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chéance ou la suspension du pouvoir exécutif; plusieurs sections de Paris, appuyées de la municipalité, et Pétion portant la parole, firent entendre le même vœu aux représentans du peuple. De là dans l'Assemblée les propositions les plus inconstitutionnelles, mais applaudies par respect pour la loi suprême... Un président (M. Lafond-Ladébat) fut obligé de quitter le fauteuil pour subir la censure de l'Assemblée nationale, parce qu'il avait cru devoir rappeler à l'ordre un orateur qui s'était écarté de la fidélité jurée à la Constitution.

La question de la déchéance était donc à l'ordre du jour : M. Guadet au nom de la commission extraordinaire, veut tenter un dernier moyen pour rappeler au prince les dangers de la patrie, et lui tracer la conduite qu'il doit tenir pour sauver l'Etat et la Constitution de concert avec le corps législatif; il propose un message au roi.

Projet de message au roi, présenté par M. Guadet au nom de la commission extraordinaire. (Séance du 26 juil let 1792.)

« Sire, la nation française vous a confié le soin de la défendre; et les officiers de nos troupes ont fui chez les puissances étrangères, et, réunis à vos parens, à vos courtisans, à vos amis, à vos gardes, ils forment une armée, et nous ont déclaré la guerre. La Constitution vous a chargé de veiller sur les intérêts extérieurs de l'Empire; et l'allié pour qui nous avons prodigué notre sang et nos trésors est devenu notre ennemi; et c'est en votre nom qu'il a soulevé contre nous une ligue de rois ennemis de cette liberté que vous avez juré de maintenir, protecteurs d'une autorité à laquelle vous avez solennellement rénoncé lant de fois !

» Le peuple français voit ses frontières envahies, ses campagnes menacées; son sang a coulé sous le fer des soldats du despotisme; d'un bout du royaume à l'autre des prêtres, des nobles, des factieux de toute espèce troublent le repos des citoyens, et tous s'honorent du titre de vos défenseurs !

» Par quelle fatalité, Sire, n'avons-nous pour ennemis que des hommes qui prétendent vous servir ? Par quelle fatalité

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sommes-nous obligés de douter si ces ennemis de la France vous servent ou vous trahissent?

» Dans ce moment de danger vous pouviez beaucoup, vous pouviez tout pour la sûreté de l'Empire; un ministère vigilant et ferme, digne de la confiance du peuple, appuyé de celle de ses représentans, assuré de la vôtre, eût bientôt rétabli l'ordre dans les armées, la paix dans les départemens : et la France a dû être étonnée de voir des ministres dont elle connaissait le patriotisme remplacés tout à coup par des hommes inconnus ou suspects, bientôt suivis par d'autres non moins inconnus encore ! Quelques uns peuvent sans doute être dignes de leur place; mais pouvons-nous attendre aujourd'hui qu'ils aient eu le temps. d'obtenir la confiance du peuple? Et pourquoi tous ceux qui l'ont méritée d'avance, tous ceux dont le nom aurait répandu la sécurité et l'espérance dans l'âme des citoyens ont-ils été soigneusement écartés ou négligés ?

» Vous vous plaignez, Sire, de la défiance du peuple... Mais qu'avez-vous fait pour la détruire ? Les familles des rebelles de Coblentz remplissent votre palais; les ennemis connus de l'égalité, de la Constitution, forment seuls votre cour, et l'on chercherait en vain auprès de vous un homme qui eût servi la cause de la liberté ou qui ne l'eût pas trahie !

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Voulez-vous, Sire, reconquérir la confiance des citoyens? C'est à vous de leur en donner l'exemple : que la demeure du roi d'une nation libre ne présente plus l'aspect d'une forteresse menacée par l'ennemi, et que ces précautions injurieuses cessent enfin de calomnier un peuple généreux et sensible! Son mécontentement s'est quelquefois exprimé avec violence, et l'on vous présente comme l'ouvrage d'une faction ce cri de douleur d'un peuple qui se croit trahi! On vous donne comme un projet formé de renverser le trône et de changer la Constitution l'indignation des hommes libres qui ont cru voir dans l'état de nos armées, dans le choix de vos ministres, dans vos refus d'adopter des mesures nécessaires l'intention coupable de modifier cette Constitution, et d'abaisser devant des rois étrangers ce trône où la nation vous a placé! Sire, les vrais ennemis de la Constitution sont ceux qui, par un emploi ou mal dirigé ou perfide de pouvoirs qu'ils ont reçus d'elle, s'efforcent de prouver

qu'elle ne peut sauver la patrie. Mais toutes les divisions vont cesser; lorsqu'un empire est menacé par des armées étrangères, lorsqu'on veut changer ses lois par la force il n'existe plus qu'un besoin et qu'un devoir, celui de repousser l'ennemi; toute division de parti ou d'opinion doit être suspendue, et il ne reste plus que deux classes d'hommes, des citoyens ou des traîtres! Tous vos intérêts, Sire, se réunissent à l'intérêt de la patrie; toute connivence, toute faiblesse, quand même elle serait suivie de ce succès impossible que cependant peut-être de lâches conspirateurs osent vous promettre, serait pour vous le plus grand des malheurs. Jamais les peuples, qui pardonnent tout, n'ont pardonné le crime de les avoir avilis devant un joug étranger; et quelle autorité peut dédommager celui qui se serait condamné lui-même à la haine éternelle de son pays et au mépris du reste du monde!

» La Constitution, Sire, impose au roi des Français le devoir de repousser avec plus d'énergie l'ennemi qui, se couvrant faussement du nom du roi, joindrait le crime de la trahison à celui d'une agression injuste.

» Elle lui a imposé l'obligation d'y opposer alors un acte formel.

» Mais si un roi des Français, loin de démentir les premières impostures, les avait laissées longtemps s'accréditer et se réðandre, s'il avait donné du poids par des actes publics aux prétextes employés pour appuyer les mêmes impostures; si le langage de ses ministres avait souvent été trop semblable à celui des ennemis de la nation; si la lenteur dans les préparatifs de défense; si la négligence à instruire les représentans du peuple de son danger lorsqu'il était temps encore de le détourner, et plus facile de le repousser; si en un mot un système entier de conduite contrariait cet acte formel, une simple signature démentie par des actions serait-elle donc l'accomplissement de la loi, ou plutôt ne faudrait-il pas la regarder comme une trahison nouvelle ?

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» Telles sont, Sire, les vérités que les représentans du peuple français ne pouvaient sans crime vous cacher plus longtemps. Vous pouvez encore sauver la patrie, et votre couronne avec elle osez enfin le vouloir! Que le nom de vos ministres, que

la vue des hommes qui vous entourent appellent la confiance publique; que tout dans vos actions privées, dans l'énergie et dans l'activité de votre conseil annonce que la nation, ses représentans et vous, vous n'avez qu'une seule volonté, qu'un seul désir, celui du salut public!

» La nation seule saura sans doute défendre et conserver sa liberté; mais elle vous demande, Sire, une dernière fois, de vous unir à eile pour défendre la Constitution et le trône! »

Ce noble langage, si fréquemment tenu par les représentans du peuple, et toujours vainement, ne parut plus susceptible d'amener un résultat favorable; on applaudit au talent de l'orateur; on appuya faiblement la démarche qu'il proposait. La demande de la déchéance fut remise en discussion: Brissot la combattit, et provoqua par là un étonnement général; pour la première fois le côté droit l'applaudit; pour la première il fut poursuivi par les huées des tribunes publiques.

OPINION de M. Brissot (1) sur la marche à suivre en examinant la question de la déchéance. (Séance du 26 juillet 1792.)

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Messieurs, mon objet n'est pas tant de vous indiquer la

(1) « Observation nécessaire. On a étrangement calomnié cette opinion je prie ceux qui sont de bonne foi de la lire avec attention.

» On assure que je me suis élevé contre la déchéance, et je ne me suis élevé que contre la précipitation à décréter la déchéance. Tout mon discours se réduit à ces mots : la déchéance est la dernière mesure; elle peut entraîner les conséquences les plus fâcheuses pour la liberté. Il faut donc examiner avec soin les raisons pour et contre; ce n'est que par cet examen sévère et solennel que nous pourrons obtenir l'assentiment de la majorité nationale, sans laquelle nous ne pouvons nous soutenir. Et quel est l'ami de la révolution qui ne doive pas désirer que nous unissions ici la prudence à l'énergie? Mon opinion est formée : la conduite du roi me paraît le conduire à la déchéance; mais par cela même que je suis convaincu, que je désire porter la convic tion dans tous les esprits, par cela même je provoque la discussion lą plus étendue, la plus solennelle, la plus nationale. » (Note de l'orateur.)

mesure décisive qui peut assurer le salut de l'empire que de vous indiquer la marche à suivre pour obtenir cette mesure.

» Vous êtes entourés de périls au dehors et de piéges au dedans; on cherche à vous avilir; on cherche à vous perdre, à vous dissoudre par vous-mêmes : c'est par le patriotisme, c'est par les principes qu'on veut ruiner le patriotisme et les principes.

» On a remarqué que la chaleur avait quelquefois emporté des décrets dans la précipitation; on cherche aujourd'hui à profiter de cette chaleur pour surprendre un décret important.

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Qui êtes-vous, messieurs? Les représentans d'un grand peuple. Où est votre force? Dans le peuple. Quand vous soutient-elle? Lorsque vous rendez des décrets sages et justes. Comment pouvez-vous être certains de rendre de pareils décrets? Lorsque vous consultez l'opinion publique, lorsque vous ne faites pour ainsi dire que l'énoncer, lorsque avant de l'énoncer vous faites précéder vos décrets d'une discussion approfondie. » Ici qu'avez-vous à faire, qu'avez-vous à juger? Le danger de l'Etat, et le remède qu'il faut y apporter.

>> Où est ce danger? Dans une guerre extérieure de princes qui menacent d'envahir et qui ont déjà envahi la France, dans une guerre civile qui est sur le point d'éclore.

Ι.

» Où sont les causes de ce danger? 1o Dans les mécontens du dedans et du dehors; 2° dans le pouvoir exécutif, qui paraît de

concert avec eux.

» Quels remèdes opposez-vous à ces deux causes? Des armées contre les mécontens et les puissances qui les appuient. Quant au pouvoir exécutif, vous avez, en exerçant la responsabilité, déjà éloigné des ministres qui n'avaient pas la confiance de la nation; mais ils ont été remplacés par d'autres ministres qui, n'ayant donné aucun gage à la révolution, ne peuvent pas ayoir la confiance de la nation; et cependant le temps et les dangers pressent pour agir, pour se livrer à de grands développemens, qui ne peuvent exister que par la confiance de la nation dans ses ministres : l'adresse que votre commission vous propose pourra, si elle est suivie de succès, remplir à cet égard yos vues; c'est une dernière épreuve à laquelle vous mettrez le chef du pouvoir exécutif.

» Il est impossible, même avec la plus grande défiance des

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