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dénonciations, de ne pas croire à tant de faits qui déposent que le roi n'est pas un ami bien ardent de la révolution, et que, soit à dessein, soit inertie, il a négligé de prendre et d'ordonner une foule de mesures qui auraient prévenu la guerre étrangère et civile. Cette disposition secrète du roi paraît aux yeux de beaucoup de citoyens la cause la plus féconde de tous nos malheurs, de tous nos périls; et en conséquence, emportés par un patriotisme ardent, les uns proposent de décréter sur le champ la déchéance, les autres la suspension; d'autres veulent qu'on nomme des dictateurs ; d'autres veulent la convocation immédiate des assemblées primaires.

» Je sais, messieurs, que, s'il était bien prouvé que le roi fût de concert avec les ennemis du dehors, ne pas le juger, ne pas le condamner serait un crime de lèse-Constitution, un crime de haute trahison envers le peuple.

» Mais je sais aussi que dans ce cas ce qu'un roi contrerévolutionnaire pourrait désirer pour mieux réussir serait une démarche précipitée de l'Assemblée, serait une mesure violente qui n'aurait pas, même avant son énonciation, l'assentiment général de la nation.

» Et pourquoi ? Parce que si le roi était condamné dans la chaleur, avec légèreté ou précipitation, la majorité de la nation, qui veut justice pour tous, qui la veut précédée d'un examen sévère, cette majorité, dis-je, pourrait vous blâmer, et quoiqu'elle n'acquittât pas entièrement le roi, elle pourrait cependant ne pas vous soutenir dans vos mesures ultérieures.

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De là résulteraient bien des avantages pour le roi et contre vous : 1o avilissement du pouvoir législatif; 2o facilité pour le roi de se former un parti et de lever contre vous l'étendard de guerre ; 3o la guerre civile serait un résultat nécessaire de ces dispositions diverses. Eh! que pourrait désirer de mieux un roi contre-révolutionnaire, sinon la guerre civile?

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Je suppose un roi dans de pareils sentimens, jeté dans les circonstances où nous sommes; je le suppose arrêté dans ses projets ténébreux par une Constitution qu'il a jurée, et par la crainte de n'entraîner à sa suite qu'une très faible minorité; je le suppose travaillant, intrigant, corrompant pour attirer dans son parti la majorité des citoyens paisibles qui veulent sincère

;

ment la Constitution, mais qui redoutent également et les intrigans et les patriotes trop ardens, et qui décideront du sort de la chose publique en se jetant dans l'un ou dans l'autre parti ; je le suppose prêt à fuir et à se mettre à la tête d'une armée accompagné d'un grand nombre de députés qu'il aurait séduits, cherchant un motif pour pallier cette fuite; je suppose encore les puissances qui protégeaient les desseins sinistres de ce roi arrêtées dans leurs progrès par la haine des peuples, qui leur reprochent d'attaquer une Constitution jurée par le prince même qu'ils feignent de défendre, arrêtés encore par le refus de diverses puissances d'accéder à leur coalition, puissances qui se fondent sur ce que la Constitution française est acceptée, exécutée et respectée... Que pourraient désirer un roi contre-révolutionnaire et des puissances coalisées dans de pareilles circonstances? Une seule chose ; la violation ou même l'apparence de la violation de cette constitution.

» Car ne voyez-vous pas que cette violation entraînerait en faveur de ce roi cette majorité intermédiaire entre les deux partis extrêmes, majorité qui s'attache au rocher de la Constitution comme au seul moyen de la sauver? Ne voyez-vous pas dans cette violation un merveilleux prétexte pour justifier la fuite du roi et des schismatiques députés qui l'accompagneraient? Ne voyez-vous pas que tous les gouvernemens s'éleveraient en faveur de ce roi, parce que le motif qui les arrêtait n'existerait plus, parce que la violation de la Constitution semblerait les autoriser? Ne voyez-vous pas dès lors les portes du royaume ouvertes par des Français mêmes aux étrangers? Ne voyez-vous pas ces Français serrant la main de ces étrangers, les invitant à venir avec eux affermir leur Constitution et maintenir le roi sur le trône contre les efforts des factieux? Ne voyezvous pás ces Français agissant avec d'autant plus de zèle contre vous qu'ils croiraient agir sous la dictée de leur conscience, en vertu du serment qu'ils ont prêté de maintenir la Constitution? Ne voyez-vous pas dès lors la liberté entièrement ruinée, car il faut être imbécile pour supposer que le despotisme étranger et ses satellites respectent religieusement une Constitution qu'ils détestent lorsque son sort sera entre leurs mains ?

>>

Que devez-vous conclure de ces tableaux! Non pas seule

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ment que vous devez vous abstenir scrupuleusement de toute violation de la Constitution, mais qu'encore vous devez dans vos mesures, dans votre manière de les adopter; écarter jusqu'au soupçon de cette violation; car observez que le soupçon de cette violation vous nuirait presque autant que la violation même, parce que ce soupçon agirait fortement sur cette opinion publique qui fait seule votre force.

« Or vous exciteriez par exemple infailliblement ce soupçon si vous décrétiez avec précipitation et sans une discussion solennelle la déchéance du roi ; car quoique la Constitution vous délegue le droit de la prononcer, cependant tant de personnes l'ignorent encore, un si grand nombre d'autres, effrayés de ce pouvoir, vous en verront toujours user avec effroi, parce qu'ils attachent au titre de roi une vertu magique qui préserve leurs propriétés, qu'il sera toujours nécessaire de porter les plus grandes précautions soit dans l'examen, soit dans la décision de cette question.

» Elle est aujourd'hui mise sur le tapis : certes vous ne devez pas l'éloigner; mais afin d'ôter à cette discussion tout son danger, vous devez l'environner de tant de formes, d'une si grande solennité, de tant de précautions qui annoncent votre prudence et votre respect pour la Constitution et les droits du roi, que la nation, si vous prononcez, se range infailliblement de votre côté, qu'elle-même dans le cours de cette discussion soit à portée de manifester son sentiment.

» Or, messieurs, vous donnerez cette preuve de votre prudence si vous vous astreignez à ne juger qu'après un examen approfondi et des faits et des questions de droit ; et vous le devez par une autre considération qui n'a pas encore été remarquée : vous ne remplissez pas seulement ici les fonctions de juré d'accusation; vous êtes juré de jugement, et vous savez messieurs, que ce dernier juré ne peut et ne doit se déterminer que par une conviction pleine et entière.

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» Maintenant sur quoi peut-on fonder la déchéance? Sur des faits personnels au roi, sur l'ensemble de toute sa conduite, sur des preuves particulières. Afin de ne point tomber dans des divagations qui égareraient les esprits et les tiendraient dans l'incertitude, vous devez done d'abord enjoindre à votre com―

mission extraordinaire de rassembler ces faits, d'en discuter les preuves et de vous présenter les résultats. Je voudrais que ce travail précédât toute espèce de discussion, parce que si la discussion s'ouvre avant que les faits soient fixés il s'établira un combat funeste pour la chose publique ; combat où le pouvoir exécutif, étant couvert d'opprobre, sera paralysé par le fait au moment même où il importe de le forcer à l'activité, où on l'y forcera toujours par la justice et la fermeté d'une marche sou

tenue.

>> Je m'arrêterai peu aux autres mesures décisives que l'on propose; je ne m'arrêterai point à ce projet de suspension, parce qu'il est ultérieur à la preuve qu'il y a des faits qui pourraient entraîner la déchéance, parce que, la Constitution ne nous déléguant pas littéralement le droit de prononcer la suspension, il faut examiner si le bien public suffit pour nous y autoriser.

» Je ne m'arrêterai pas davantage au projet répandu depuis quelque temps de créer un ou plusieurs dictateurs et de suspendre pendant ce temps les pouvoirs de l'Assemblée nationale; un pareil projet, qui peut tout aussi bien tomber dans la tête de nos ennemis que dans celle des patriotes ardens et vertueux, un pareil projet, dis-je, est le renversement de la Constitution, et, je vous l'ai déjà dit, et je ne cesserai de vous le répéter, le renversement de la Constitution pourrait donner au despotisme étranger et intérieur une grande majorité, et ruiner la cause populaire.

» Un autre motif me force à condamner le projet de convoquer les assemblées primaires. Je respecte plus qu'aucun autre la souveraineté du peuple; mais je le chéris trop pour lui conseiller une mesure qui dans le moment actuel le perdrait infailliblement; car, messieurs, rappelez-vous que nous sommes environnés d'armées étrangères prêtes à nous envahir, qui fixent au mois prochain leur invasion, et par conséquent l'augmentation de nos troubles; or pouvez-vous croire d'abord qu'il soit facile de faire délibérer six à sept mille assemblées primaires sur des questions complexes ? Pouvez-vous croire que ces discussions n'entraîneraient pas des débats violens? Pouvez-vous croire qu'entraînés dans ces débats les citoyens s'occuperaient

beaucoup des moyens de se défendre? Pouvez-vous croire que les citoyens délibéreront librement et paisiblement au milieu du tumulte et de la crainte des armes étrangères et de celles des mécontens? Qui vous a dit qu'alors on ne forcerait pas les citoyens à accorder au roi plus de droits qu'il n'en a par la Constitution actuelle, à ressuciter la noblesse et créer une chambre haute? Qui vous a dit qu'une foule de propriétaires et de citoyens paisibles, attribuant leurs maux à la faiblesse du pouvoir exécutif plutôt qu'à son inertie criminelle, ne se joindraient pas à lui ?

» Eh! messieurs, voulez-vous être convaincus que tel est l'espoir secret de nos ennemis les plus ardens ? Observez-les ; ce sont eux qui demandent la convocation des assemblées primaires. J'écarte ici de bons patriotes, à la droiture desquels je rends justice, mais qui n'ont pas vu le piége qu'on leur tendait. N'êtes-vous pas surpris comme moi de voir au même instant les journaux vendus à nos ennemis prêcher la bonté de cette convocation, les princes coalisés en faire un article de leur manifeste, et trois hommes remarquables dans le parti contraire, MM. Necker, d'Antraigues, Mounier, publier en même temps d'immenses volumes pour prouver la nécessité de cette convocation? Ils ne prennent pas même le soin de cacher leurs vues : ils vous disent hautement que le pouvoir exécutif est mal organisé; que le roi n'a pas assez d'autorité, qu'il faut lui en donner plus; qu'il faut en conséquence consulter les assemblées primaires, parce qu'ils espèrent que, dominées par la terreur, travaillées par l'intrigue et la corruption, ces assemblées royaliseront entièrement notre Constitution.

Gardons-nous, messieurs, de tomber dans ce piége grossier; ce n'est pas au milieu d'une guerre qu'un peuple entier doit s'occuper de réformer sa Constitution; s'il doit se lever c'est pour sa défense, et non pour se noyer dans des discussions politiques. Le feu est à la maison; il faut d'abord l'éteindre; les débats politiques ne feront que l'augmenter.

» Je l'avoue, messieurs, en contemplant les dangers qui nous environnent, en voyant la terreur qui agite tous les trônes de l'Europe, les nombreuses armées qu'ils mettent sur pied pour nous écraser, je me sens quelque orgueil d'appartenir au

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