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portions dans le nord; c'est le nord qui venait les prendre chez nous : comme si nous n'avions pas de bois pour construire les navires, point de constructeurs pour les faire, point de marins les conduire! M. de Calonne voulut encourager cette branche de commerce; mais il adopta un système dont il me serait aisé de démontrer les vices, et qui ne fut d'aucun effet; il était dans la destinée de ce ministre de gâter même le bien qu'il voulait faire, et cet accident au surplus lui est arrivé rarement. Il est très praticable d'adopter un meilleur système d'encouragement, duquel il résulterait un nouveau travail pour la marine et un accroissement dans notre commerce.

» J'ai entendu dans cette capitale une voix barbare s'écrier : A quoi servent donc les colonies?..... Toujours l'ignorance fut criarde et présomptueuse; toujours on la vit parler avant de penser, se jeter à travers toutes les discussions, cacher sous un déluge de mots et sous le faux coloris de passions factices la pénurie des idées et l'absence du sentiment; toujours on la vit se placer audacieusement au-dessus du génie, qui se tait et la méprise, et chercher dans les acclamations d'une multitude prévenue à se consoler des sifflets des gens instruits. Lorsque dans Athènes ces ignorans rhéteurs eurent pris la place des Phocion et des Démosthènes, et qu'eux seuls purent s'y faire entendre, la république fut bientôt perdue. Je demanderai, lorsqu'ils parlent avec ce mépris du commerce et des colonies, s'ils ont sur cette matière médité avec Montesquieu, analisé avec Locke, recherché avec Smith, calculé avec Arnoult. Oh nou! ils n'ont pas pris toutes ces peines: le savoir n'est-il pas une chose inutile; la nature n'a-t-elle pas donné à tous les hommes la même somme d'idées, et n'est-ce pas gâter son ouvrage que de vouloir étouffer l'esprit sous le poids de la

science!.... N'ont-ils pas tout vu, tout su, tout appris, tout

médité sans prendre'la peine de rien voir, de rien apprendre, de rien méditer!

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Après avoir indiqué les moyens généraux de pacifier le royaume en occupant les agriculteurs, les ouvriers et les marins, votre comité va se livrer à l'examen de plusieurs autres causes de troubles et à la recherche de plusieurs autres remèdes.

-Lorsque la justice dort le crime veille : de là chez tous les

peuples la nécessité des lois pénales, et l'établissement des juges pour les appliquer. On sait ce que c'était que notre ancienne procédure criminelle et la composition de nos anciens parlemens, de nos bailliages, de nos présidiaux; et j'en parle ici non pour réveiller des haines et des vengeances, qu'il est toujours plus glorieux d'étouffer que d'exercer, mais seulement pour rappeler que la loi qui a créé les tribunaux d'un peuple libre a exigé de la part de ceux qu'on voudrait y appeler qu'ils eussent servi un certain temps dans les tribunaux ténébreux du despotisme. La nécessité de laisser subsister les anciennes lois civiles a pu dicter cette disposition; mais comment n'a-t-on pas vu que toutes les habitudes et les connaissances de l'ancien régime judiciaire étaient précisément ce qu'il y avait de plus funeste et de plus contraire au progrès du nouveau. Aussi avons-nous vu, tant que l'exercice de la justice criminelle a été confiée aux tribunaux de district, des crimes et des brigandages se commettre, et la justiće ne se faire nulle part ni sur personne. J'oserai dire que rien peut-être n'a plus désorganisé le royaume que cette paralysie d'un si grand nombre de tribunaux; car si le peuple est suffisamment retenu par les mœurs et lestumières, les brigands ne peuvent l'être que par l'échafaud. » Les nouveaux tribunaux de département ont pris leur place pour la justice criminelle, et comme les présidens et les accusaturs publics ont été nommés à une époque où le peuple connaissait ses amis et ses ennemis, comme on a nommé des commissaires du roi très différens de ceux qui furent nommés par le ci-devant archevêque de Bordeaux auprès des tribunaux de district, la justice criminelle commence à se rendre avec exactitude : mais il reste cependant entre les mains des tribunaux de district la justice civile et une partie de la justice criminelle, puisqu'il existe dans les tribunaux de département trois juges pris alternativement dans les tribunaux de district. Peut-être jugerez-vous à propos soit d'augmenter la compétence des juges de paix et leurs émolumens, qui sont beaucoup trop faibles, soit de réduire le nombre des tribunaux de district, qui est beaucoup trop considérable, soit enfin de soumettre ces derniers à une nouvelle élection jusqu'à l'époque de laquelle ceux qui voudront conserver la confiance du peuple redouble

ront d'activité et se montreront plus fidèles aux devoirs du patriotisme. Un très grand nombre de juges marche sur cette ligne, et votre comité est très éloigné de vouloir les confondre avec ceux qui se sont fait connaître par des sentimens et une conduite opposés; mais tous ces changemens exigent de grandes méditations et une discussion profonde, qui est particulièrement du ressort de votre comité de législation; et comme les élections sont encore éloignées de près d'une année, votre comité a pensé que vous deviez charger celui de législation de s'en occuper, et de vous présenter un travail : votre comité se bornera ici à vous proposer quelques mesures instantes que les circonstances sollicitent.

>> Voici comment les attroupemens se forment dans les campagnes, et il faut les suivre dans leurs différentes crises pour appliquer le remède propre à chacune d'elles. Des brigands arrivent dans un village, et ils se prétendent patriotes; ils vont au cabaret, et ils disent aux agriculteurs : --Ces grains que vous voyez passer on va les porter à l'étranger; il faut les arrêter, et vous en emparer. Les domaines de vos émigrés leurs revenus servent à payer vos plus cruels ennemis ; emparezvous de tout ce que vous pourrez en prendre, et brûlez ce que vous ne pourrez emporter. Les droits féodaux que vous avez payés sont tous abolis par les décrets : les seigneurs qui les ont reçus sont des traîtres, et les fermiers qui les ont perçus des coquins; forcez-les à restituer. Tous ces gens riches sont des accapareurs de grains, de denrées, de marchandises de toute espèce; ils en font augmenter le prix pour s'enrichir et vous ruiner vos municipalités sont obligées de taxer toutes vos marchandises; si vos magistrats ne veulent pas faire justice, agissez, et faites-la vous-mêmes. Ils lisent à ces trop crédules citoyens de faux décrets; en même temps les prêtres dissidens soufflent le feu; et quand le peuple est échauffé on se rend à l'église, on sonne le tocsin, on prend les armes, on force les municipalités à se mettre à la tête des attroupés; on arrête les grains et on se les partage; on se rend chez les fermiers des ci-devant seigneurs; on les force à restituer; on dévaste les châteaux; on s'en approprie les meubles et les dépouilles; on fait irruption dans les magasins; on taxe toutes les marchan

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dises; et dans tous ces désordres les brigands ne s'oublient pas. Les municipalités sont là, les juges de paix sont là ; ils somment les gardes nationales villageoises d'obéir; prévenues ou trompées par des fausses suggestions, elles refusent le service; les crimes se commettent, on brûle, on pille, on dévaste : si l'on parvient à arrêter les chefs des séditieux, traduits devant l'officier de police ou le directeur du juré, il les relâche volontairement, ou bien il est forcé de le faire. Lorque le juge de paix ou le juré d'accusation veut juger ces crimes, les mêmes mouvemens qui ont produit l'émeute les entourent encore; on les menace dans leurs propriétés lorsqu'on ne peut les atteindre dans leurs personnes; et c'est ainsi que le crime reste impuni et qu'il marche la tête levée.

» Voilà l'historique de tous les troubles qui ont agité douze ou quinze districts, et quoique les décrets sur les passeports, les achats de grains à l'étranger et les saisies des biens des émigrés les aient beaucoup ralentis, il importe de prévenir ceux qui sous d'autres prétextes pourraient naître encore, et empêcher surtout que les brigands ne dirigent ces funestes insurrections de la classe indigente contre la classe des propriétaires: notre devoir est surtout de veiller à la conservation des propriétés, condition première de l'établissement de toute société, base de la Déclaration des Droits, qu'on devrait retracer encore dans une Déclaration des Devoirs, qui nous manque.

» Une grande mesure s'est présentée à votre comité ; c'est l'état de réquisition permanente des gardes nationales, et la peine de la suspension des droits de citoyen contre ceux qui n'obéiront pas au premier signal de la tranquillité troublée, ou qui ne justifieraient pas l'avoir ignoré; cette mesure lui a paru juste dans le droit, parce que l'une des premières conditions que se sont imposées les hommes en s'associant c'est de se secourir et de s'entr'aider dans les dangers; et ceux qui refusent de donner aide à leur co-associé n'ont aucun droit à la garantie publique, à laquelle ils ne veulent pas participer, et ils doivent être effacés de l'honorable liste des citoyens. Quant à ceux qui, loin d'obéir, prennent au contraire une part active dans les émeutes, la loi est facile; il ne s'agit que de décréter des mesures qui en assurent l'exécution.

» Reprenant dès le principe les séditions des campagnes, votre comité vous proposera :

» 1o. De faire poursuivre les officiers chargés concurremment de la police lorsque l'arrivée des brigands leur aura été dénoncée, et qu'en vertu de la loi des passeports ils ne les auront pas fait arrêter,

» 2o. De décréter une disposition générale contre ceux qui, sonnant le tocsin ou battant la générale sans la réquisition des officiers civils, auront donné le signal du désordre;

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» 3°. D'ordonner aux directoires de district, lorsque les désordres se sont fait sentir dans tout un canton et que le juge de paix et les municipalités ne sont pas libres, d'envoyer des juges de paix et des gardes nationales de leur résidencepour délivrer les mandats d'arrêt ou d'amener, et les faire exécuter'; 4°. D'ordonner aux directoires de département, lorsque la paix est troublée dans un chef-lieu de district, d'y envoyer le juge de paix et les gardes nationales de leur chef-lieu, et d'attribuer au juré d'accusation dudit chef-lieu la connaissance des délits qui se sont passés dans ce district en insurrection, où il est possible et même probable que le juré n'est pas libre ; 5°. D'autoriser les directoires de département de prendre un arrêt par lequel ils déclareront que telle commune est en état d'insurrection, que la force publique est désobéissante, et les magistrats non libres; et en conséquence d'y envoyer des forces et d'y faire arborer le drapeau rouge jusqu'à ce que le règne de la loi et la tranquillité y soient rétablis :

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» 6o. De donner une garde habituelle de trois hommes au juge de paix dans la résidence duquel il n'y a pas de gendar merie pour lui prêter main forte et exécuter ses mandats, et d'autoriser les corps administratifs à allouer des émolumens aux juges de paix et à leurs greffiers, qui sont trop faiblement salariés à raison des courses et travaux auxquels l'instruction des procès criminels les oblige;

»70. De faire poursuivre les officiers de police et directeurs de juré qui auront relâché le prévenu lorsque la nature des délits exigent la détention.

» Nous espérons que ces diverses mesures, réunies à un grand nombre d'autres que votre comité vous proposera, et à celles

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