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mellement prononcée, c'est à eux encore d'avertir alors le peuple qu'il faut que sa volonté soit connue pour qu'elle soit exécutée, et que pour qu'elle soit connue il faut qu'il donne à des représentans le pouvoir ou de prononcer en son nom, ou de le consulter sous des formes qui amènent nécessairement une déci– sion.

» Lorsque de grands intérêts peuvent faire désirer de connaître la volonté nationale avec une entière certitude de dissiper tous les nuages, d'étouffer toutes les réclamations, il est aisé de sentir combien il est important qu'elle puisse se manifester dans des assemblées régulièrement convoquées, qui peuvent seules offrir des moyens prompts de recueillir le vœu des citoyens, ou des moyens sûrs de le constater et quand il existe une représentation générale c'est encore à elle qu'il appartient non d'ordonner, mais d'indiquer cette convocation.

» Si cependant une grande portion du peuple en avait marqué la volonté, si les représentans ne l'avaient pas écoutée, alors cette prérogative, qu'ils tiennent non d'un droit réel, mais de la confiance dont ils sont les dépositaires présumés, mais de la loi, de l'utilité commune, cesserait avec cette confiance, avec cette utilité; et le premier vœu spontané du peuple serait encore l'expression légitime de la volonté nationale.

» Ce serait sans doute une loi utile, nécessaire au maintien de la paix, à la conservation des droits du peuple, que celle par laquelle, en s'assujétissant à quelques formes simples, il s'assurerait à tous les momens des moyens prompts d'exercer la souveraineté dans toute son étendue, et avec une liberté plus entière.

» Mais cette loi n'existe pas; et les représentans actuels du peuple français, prêts à déclarer sa volonté lorsqu'elle leur paraîtra clairement manifestée, doivent cependant, au nom de la patrie, au nom du salut public, inviter toutes les sections qui le composent à respecter la loi, qui, tant qu'elle subsiste, reste toujours leur volonté commune, à se contenter d'exprimer leur opinion ou leur désir, et à ne prononcer une détermination formelle que dans le moment où cette volonté, s'exprimant en même temps dans toutes les portions de l'empire, suivant un mode régulier, uniforme s'il est possible, pourra se

former avec plus de maturité, se montrer avec plus de force se reconnaître avec plus de certitude.

» Attentifs à tous les dangers de l'empire, fidèles à leurs sermens, ils sauront également respecter les limites des pouvoirs qu'ils ont reçus du peuple, et tout faire pour remplir le plus sacré des devoirs, celui de sauver la patrie!

Etat de Paris au 9 août.

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Nous avons dit que du moment de la déclartion solennelle du danger de la patrie le peuple et la cour, se regardant comme deux puissances en état d'hostilités, s'étaient préparés à une action décisive, et l'on a vu les causes qui les déterminaient à l'attaque comme à la défense.

Le peuple, outre la force irrésistible qui résulte de sa volonté, avait encore de grands avantages: depuis un mois et conformément aux décrets relatifs à la déclaration de la patrie en danger, les sections étaient restées en permanence, et les gardes nationales sous les armes; dans les assemblées populaires, sur les places publiques, au sein des attroupemens, de véhémens orateurs entretenaient l'irritation des esprits contre la cour. Aux fédérés s'étaient joints les contingens de divers départemens qui se rendaient ou à l'armée ou au camp de Soissons; sur l'appel fait par l'Assemblée nationale Paris avait fourni quinze mille volontaires: ces fédérés et ces volontaires, tous animés du plus ardent patriotisme, tous accessibles au sentiment de la vengeance contre quiconque était soupçonné de trahison, ou seulement de tiédeur dans l'amour de la chose publique, ces fédérés et ces volontaires auraient dû pour la plupart être rendus à leur destination; ils étaient restés à Paris, les uns de leur propre volonté, les autres par l'incurie du pouvoir exécutif, qui n'avait pourvu ni à leur direction ni à leur équipement; tous étaient d'ailleurs retenus dans la capitale par le spectacle qu'elle offrait ; on se préparait à une grande affaire; ils voulaient y prendre part. Les Parisiens et leurs frères des départemens se tenaient unis, embrassés; ils ne formaient plus qu'une population immense, armée, forte surtout de l'unanimité de ses projets et de ses voeux. Jamais

conjuration, si toutefois on peut nommer ainsi l'expression de la majorité, jamais conjuration ne fut moins secrète, et jamais conjurés ne s'abandonnèrent avec plus de confiance au sentiment de leur force. On parlait de l'événement qui se préparait comme d'une chose toute naturelle, de la destruction de la cour comme d'une chose indispensable; on se demandait hautement: Quand nous portons-nous au chateau? Quand renversons-nous tout cela? Attendons, répondaient les hommes calmes; la déchéance sera sans doute prononcée... Dans ces conjonctures les magistrats du peuple, impuissans pour maintenir l'ordre, ne s'attachaient qu'à éviter un plus grand désordre; ils se voyaient en quelque sorte obligés de légaliser la désobéissance aux lois pour protéger le plus longtemps possible la sûreté des personnes. Avant le jour fatal ils étaient parvenus plusieurs fois à retarder l'effet de cet éréthisme insurrectionnel, qui surtout avait failli à éclater le 27, le lendemain de la séance où Brissot avait fait ajourner la question de la déchéance; mais le nouveau délai qu'entraînait l'Instruction proposée par Condorcet donna le signal de l'explosion alors la voix des magistrats, celle même de Pétion, l'idole du peuple, fut repoussée, méconnue ; il fallait que l'insurrection s'accomplît.

Telle était la position du peuple; voyons celle de la cour.

Un mois auparavant, à la solennité du 14 juillet, elle avait pu se convaincre du mépris et de la haine que lui portaient les fédérés, interprètes des départemens: le cri de vive le roi avait été si rarement prononcé qu'un étranger qui serait survenu tout à coup au milieu du Champ de Mars aurait pu le prendre pour le cri de la sédition : on avait vu des fédérés s'arrêter devant la famille royale, et, d'un ton affecté, s'écrier: vive la nation, vive la liberté, vive Pétion! Des exclamations grossières avaient été souvent adressées à la reine. La conduite des fédéres, les rixes qui eurent lieu entr'eux et les citoyens encore dévoués à la cour, les dénonciations faites contr'elles tant à la tribune qu'à la barre de l'Assemblée, les demandes réitérées de la déchéance; la disposition hostile des esprits,

tout enfin lui montrait la nécessité ou de se réunir au peuple, ou de repousser ses attaques. Le premier parti exigeait de trop grands sacrifices de la part de Louis XVI; il eût fallu d'abord qu'il s'entourât de ministres connus par leur patriotisme, et qu'ensuite il s'isolât de sa cour, que même il sévit contre elle : une telle conduite, si elle eût été franche, eût peut-être désarmé le peuple, en le faisant renoncer au vœu de la déchéance: mais c'est le second parti que l'on fit prendre à Louis. Des démissions combinées dans plusieurs branches de l'administration, l'inexécution des décrets, l'impunité des coupables, l'encouragement aux rebelles, les coffres de la liste civile ouverts à qui voulait écrire pour calomnier ou pour désunir, à qui voulait en secret s'armer pour combattre le peuple (de là cette multitude de prétendus gentilshommes désignés sous le titre de chevaliers du poignard), un régiment suisse appelé aux Tuileries en violation d'un décret, d'autres soldats suisses qu'on y avait introduits aussi illégalement; ajoutons à cela quelques centaines de citoyens séduits ou de bonne foi, et la garde nationale de service aux postes du château; tels avaient été les moyens et les préparatifs de la cour.

Maintenant revenons à la séance du 9. Après la question de la déchéance, qui ne l'avait occupée que peu d'instans, l'Assemblée entendit la lecture des dénonciations et des lettres de plusieurs députés qui la veille en sortant de leurs fonctions avaient été insultés, outragés par des citoyens. Le reproche qu'on leur adressait était d'avoir combattu le décret d'accusation proposé contre le général Lafayette : ce projet venait d'être rejeté à la majorité de quatre cent six voix contre deux cent vingt-quatre. (Nous donnons plus loin un exposé de la discussion relative à M. Lafayette.) Quelques personnes ont pensé que cette circonstance avait hâté l'événement du 10: c'est exagérer l'importance ou la haine qui s'attachait alors au général ; le véritable signal de l'insurrection fut l'ajournement de la déchéance. Et ici l'on pourrait justifier l'Assemblée législative de l'assertion qui la montre soumise à l'influence des sociétés patriotiques, c'est à dire de la faction jacobite ; s'il en eût été ainsi l'accusation du

général et la déchéance du roi eussent été prononcées sans éprouver de retard.

Vers la fin de cette séance (du 9) MM. Pétion et Roederer vinrent informer l'Assemblée de l'état de la capitale et des mesures de prudence qu'ils avaient prises; cet état était alarmant, et ces mesures, quoique sages, ne pouvaient se proportionner au danger: où prendre des moyens de force quand le peuple les refuse? M. Roederer dénonça un arrêté de la section des Quinze-Vingts portant que si le jeudi 9 l'Assemblée nationale n'avait pas prononcé la déchéance du roi la générale et le tocsin appelleraient à minuit le peuple à l'insurrection: cet arrêté, envoyé aux quarante-sept autres sections, ne fut formellement improuvé que par une seule, celle du roi de Sicile.

Il était six heures lorsque le président leva la séance du 9. SÉANCE PERMANENTE. De la nuit du 9 au 10 août 1792.

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Le mouvement qui se fait dans Paris, les bruits sinistres qui se répandent engagent plusieurs députés à revenir dans le lieu des séances de l'Assemblée; ils s'y réunissent sous la présidence de M. Pastoret. Bientôt ils se trouvent en nombre suffisant pour délibérer; la séance est ouverte à onze heures et demie. Un membre fait un rapport au nom du comité des finances, et de ce moment l'Assemblée, délibérant avec calme, n'interrompt l'ordre du jour que pour entendre les récits ou les communications ayant pour objet les événemens qui se passent hors de son sein. M. Pastoret cède le fauteuil à M. Merlet, président. Il est près d'une heure.

On ne tarde pas à apprendre que les quarante-huit sections se sont déclarées en état d'insurrection; que chacune d'elles a nommé un commissaire pour la représenter à l'Hôtel-deVille; que ces commissaires, organisés en conseil général, ont provisoirement suspendu la municipalité et le département, et donné à M. Santerre le commandement de la force publique; que la générale, le tocsin, qui se font entendre dans tous les quartiers de Paris, ont réuni le peuple sous les armes, et qu'enfin tout annonce que les rassemblemens seront très considérables.

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