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conjuration, si toutefois on peut nommer ainsi l'expression de la majorité, jamais conjuration ne fut moins secrète, et jamais conjurés ne s'abandonnèrent avec plus de confiance au sentiment de leur force. On parlait de l'événement qui se préparait comme d'une chose toute naturelle, de la destruction de la cour comme d'une chose indispensable; on se demandait hautement: Quand nous portons-nous au chateau? Quand renversons-nous tout cela? Altendons, répondaient les hommes calmes; la déchéance sera sans doute prononcée... Dans ces conjonctures les magistrats du peuple, impuissans pour maintenir l'ordre, ne s'attachaient qu'à éviter un plus grand désordre; ils se voyaient en quelque sorte obligés de légaliser la désobéissance aux lois pour protéger le plus longtemps possible la sûreté des personnes. Avant le jour fatal ils étaient parvenus plusieurs fois à retarder l'effet de cet éréthisme insurrectionnel, qui surtout avait failli à éclater le 27, le lendemain de la séance où Brissot avait fait ajourner la question de la déchéance; mais le nouveau délai qu'entraînait l'Instruction proposée par Condorcet donna le signal de l'explosion alors la voix des magistrats, celle même de Pétion, l'idole du peuple, fut repoussée, méconnue ; il fallait que l'insurrection s'accomplît.

Telle était la position du peuple; voyons celle de la cour. Un mois auparavant, à la solennité du 14 juillet, elle avait pu se convaincre du mépris et de la haine que lui portaient les fédérés, interprètes des départemens : le cri de vive le roi avait été si rarement prononcé qu'un étranger qui serait survenu tout à coup au milieu du Champ de Mars aurait pu le prendre pour le cri de la sédition : on avait vu des fédérés s'arrêter devant la famille royale, et, d'un ton affecté, s'écrier: vive la nation, vive la liberté, vive Pétion! Des exclamations grossières avaient été souvent adressées à la reine. La conduite des fédéres, les rixes qui eurent lieu entr'eux et les citoyens encore dévoués à la cour, les dénonciations faites contr'elles tant à la tribune qu'à la barre de l'Assemblée, les demandes réitérées de la déchéance; la disposition hostile des esprits,

tout enfin lui montrait la nécessité ou de se réunir au peuple, ou de repousser ses attaques. Le premier parti exigeait de trop grands sacrifices de la part de Louis XVI; il eût fallu d'abord qu'il s'entourât de ministres connus par leur patriotisme, et qu'ensuite il s'isolât de sa cour, que même il sévit contre elle : une telle conduite, si elle eût été franche, eût peut-être désarmé le peuple, en le faisant renoncer au vœu de la déchéance: mais c'est le second parti que l'on fit prendre à Louis. Des démissions combinées dans plusieurs branches de l'administration, l'inexécution des décrets, l'impunité des coupables, l'encouragement aux rebelles, les coffres de la liste civile ouverts à qui voulait écrire pour calomnier ou pour désunir, à qui voulait en secret s'armer pour combattre le peuple (de là cette multitude de prétendus gentilshommes désignés sous le titre de chevaliers du poignard), un régiment suisse appelé aux Tuileries en violation d'un décret, d'autres soldats suisses qu'on y avait introduits aussi illégalement ; ajoutons à cela quelques centaines de citoyens séduits ou de bonne foi, et la garde nationale de service aux postes du château; tels avaient été les moyens et les préparatifs de la cour.

Maintenant revenons à la séance du 9. Après la question de la déchéance, qui ne l'avait occupée que peu d'instans, l'Assemblée entendit la lecture des dénonciations et des lettres de plusieurs députés qui la veille en sortant de leurs fonctions avaient été insultés, outragés par des citoyens. Le reproche qu'on leur adressait était d'avoir combattu le décret d'accusation proposé contre le général Lafayette : ce projet venait d'être rejeté à la majorité de quatre cent six voix contre deux cent vingt-quatre. (Nous donnons plus loin un exposé de la discussion relative à M. Lafayette.) Quelques personnes ont pensé que cette circonstance avait hâté l'événement du 10: c'est exagérer l'importance ou la haine qui s'attachait alors au général; le véritable signal de l'insurrection fut l'ajournement de la déchéance. Et ici l'on pourrait justifier l'Assemblée législative de l'assertion qui la montre soumise à l'influence des sociétés patriotiques, c'est à dire de la faction jacobite; s'il en eût été ainsi l'accusation du

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général et la déchéance du roi eussent été prononcées sans éprouver de retard.

Vers la fin de cette séance (du 9) MM. Pétion et Roederer vinrent informer l'Assemblée de l'état de la capitale et des mesures de prudence qu'ils avaient prises; cet état était alarmant, et ces mesures, quoique sages, ne pouvaient se proportionner au danger: où prendre des moyens de force quand le peuple les refuse? M. Roederer dénonça un arrêté de la section des Quinze-Vingts portant que si le jeudi 9 l'Assemblée nationale n'avait pas prononcé la déchéance du roi la générale et le tocsin appelleraient à minuit le peuple à l'insurrection: cet arrêté, envoyé aux quarante-sept autres sections, ne fut formellement improuvé que par une seule, celle du roi de Sicile.

Il était six heures lorsque le président leva la séance du 9. SÉANCE PERMANENTE. De la nuit du 9 au 10 août 1792.

Le mouvement qui se fait dans Paris, les bruits sinistres qui se répandent engagent plusieurs députés à revenir dans le lieu des séances de l'Assemblée; ils s'y réunissent sous la présidence de M. Pastoret. Bientôt ils se trouvent en nombre suffisant pour délibérer; la séance est ouverte à onze heures et demie. Un membre fait un rapport au nom du comité des finances, et de ce moment l'Assemblée, délibérant avec calme, n'interrompt l'ordre du jour que pour entendre les récits ou les communications ayant pour objet les événemens qui se passent hors de son sein. M. Pastoret cède le fauteuil à M. Merlet, président. Il est près d'une heure.

On ne tarde pas à apprendre que les quarante-huit sections se sont déclarées en état d'insurrection; que chacune d'elles a nommé un commissaire pour la représenter à l'Hôtel-deVille; que ces commissaires, organisés en conseil général, ont provisoirement suspendu la municipalité et le département, et donné à M. Santerre le commandement de la force publique; que la générale, le tocsin, qui se font entendre dans tous les quartiers de Paris, ont réuni le peuple sous les armes, et qu'enfin tout annonce que les rassemblemens seront très considérables.

On apprend d'un autre côté que les appartemens et les cours du château, indépendamment des Suisses, qui ne devaient pas être à Paris, et des citoyens de garde au palais des Tuileries, se sont remplis d'un grand nombre d'individus armés et habillés de différentes manières ; qu'on y a reconnu beaucoup d'anciens gardes du roi licenciés, et que plusieurs sont vêtus de l'uniforme national; que les consignes y sont changées, que certains signes de ralliement y facilitent l'entrée à certains hommes jusque dans le cabinet du roi.

Des citoyens sont admis à la barre; ils témoignent des craintes sur la personne de M. le maire, qu'ils croient être retenu de force au château. Sur l'invitation qui lui en est portée au nom de l'Assemblée, le maire se présente, et calme les inquiétudes conçues à son égard : il expose que les circonstances lui faisaient un devoir de se rendre au château; qu'il y a bien entendu tenir de violens discours contre lui, mais qu'il oublie ce qui lui est personnel pour ne s'occuper que de l'intérêt général. Le ministre de la justice suit de près M. Pétion.

Le ministre (M. Dejoly). « Le roi vient d'être informé qu'il s'était élevé des doutes sur la liberté de M. le maire au château des Tuileries. Le roi a vu avec plaisir M. Pétion et M. Roederer se rendre auprès de sa personne, et le roi me charge de venir vous déclarer que, loin de souffrir qu'il soit porté la moindre atteinte à leur liberté, il a expressément recommandé qu'honneur et respect leur soient rendus dans toute sa maison. Il saisit cette occasion pour rendre un nouvel hommage à la Constitution. (Murmures.)

Messieurs, le roi est vivement agité par la nouvelle du rassemblement, qui est le résultat de provocations antérieures, rassemblement dont la contenance n'est pas inquiétante, mais qui n'est pas dans l'ordre, puisqu'il n'a pas été autorisé par les autorités constituées. D'après les détails que j'ai reçus il paraît qu'on doit se porter chez le roi et à l'Assemblée nationale. Je la supplie de prévenir les désordres qui pourraient suivre cette démarche. »

M. François (de Neufchâteau). « Il n'y a aucune mesure

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à prendre. Il existe des lois; c'est au pouvoir exécutif à les faire exécuter. (Approuvé.)

Il est cinq heures; la séance est suspendue; elle est rouverte une demi-heure après. M. Tardiveau, ex-président, occupe le fauteuil.

Des officiers municipaux et plusieurs autres citoyens sont successivement entendus; ils confirment les désordres qui règnent dans la capitale. Un coup de canon parti des faubourgs avait donné le signal : le peuple s'était porté à l'arsenal pour s'y munir d'armes et de munitions ; de tous les quartiers de Paris il marchait vers les Tuileries; il occupait les ponts; déjà des détachemens, arrivés sur le Carrousel, braquaient leurs pièces sur le château ; dans la nuit une fausse patrouille, armée d'espingoles et de poignards très meurtriers, avait été surprise auprès des Champs-Elysées, et en partie massacrée par le peuple; des têtes étaient portées au bout des piques. Sur quelques observations faites par des officiers municipaux aux commissaires des sections réunis à l'Hôtel-de-Ville, ceuxci avaient répondu que lorsque le peuple se déclarait en état d'insurrection il retirait tous ses pouvoirs : toutefois ils avaient ajouté que le conseil maintenait dans leurs fonctions le maire et le procureur de la commune. Ce dernier (Manuel) était resté au milieu des commissaires. On cherchait Pétion, qui bientôt, påle et défait, se retrouva au sein de la nouvelle municipalité. (Son agitation provenait de l'espèce de consentement qu'on lui avait arraché aux Tuileries de repousser la force par la force; il regardait cette mesure comme la source du plus grand malheur : cependant le commandant de quartier de la garde nationale, M. Mandat, sur la parole incertaine de Pétion, avait ordonné des dispositions défensives; le peuple en fut instruit, et le massacra sur les marches de l'Hôtel-de-Ville.) Le procureur général syndic, M. Roderer, haranguait les canonniers et les gardes nationaux de service aux Tuileries; il les invitait à la résistance s'ils venaient à être forcés. (Voyez plus bas son rapport.) Quant au roi il passait en revue les Suisses: ceux-ci étaient à leur poste; mais des vingt mille chevaliers ou autres qui devaient défendre la

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