit de leur faire entendre ces mots : vive la liberté ! vive l'égalité ! (Applaudissemens.) M. Chéron veut qu'on ajoute : vive la Constitution! (Silence.) M. Thuriot propose et l'Assemblée décrète la proclamation qui suit ;

<< Au nom de la nation, au nom de la liberté, au nom de l'égalité, tous les citoyens sont invités à respecter les droits de l'homme, la liberté et l'égalité ! »

On entend encore le canon : ici, et pour la seconde fois, tous les représentans se lèvent, et, aux acclamations des tribunes publiques, ils jurent de périr s'il le faut pour la défense de la liberté et de l'égalité !

Le bruit des armes cesse, il est remplacé par les accens du triomphe: Victoire! Victoire ! les Suisses sont vaincus ! (Il était onze heures.)

Des pétitionnaires de plusieurs sections viennent renouveler leur vœu pour la déchéance, et adhérer aux mesures prises

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