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peuple qui va les combattre, d'exister au milieu de ces combats où la liberté, luttant contre le despotime, est appelée à s'élever aux plus hautes destinées, où elle va faire éclore rapi→ dement et ces talens et ces vertus que j'enviais aux beaux temps de la Grèce et de Rome! Je vois dans cette guerre la régénération morale de la nation; elle seule peut braver les vieilles habitudes de la servitude, qui sous le régime de la paix nous y auraient bientôt fait retomber.

» Mais, encore une fois, point de succès dans cette guerre si nous ne la faisons sous les drapeaux de la Constitution.

>> Gardons-nous enfin de nous laisser entraîner à une ruse que le pouvoir exécutif a déjà employée avec succès : il sait qu'on ne peut corrompre de vrais patriotes, mais qu'on peut les diviser en excitant entre eux des jalousies et des soup

çons.

» Résistons à ces manoeuvres, messieurs, et soyons lents à soupçonner surtout les patriotes qui n'ont jamais dévié des principes. La plus grande responsabilité pèse maintenant sur nos têtes; le sort de l'empire est dans nos mains: est-il étonnant que sur des questions aussi délicates, et où les conséquences d'un avis peuvent être si funestes, il y ait diversité d'opinion entre des patriotes, dont les uns se livrent trop au sentiment, et les autres ne veulent que la réflexion pour guide? Veuillons tous sincèrement la liberté, et nous serons bientôt d'accord, si, écartant la passion et les défiances, nous examinons avec soin tous les raisonnemens de part et d'autre.

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Mais, dit-on, pendant cet examen le pouvoir exécutif continuera ses perfidies... Oui, mais la nation s'éclairera de plus en plus, et le moment viendra où il ne restera plus de doute, où en le jugeant nous ne serons que les vengeurs et les organes de la nation; et alors, et seulement alors, la mesure n'est pas dangereuse.

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» Mais, ajoute-t-on, les troupes ennemies avancent, les dangers déviennent de jour en jour plus pressans... Soit; mais, ce qui serait bien plus dangereux, c'est que la nation n'eût plus d'armées, c'est que la moitié de la nation se joignît à nos ennemis! Or tel serait notre sort si l'on condamnait le roi avant que la nation fût convaincue de sa trahison, avant qu'un mûr et

sévère examen l'eût démontrée, avant que l'Assemblée nationale eût épuisé tous les moyens. .

» Je demande ensuite 1o que votre commission extraordinaire soit tenue d'examiner les actes qui peuvent entraîner la déchéance du trône, si ces actes ont été commis par le roi, et de vous présenter un rapport incessamment.

» 2°. Qu'il soit fait une adresse au peuple français pour le prémunir contre les mesures qui pourraient ruiner la cause de la liberté.

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J'appuie donc d'abord l'adresse au roi, comme mesure préparatoire et nécessaire, soit pour la nation, soit pour vous, soit pour le roi. »

L'Assemblée ordonna l'impression de ce discours et renvoya à la commission extraordinaire les propositions qu'il contenait, ainsi que le projet de message au roi présenté par M. Guadet.

Brissot avait obtenu dans le sein de l'Assemblée de nombreux applaudissemens ; c'était de la part des uns un dernier hommage rendu aux formes constitutionnelles, et de la part des autres un sacrifice à la prudence : les tribunes publiques, à qui l'on avait laissé prendre l'habitude de manifester deur opinion, avaient improuvé avec bruit celle de l'orateur: Paris, et bientôt une très grande partie de la France, n'apercurent qu'une source de dangereuses lenteurs dans la décision de l'Assemblée; ils exprimèrent de nouveau, et d'une manière plus pressante, leur vou pour la déchéance.

Sans doute le législateur que la nation a revêtu de sa confiance doit être libre dans l'exercice des pouvoirs, qu'il a reçus; ce que dans sa conscience il croit être le plus utile à ses commettans est tout ce qu'il soit permis d'exiger de lui; ceci est incontestable : mais, ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'en tout état de choses la nation a le droit imprescriptible de casser les décrets de ses mandataires; terrible extrémité, que ces derniers doivent toujours s'attacher à prévenir! Ainsi, dans un moment de crise, lorsque tout porte les esprits à dépasser les limites ordinaires, lorsque le peuple ne laisse plus à choisir qu'entre l'insurrection et

la soumission à ses volontés, n'est-il pas de la sagesse du législateur de s'emparer du vœu national, de l'accueillir, de le diriger? Or le vœu national était la déchéance du roi, vœu clairement émis lors du retour de Varennes, mais suspendu, repoussé à cette époque par l'ascendant du pouvoir constituant; depuis les circonstances l'avaient non seulement nourri, fortifié, mais ne se trouvait – il pas encore appuyé de l'autorité même des délégués de la nation? Brissot, qui le 26 combat l'empressement de quelques-uns de ses collègues à décréter la déchéance, Brissot, dans son discours du 9 (voyez plus haut, page 189), n'avait-il pas prouvé que la Constitution donnait à l'Assemblée le droit et les moyens de la prononcer? La première résistance à ce vœu provoqua l'affaire du Champ de Mars (voyez tomes 3 et 4); la seconde fit le 10 août.

L'ajournement de la déchéance fut donc le signal du désordre : le peuple ne reconnaissait plus de pouvoirs constitués, parce qu'il était prêt à ressaisir l'exercice de ses droits.

Dans ces conjoncturès les ennemis de la liberté répandaient avec profusion au sein de la France des écrits incendiaires, des déclarations menaçantes qui alarmaient les âmes faibles, encourageaient les royalistes et les prêtres séditieux, mais qui en général n'excitaient que la pitié sans refroidir l'indignation: en tête de ces pièces il faut placer le manifeste du duc de Brunswick, extravagance diplomatique que le rang et le caractère de son auteur, ou plutôt de son signataire (1), rendent cependant remarquable; le voici :

DÉCLARATION de S. A. S. le duc régnant de BrunswickLunebourg, commandant les armées combinées de LL. MM. l'empereur et le roi de Prusse, adressée aux habitans de la France.

« Leurs majestés l'empereur et le roi de Prusse m'ayant confié le commandement des armées combinées qu'ils ont fait rassembler sur les frontières de France, j'ai voulu annoncer

(1) Cette pièce a été rédigée par un émigré français.

>>

aux habitans de ce royaume les motifs qui ont déterminé les mesures des deux souverains, et les intentions qui les guident. Après avoir supprimé arbitrairement les droits et possessions des princes allemands en Alsace et en Lorraine, troublé et renversé dans l'intérieur le bon ordre et le gouvernement légitime, exercé contre la personne sacrée du roi et contre son auguste famille des attentats et des violences qui sont encore perpétués et renouvelés de jour en jour, ceux qui ont usurpé les rênes de l'administration ont enfin comblé la mesure en faisant déclarer une guerre injuste à sa majesté l'empereur, et en attaquant ses provinces situées en Pays-Bas : quelques-unes des possessions de l'empire germanique ont été enveloppées dans cette oppression, et plusieurs autres n'ont échappé au même danger qu'en cédant aux menaces impérieuses du parti dominant et de ses émissaires.

» Sa majesté le roi de Prusse, uni avec sa majesté impériale par les liens d'une alliance étroite et défensive, et membre prépondérant lui-même du corps germanique, n'a donc pu se dispenser de marcher au secours de son allié et de ses co-états; et c'est sous ce double rapport qu'il prend la défense de ce monarque et de l'Allemagne.

» A ces grands intérêts se joint encore un but également important, et qui tient à cœur aux deux souverains; c'est de faire cesser l'anarchie dans l'intérieur de la France, d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la sûreté et la liberté dont il est privé, et de le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui est

due.

» Convaincus que la partie saine de la nation française abhorre les excès d'une faction qui la subjugue, et que le plus grand nombre des habitans attend avec impatience le moment du secours pour se déclarer ouvertement contre les entreprises odieuses de leurs oppresseurs, sa majesté l'empereur et sa majesté le roi de Prusse les appellent et les invitent à retourner sans délai aux voies de la raison et de la justice, de l'ordre et de la paix. C'est dans ces vues que moi, soussigaé, général commandant en chef les deux armées, déclare :

» 1°. Qu'entraînées dans la guerre présente par des circonstances irrésistibles, les deux cours alliées ne se proposent d'autre but que le bonheur de la France, sans prétendre s'enrichir par des conquêtes.

» 2°. Qu'elles n'entendent point s'immiscer dans le gouvernement intérieur de la France, mais qu'elles veulent uniquement délivrer le roi, la reine et la famille royale de leur captivité, et procurer à sa majesté très chrétienne la sûreté néces

saire pour qu'elle puisse faire sans danger, sans obstacle, les convocations qu'elle jugera à propos, et travailler à assurer le bonheur de ses sujets, suivant ses promesses et autant qu'il dépendra d'elle.

»

30. Que les armées combinées protégeront les villes, bourgs et villages, et les personnes et les biens de tous ceux qui se soumettront au roi, et qu'elles concourront au rétablissement instantané de l'ordre et de la police dans toute la France.

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4°. Que les gardes nationales sont sommées de veiller provisoirement à la tranquillité des villes et des campagnes, à la sûreté des personnes et des biens de tous les Français, jusqu'à l'arrivée des troupes de leurs majestés impériale et royale, ou jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, sous peine d'en être personnellement responsables; qu'au contraire ceux des gardes nationaux qui auront combattu contre les troupes des deux cours alliées, et qui seront pris les armes à la main, seront traités en ennemis, et punis comme rebelles à leur roi et comme perturbateurs du repos public.

» 5°. Que les généraux, officiers, bas-officiers et soldats des troupes de ligne françaises sont également sommés de revenir à leur ancienne fidélité, et de se soumettre sur le champ au roi leur légitime souverain.

» 6o. Que les membres des départemens, des districts et des municipalités seront également responsables, sur leur tête et sur leurs biens, de tous les délits, incendies, assassinats, pillages et voies de fait qu'ils laisseront commettre ou qu'ils ne se seront pas notoirement efforcés d'empêcher dans leur territoire; qu'ils seront également tenus de continuer provisoirement leurs fonctions jusqu'à ce que sa majesté très chrétienne, remise en pleine liberté, y ait pourvu ultérieurement, ou qu'il en ait été autrement ordonné en son nom dans l'intervalle.

7°. Que les habitans des villes, bourgs et villages qui oseraient se défendre contre les troupes de leurs majestés impériale et royale, et tirer sur elles soit en rase campagne, soit par les fenêtres, portes et ouvertures de leurs maisons, seront punis sur le champ suivant la rigueur du droit de la guerre, et leurs maisons démolies ou brûlées. Tous les habitans au contraire desdites villes, bourgs et villages qui s'empresseront de se soumettre à leur roi, en ouvrant leurs portes aux troupes de leurs majestés, seront à l'instant sous leur sauve-garde immédiate; leurs personnes, leurs biens, leurs effets seront sous la protection des lois, et il sera pourvu à la sûreté générale de tous et chacun d'eux.

>>

8°. La ville de Paris et tous ses habitans sans distinction seront tenus de sé soumettre sur le champ et sans délai au roi,

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