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De tous les côtés sont des précipices profonds; la Constitution est la seule planche sur laquelle les Français puissent se sauver. Quant aux moyens de répression, ils sont dans les lois générales et dans la loi particulière du 30 septembre 1791 (1). La loi ne connait point de sociétaires; elle ne connaît que des citoyens; et lorsqu'on avilit les autorités, lorsqu'on calomnie volontairement les magistrats, que ce soit dans un club ou sur la place publique, elle doit également atteindre et frapper le calomniateur. Pourquoi cette loi n'est-elle pas exécutée ? Quant à ce qui nous regarde, nous ne pouvons vous présenter qu'un remède lent, mais infaillible; les lumières et de sages exemples. Dans les temps d'orage la position des affaires et l'espèce du danger changent très fréquemment, et la conduite du peuple doit se diriger sur les lois et sur les situations diverses où se trouve la chose publique.

» Le peuple pour s'instruire n'a que des papiers publics, trop souvent empreints de l'esprit de parti : pourquoi ne vous chargeriez-vous pas d'une telle instruction? Le titre de précepteurs du peuple ajouté à celui de législateurs ne pourrait que vous honorer. Vous recevez tous les jours des milliers d'adresses et de pétitions : répondez-leur à toutes une fois par mois par une seule et même adresse; c'est bien le moins de consacrer une séance à encourager, instruire, éclairer ceux qui consacrent toutes leurs veilles et se dévouent à tous les périls pour le maintien des lois que vous décrétez. Ces communications franches et fraternelles entre le peuple et ses premiers magistrats sont singulièrement dans la nature du gouvernement populaire; ces instructions périodiques seraient lues avec avidité dans toutes les communes, dans toutes les écoles, dans tous les clubs; elles serviraient de point de ralliement à la divergence des opinions, et de contre-poison aux productions de l'esprit de parti.

» Nous vous proposons une seconde mesure, qui n'est qu'une suite de la première; c'est d'obliger les municipalités à rassembler leurs concitoyens tous les dimanches, à la maison com

(1) Loi des 29 et 30 septembre 1791, sanctionnée le 2 octobre suivant. Voyez tome V, des sociétés populaires.

mune, pour leur lire les lois qui auront été décrétées durant la semaine, et leur donner des instructions relatives à la situation des affaires en général et à leur position en particulier : ces instructions fortifieront les sentimens de confiance qui doivent exister entre les magistrats et leurs administrés, et elles pourront prévenir les émeutes. Je ne sais si je m'égare; mais je crois que l'obéissance et la paix régneront partout le jour où les lumières auront pénétré partout, mais que leur règne ne commencera que ce jour-là.

» Votre comité a vu une autre cause de troubles dans une population nombreuse qui manque aujourd'hui de travail. Il est dans l'essence du despotisme de créer un fisc très compliqué, et, pour l'alimenter, d'instituer des milices nombreuses qui poursuivent les citoyens dans toutes les transactions de leur vie et dans toutes les parties de leur existence; de former autour de lui des corporations oppressives et parasites, qui font vivre une multitude de subalternes en leur donnant une petite part dans cette immense proie qu'elles arrachent au peuple, de s'entourer de financiers et de seigneurs, toujours suivis d'une nombreuse suite d'hommes qui travaillent pour eux, et qui sont à leurs ordres; et enfin de former autour de lui une ceinture de prêtres, qui, tandis que le despote opprime les peuples, goûtent en paix te pieux plaisir de les bénir: ce sont comme autant de petits forts que le despotisme place en avant, et qu'il faut prendre avant de pouvoir attaquer la place.

» Il est dans l'essence de toute société de posséder une classe d'hommes qui vit de ses propriétés, et une autre classe qui vit, de ses travaux. Sous le gouvernement arbitraire, les esprits ayant une direction fausse et les cœurs une morale corrompue, la classe des hommes riches goûte moins le plaisir d'être que de paraître; elle recherche moins ce qui est utile et commode que ce qui est brillant et fastueux : alors toute la classe qui n'a que son industrie pour vivre la dirige vers tout ce qui peut flatter Populence, varier de mille manières ses jouissances, réveiller les goûts usés de l'indolence et de la satiété.

» Lorsque la liberté vient à paraître toutes ces corporations sont nécessairement anéanties, tous les rapports sont nécessairement changés, toute l'industrie prend nécessairement une

autre direction, et jusqu'à ce qu'elle se soit frayé une route nouvelle il existe une suspension de travail, une surabondance de population; tandis que d'un côté la liberté est obligée pour sa propre défense de faire peser le joug de la loi sur la tête de tous ceux qui opprimaient ou qui voudraient encore opprimer, de l'autre elle est obligée de tendre une main secourable à des subalternes qui vivaient des déprédations et du luxe de leurs chefs, et d'ouvrir d'autres ressources à ceux qui ne peuvent plus exercer leur industrie en travaillant à faire jouir les hommes opulens. Et qu'il me soit permis de citer un exemple qui, quoique fort loin de notre temps, montrera la différence entre la manière de vivre d'un peuple libre et celle d'un peuple esclave; c'est une entrevue qui eut lieu au milieu d'un champ entre un roi de Lacédémone et un satrape de Perse: tandis que ce dernier, entouré d'esclaves, se faisait préparer une espèce de trône avec toute la magnificence orientale, le roi de Sparte s'assied sur un rocher simplement couvert d'une peau d'ours. Je ne ferai pas à des hommes libres l'injure de leur dire de quel côté est ici la vraie grandeur.

» De ce passage de la servitude à la liberté il est donc résulté en France que nous devons offrir des travaux et des moyens de vivre 1° à toute l'ancienne armée du fisc; 2° à ceux qui pas-, saient leur temps à la combattre, et qui vivaient de ce métier immoral; 3o à ceux qui étaient à la suite de tous ces seigneurs, de ces financiers, de ces abbés, de ces évêques; 4° à ceux qu'un très grand nombre d'hommes riches a cessé de faire travailler, et qui, pour jouir du plaisir de faire crier le peuple, laissent leurs propriétés sans valeur et leurs terres en friche; 5o à la classe très nombreuse des ouvriers de luxe.

fort

» Pour rendre ces hommes tranquilles il Ꭹ a un moyen simple; c'est de faire qu'ils soient laborieux. Parmi eux il y en a qui sont accoutumés à pratiquer des arts paisibles, et qui sont hors d'état de cultiver la terre; d'autres ne sont propres qu'à ce dernier genre de travail. Pour occuper les premiers votre comité a pensé qu'il serait possible d'ouvrir dans chaque département et de placer dans d'anciens couvens des moines, sous la surveillance des corps administratifs, des fabriques et des inanufactures nationales, où ils pourraient faire leur apprentissage

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gratuitement, sous des maîtres accoutumés à ces arts, et que le produit de leur travail serait plus que su suffisant pour subvenir aux frais de ces établissemens. Il y a une multitude d'hommes qui ont reçu de l'éducation, que la révolution a ruinés, et qui viendraient s'occuper dans ces établissemens nationaux. Tous les arts sont aujourd'hui appréciés à leur valeur : la liberté honore les hommes utiles que le despotisme flétrissait sous le nom de gens de métier.

» Et à l'égard des hommes qui ne sont propres qu'à cultiver la terre, vous avez, sans qu'il en coûte rien au trésor public, des moyens nombreux de les occuper. Le royaume présente plus de trois cepts lieues de côtes, des rivières et des fleuves qui le traversent dans tous les sens : fai es que ces rivières, ces côtes et ces fleuves se communiquent par le plus de points qu'il est possible; il n'est point de département qui ne demande à être autorisé à faire creuser un ou plusieurs canaux, et il est tel département qui en demande jusqu'à cinq ou six. Des entrepreneurs off ent de toute part aux corps administratifs de former ces canaux sans rien exiger du trésor public, et moyennant la concession d'un droit de péage qui finira à une époque déterminée, lors de laquelle ces canaux resteront en toute propriété à la nation. Pendant qu'on fera ces canaux ils occuperont une multitude de bras oisifs, et peut-être dangereux dans ces temps d'orage; et lorsqu'ils seront faits ils ouvriront à l'agriculture et aux arts des debouchés qui les feront fleurir, et qui mettront plus d'égalité dans leurs valeurs sur tous les points du royauine. Il faut sur cette objet aviser à une loi générale, car s'il faut un décret précédé d'une longue discussion pour l'adju dication de chaque canal, il est évident que tous les bras resteront oisifs, et que la législature se passera sans qu'on ait pu autoriser l'ouverture de ces canaux. D'une autre part il existe dans le royaume plus de quatre millions d'arpens inondés: accordez une prime pour chaque arpent de terre qui sera mis en pleine valeur, et vous les verrez bientôt couverts de moissons. Eufin, n'avez vous pas près d'une dixième partie du royaume qui est couverte de landes et de ces biens communaux qui, appartenant à tout le monde, ne sont cultivés par personne? Partagez ces biens entre les citoyens des villages envi

l'on.

ronnans, en raison inverse de leur fortune, et que celui qui a le moins de propriétés patrimoniales ait la plus grande part dans le partage de ses propriétés communes : vous verrez les villageois vous bénir de plus en plus. Voulez-vous que la Constitution soit toujours aimée, faites que ceux qui l'aiment soient heureux par elle. Tout état qui a raffermi sa Constitution, et dans lequel il existe un seul citoyen qui ne trouve pas du travail lorsqu'il se porte bien, et des secours lorsqu'il est malade, est un état mal constitué faites donc que tout le monde soit occupé ; faites que ces biens communaux soient très incessamment partagés, et vous verrez après ces partages ce que vit lorsque la société prit naissance; chacun palissada son terrain, l'entoura de fossés, s'attacha au so! par le droit de propriété; alors se développèrent dans le cœur de ces sauvages devenus agriculteurs des affections jusqu'alors inconnues; les douceurs de ces premiers liens de la nature, de ces noms de père et d'époux se firent sentir, et le cœur humain étonné fut pour la première fois attendri. Toute cette source d'un inépuisable bonheur est absolument perdue pour celui qui n'a rien, et qui ne trouve pas où travailler; elle se change au contraire en regrets amers par le désespoir de voir souffrir ce que la nature nous porte à aimer. Le droit de propriété et le travail, qui en est la suite, sont dans l'ordre social le mobile le plus puissant pour développer les affections, les mœurs et les vertus. Investissez-donc de cés propriétés communes les villageois, et bientôt des terres aujourd'hui convertes de jonc et de genêt se changeront en terres productives, et vous verrez de nombreuses familles vivre heureuses sur ces terres fécondées par leur industrie. L s conquêtes faites par le travail sur la stérilité sont les plus nobles et les plus utiles; ce sont les seules auxquelles nous n'ayons pas renoncé.

» Nous pouvons aussi ouvrir de nouvelles sources de richesses au commerce et à 'a marine, qui ont reçu un coup mortel dans la suppression de notre commerce colonial : n'est-il pas honteux pour la France de se laisser enlever son commerce dans les régions hyperborées par les Hollandais et les Danois ? Nos vins, nos huiles, nos cires, ainsi que nos sucres, nos cafés et nos cotons, lorsque nous en avions, ce n'est pas nous qui les

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