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On apprend d'un autre côté que les appartemens et les cours du château, indépendamment des Suisses, qui ne devaient pas être à Paris, et des citoyens de garde au palais des Tuileries, se sont remplis d'un grand nombre d'individus. armés et habillés de différentes manières ; qu'on y a reconnu beaucoup d'anciens gardes du roi licenciés, et que plusieurs sont vêtus de l'uniforme national; que les consignes y sont changées, que certains signes de ralliement y facilitent l'entrée à certains hommes jusque dans le cabinet du roi.

Des citoyens sont admis à la barre; ils témoignent des craintes sur la personne de M. le maire, qu'ils croient être retenu de force au château. Sur l'invitation qui lui en est portée au nom de l'Assemblée, le maire se présente, et calme les inquiétudes conçues à son égard : il expose que les circonstances lui faisaient un devoir de se rendre au château; qu'il y a bien entendu tenir de violens discours contre lui, mais qu'il oublie ce qui lui est personnel pour ne s'occuper que de l'intérêt général. Le ministre de la justice suit de près M. Pétion.

Le ministre (M. Dejoly). « Le roi vient d'être informé qu'il s'était élevé des doutes sur la liberté de M. le maire au château des Tuileries. Le roi a vu avec plaisir M. Pétion et M. Roederer se rendre auprès de sa personne, et le roi me charge de venir vous déclarer que, loin de souffrir qu'il soit porté la moindre atteinte à leur liberté, il a expressément recommandé qu'honneur et respect leur soient rendus dans toute sa maison. Il saisit cette occasion pour rendre un nouvel hommage à la Constitution. (Murmures.)

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Messieurs, le roi est vivement agité par la nouvelle du rassemblement, qui est le résultat de provocations antérieures, rassemblement dont la contenance n'est pas inquiétante, mais qui n'est pas dans l'ordre, puisqu'il n'a pas été autorisé par les autorités constituées. D'après les détails que j'ai reçus il paraît qu'on doit se porter chez le roi et à l'Assemblée nationale. Je la supplie de prévenir les désordres qui pourraient suivre cette démarche. »>

M. François (de Neufchâteau). « Il n'y a aucune mesure

à prendre. Il existe des lois; c'est au pouvoir exécutif à les faire exécuter. (Approuvé.)

Il est cinq heures; la séance est suspendue; elle est rouverte une demi-heure après. M. Tardiveau, ex-président, occupe le fauteuil.

Des officiers municipaux et plusieurs autres citoyens sont successivement entendus; ils confirment les désordres qui règnent dans la capitale. Un coup de canon parti des faubourgs avait donné le signal: le peuple s'était porté à l'arsenal pour s'y munir d'armes et de munitions; de tous les quartiers de Paris il marchait vers les Tuileries; il occupait les ponts; déjà des détachemens, arrivés sur le Carrousel, braquaient leurs pièces sur le château ; dans la nuit une fausse patrouille, armée d'espingoles et de poignards très meurtriers, avait été surprise auprès des Champs-Elysées, et en partie massacrée par le peuple; des têtes étaient portées au bout des piques. Sur quelques observations faites par des officiers municipaux aux commissaires des sections réunis à l'Hôtel-de-Ville, ceuxci avaient répondu que lorsque le peuple se déclarait en état d'insurrection il retirait tous ses pouvoirs : toutefois ils avaient ajouté que le conseil maintenait dans leurs fonctions le maire et le procureur de la commune. Ce dernier (Manuel) était resté au milieu des commissaires. On cherchait Pétion, qui bientôt, pâle et défait, se retrouva au sein de la nouvelle municipalité. (Son agitation provenait de l'espèce de consentement qu'on lui avait arraché Tuileries de repousser la force par la force; il regardait cette mesure comme la source du plus grand malheur cependant le commandant de quartier de la garde nationale, M. Mandat, sur la parole incertaine de Pétion, avait ordonné des dispositions défensives; le peuple en fut instruit, et le massacra sur les marches de l'Hôtel-de-Ville.) Le procureur général syndic, M. Roederer, haranguait les canonniers et les gardes nationaux de service aux Tuileries; il les invitait à la résistance s'ils venaient à être forcés. (Voyez plus bas son rapport.) Quant au roi il passait en revue les Suisses: ceux-ci étaient à leur poste; mais des vingt mille chevaliers ou autres qui devaient défendre la

aux

cour; quelques centaines s'escrimaient dans les appartemens du château. Des partis de gardes nationaux, détachés des bataillons de la Butte-des-Moulins et surtout des Filles-SaintThomas, étaient venus au secours du roi ; mais pouvait-on espérer qu'ils se détermineraient à faire feu sur leurs frères ? Cependant le peuple s'avançait; la résistance ouverte devenait dangereuse : c'est alors que le ministre de l'intérieur (M. Champion-Villeneuve) vint solliciter de l'Assemblée un moyen de protection pour le roi; il pouvait être sept heures du matin.

Le ministre. « L'Assemblée nationale est instruite des mouvemens qui agitent la capitale : ces mouvemens ont déterminé à prendre les mesures que la Constitution indique. Parmi ces mesures nous nous sommes rappelé la députation que l'Assem→ blée envoya le 20 juin chez le roi : nous venons au nom du roi vous solliciter de prendre cette mesure, la seule qui puisse nous faire répondre de la personne du roi. Il y a plusieurs points à garder : nous osons promettre à l'Assemblée qu'une députation assurera la tranquillité non seulement au château, mais dans toute la capitale.

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M. Bignot-Préameneu. « Je convertis en motion la demande du ministre. »

M. Taillefer. « J'étais de la députation du 20 juin : je sais les désagrémens qu'éprouvèrent vos commissaires; ils furent insultés et calomniés. Je n'oublierai jamais que la démarche franche et noble de l'Assemblée n'empêcha pas de voir paraître le lendemain une proclamation perfide et injurieuse pour la nation française. Je demande la question préalable sur la demande du ministre. »

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M. Bonnemère, « Quand l'une des deux autorités est attaquée l'autre doit la soutenir le roi est menacé; l'Assemblée nationale doit donc voler à son secours. S'il arrivait un accident aujourd'hui vous en seriez responsables, pour n'avoir pas envoyé une députation, puisque vous en avez envoyé le 20 juin.

»

M. Boisrot. « Je demande que le roi soit invité à se rendre dans le sein du corps législatif. » (Murmures.)

M. Chéron. « Si vous voulez empêcher la dissolution de

tous les pouvoirs constitués, envoyez une députation auprès

du roi. >>

M. Choudieu. « Mes commettans ne m'ont point envoyé pour aller en députation chez le roi, mais pour mourir à mon poste lorsque la patrie serait en danger. » (Applaudissemens.)

L'Assemblée passe à l'ordre du jour, motivé sur ce que la Constitution laisse au roi la faculté de se rendre quand il le juge convenable au milieu des représentans du peuple. M. Vergniaud prend le fauteuil.

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Un juge de paix, à la barre, annonce que le roi et sa famille, les membres du département et ceux de la municipalité actuellement aux Tuileries vont se présenter à l'Assemblée nationale. Un officier municipal réclame des mesures de sûreté pendant la présence du monarque... « L'Assemblée, considérant qu'elle n'a besoin d'autre garde que de l'amour ́ du peuple, passe à l'ordre du jour. » Conformément à la Constitution, elle nomme une députation de vingt-quatre membres pour aller au-devant du roi. Il est huit heures et demie.

La famille royale et les ministres entrent dans l'Assemblée; un grenadier de la garde nationale porte le prince royal dans ses bras et le dépose sur le bureau des secrétaires. Plusieurs hommes de la garde du roi se précipitent pour le suivre ; ils présentent leurs baïonnettes; ils veulent forcer le passage... Des membres de l'Assemblée les arrêtent, et leur ordonnent avec la plus vive énergie de respecter le temple de la liberté! » (Expressions du procès verbal.) La troupe armée se retire. Le roi se place à côté du président; la reine, madame et madame Elisabeth s'asseoient au banc des ministres.

Le roi. « Je suis venu ici pour éviter un grand crime. Je me croirai toujours en sûreté avec ma famille au milieu des représentans de la nation. J'y passerai la journée. » (Quelques applaudissemens.)

Le président (M. Vergniaud). « L'Assemblée nationale connaît tous ses devoirs; elle regarde comme un des plus chers le maintien de toutes les autorités constituées. Elle demeurera ferme à son poste, et s'il le faut nous saurons tous y mourir. " (Applaudissemens.)

Plusieurs membres rappellent l'article de la Constitution qui porte que « le corps législatif cessera d'être corps délibé rant tant que le roi sera présent. « Après des débats assez longs il est décidé que le roi et sa famille se retireront dans la loge du logotachigraphe. (1)

Les membres du département, ayant à leur tête le procureur général syndic, sont introduits à la barre. M. Roederer porte la parole en ces termes :

« Le département vient rendre compte à l'Assemblée nationale des causes de l'événement d'aujourd'hui.

» A minuit M. le maire, prévenu des rassemblemens qui se formaient dans quelques sections, prévenu que le tocsin sonnait, s'est rendu au château, qui est le point vers lequel tous les rassemblemens paraissaient être dirigés : un devoir commun' avec M. le maire m'appelait pareillement au château : nous nous y sommes rendus à peu près au même moment.

» M. le maire a d'abord rendu compte au roi de l'état des choses; il est ensuite descendu dans les cours, a fait une visite des postes.

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Quelques momens après je suis descendu dans le jardin des Tuileries, où je l'ai trouvé, et nous avons passé ensemble à peu près une demi-heure à nous promener très paisiblement; alors l'Assemblée nationale ayant ordonné à M. le maire de se rendre à sa séance, je suis remonté dans les salles du château, et M. le maire est venu ici. Depuis ce moment la municipalité n'a plus eu au château que deux membres, qui sont aussi présens à la barre de l'Assemblée, savoir, MM. Borie et Leroux. Depuis ce moment là nous n'avons eu, nous membres du département, ni les deux officiers municipaux dont j'ai eu l'honneur de vous parler, aucune nouvelle de ce qui se délibérait à la municipalité, où M. le maire s'est rendu à la sortie de l'As

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(1) Ils y sont restés jusqu'au lendemain à deux heures et demie du matin; alors ils se rendirent dans un appartement attenant au local de l'Assemblée, et dépendant du bâtiment des Feuillans. Le 13, à six heures du soir, l'Assemblée nationale, après les avoir recommandés par un décret à la loyauté du peuple et à la vigilance de ses magistrats, les remit entre les mains du maire de Paris, et ce dernier les conduisit au Temple.

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