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» Voilà le tableau de vos ennemis.

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Quant à leurs projets, nul doute sur l'invasion qui pourra se faire par deux endroits opposés à la fois; nul doute qu'ils ne comptent pénétrer après la récolte dans l'intérieur du royaume, s'emparer de vos magasins, et vous faire la guerre

avec vos moyens.

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Quels sont vos alliés avec autant d'ennemis? Aucun. La Suisse vous garde une neutralité qui pourrait paraître suspecte si son intérêt ne la lui commandait pas celle d'Angleterre est réellement nationale; mais qui nous garantit que la paix avantageuse qu'elle vient de conclure avec Tippoo ne changera pas les dispositions de son gouvernement? La Hollande peut un jour se joindre à vos ennemis. La Pologne prie pour vos succès; les Américains portent dans le cœur votre révolution; mais leur distance les met hors d'état de vous seconder.

» Vous connaissez vos forces: avec près de deux cent mille hommes de troupes réglées et plus de cent mille volontaires, vous avez tant de places à défendre, tant de frontières à protéger, tant de camps à former, que votre plus forte armée n'a jamais été au-delà de trente mille hommes. On croit rêver, messieurs, quand on compare cet état à celui de la France sous un despote, sous Louis XIV, et qui se trouva un jour autant d'ennemis en tête que nous on voit dans son histoire trois, quatre et cinq armées de soixante, quatre-vingts, cent mille hommes se mouvoir à la fois sur divers points de l'Empire. Quoi! l'esprit de liberté produirait-il donc moins de prodiges que l'honneur ou l'argent sous le despotisme? Ne calomnions pas ici l'esprit de liberté; cet effet est le résultat de causes qui lui sont étrangères, et que nous développerons. Si la guerre que nous faisons était une guerre ordinaire rien ne serait effrayant dans la coalition des puissances; on pourrait espérer que leurs moyens s'épuiseraient bien vite, que des intérêts contraires sépareraient cette ligue, si monstrueuse quand on la juge d'après la politique ordinaire, mais qui cesse de l'être lorsqu'on mesure sa base extraordinaire; car quel est son objet? Ces puissances ne tendent pas à prendre quelques villes, à gagner quelques batailles, à s'arrondir, à s'agrandir; non; une idée bien plus profonde les dirige et les rallie : le système de liberté qui gouverne la France les inquiète; ils y voient une source intaris

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sable d'où s'écouleront tôt ou tard des torrens qui doivent renverser tous les trônes de l'Europe; ils 'voient que les rois sont murs, et ils veulent prévenir l'époque où ils doivent tomber.

» C'est donc ici, messieurs, une guerre à mort entre la royauté et la liberté! Les tyrans de l'Europe veulent nous écraser ou périr: ils doivent en conséquence chercher ou à recréer. nos fers, ou à nous démembrer pour nous affaiblir, ou à nous miner, nous ruiner par des dissensions éternelles; point de paix à espérer avec eux : et telle est l'idée profonde qui a déterminé les hommes qui, connaissant la vraie base de cette coalition, ont pensé qu'en la prévenant on pouvait la renverser, que lui donner le temps de s'accroître, de se consolider, c'était perdre la liberté. La paix comme la guerre doit être également funeste aux rois, parce que nos principes, dont la contagion est si séduisante pour les peuples, et si rapide, doivent tendre à se propager sans aucun effort et à ruiner la tyrannie.

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Je défie qu'on puisse expliquer par aucun autre motif. cette coalition extravagante en apparence. Ces princes vous ont donné leur secret quand ils ont déclaré la guerre aux jacobins, et le manifeste dont on nous menace en leur nom réchauffe cette ridicule déclaration; ils savent bien que les jacobins ne sont point une puissance; que les jacobins n'ont ni argent, ni moyens, ni émissaires; mais ils voient dans les jacobins un volcan qui lance sans cesse des laves enflammées sur les trônes des tyans. Ce ne sont pas les poignards des jacobins qu'ils redoutent; ils savent bien qu'ils sont imaginaires; mais ils redoutent l'évangile des jacobins, cet évangile qui, prêché par la raison et sans armes, fera bien plus de prosélytes à la liberté, fera bien plus sûrement disparaître les rois que tous les clubs des tyrannicides, qui ne tuent personne ou qui réconcilient même avec la royauté!

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Ainsi, messieurs, c'est à votre Constitution, c'est à votre Déclaration des Droits, c'est à la souveraineté du peuple, c'est au peuple que la coalition couronnée fait la guerre ! Il faut donc ou que vous déchiriez votre Constitution, ou que vous écrasiez les tyrans il n'y a pas de milieu. Il faut donc que vous déployiez les plus grands moyens si vous ne voulez

pas être subjugués; il faut donc déclarer que la patrie est en danger; car encore une fois, sans des moyens extraordinaires développés tout à coup, et dans cette campagne, décrétés à l'instant même, vous exposez votre liberté aux plus grands dangers. Les mouvemens de vos ennemis sont calculés, combinés; ils vous menacent de tous les points à la fois ; ils comptent sur la lenteur des uns, sur l'insouciance des autres, sur les calculs de l'égoïsme, sur le discrédit de vos assignats, la pénurie de vos moyens, sur les dissensions que doivent faire naître les modifications qu'ils doivent vous proposer.

» Ah! si jamais une nation s'est trouvée en danger, c'est bien lorsque cinq à six puissances ont juré sa perte, et rassemblent les plus grandes forces pour l'effectuer : ou niez ces faits, ou décrétez que la patrie est en danger.

» Non, messieurs, ce n'est point avec des armées partielles que la France peut repousser d'aussi grands dangers; ce n'est pas même avec une croisade nombreuse : il faut que la nation se lève en entier; il faut que tous les hommes en état de porter les armes soient armés ; il faut que pas un village ne soit pris ou incendié que mille ennemis n'y trouvent la mort; il faut que Sagonte ressuscité parmi nous, que nós femmes, nos enfans, plutôt que de survivre à notre défaite, à notre honte, s'ensevelissent avec nous, et meurent du même coup qui nous percera!

» Eh! qui d'entre elles, qui d'entre nous peut se familiariser avec l'idée de supporter les fers d'un tyran étranger? Vous êtes-vous jamais représenté les Prussiens entrant triomphalement dans Paris, ayant à leur tête cet illuminé Bischofswerder, qui dirige les destinées de la Prusse, souillant le sanctuaire des droits de l'homme, insultant à l'arbre de la liberté, aux ruines de la Bastille, à tous les monumens de nos triomphes?..... Quel est l'homme qui, se rappelant nos fêtes civiques, nos sociétés politiques, la liberté de nos débats et de nos opinions, contraint désormais de s'agenouiller devant des houlans, d'observer ses discours et jusqu'à ses regards; quel Français, dis-je, ne mourrait pas de rage?.... Ah! périsse plutôt Paris que de le voir souillé d'un pareil spectacle! Eh!

qu'est la vie sans la liberté pour un peuple qui l'a goûtée? Comment pouvoir s'accoutumer au joug d'un despote étranger, de ministres insolens?

» Hé bien, Français, si vous ne déployez pas à l'instant des mesures extraordinaires, tel est le sort qui menace, qui accablera sous peu plusieurs de vos départemens! - Mais, me dit-on, on va former des régimens, des bataillons; ils sont décrétés...-Eh! que me parlez-vous de vos formes régulières! Les Prussiens en attendront-ils la formation lente, qui consumera plus de six mois? Il faut des hommes sur le champ, et vous en avez, et la fédération vous en fournira, et ce sera un jour de fête pour eux que celui où ils voleront aux frontières! Il faut se hâter de les envoyer à vos camps, dans vos villes frontières; là le danger et l'exemple de leurs frères les formeront bientôt. Mais ils n'ont pas d'uniformes... - Eh! qu'importe au courage la couleur de l'habit? qu'importe l'habit même? Les Américains n'avaient pas de souliers à Trenton. -Ils n'ont pas de fusils; le marché d'Angleterre manque ; les manufactures ne suffisent pas... Hé bien, variez vos armes; donnez-leur des piques, des haches; changez votre méthode militaire : est-ce que la guerre d'un peuple libre doit ressembler à celle des esclaves? Comment, parmi tous ces militaires si fiers de leur expérience, il ne se trouvera pas un homme, un seul homme de guerre qui devinera l'art de la guerre des peuples libres; un homme qui sache, avec le courage qu'on ne supplée point, suppléer à tout! Enfin, me dit-on, on manque d'officiers généraux... Consolez-vous; le secret de les former est trouvé; le voici : Cromwell à quarante ans n'avait pas manié un fusil; six ans après il gagnait en chief des batailles. Savez-vous pourquoi ? Parce que la fatale règle de l'avancement militaire n'existait pas, parce qu'alors on savait que pour établir la liberté il ne fallait pas la confier, d'après une liste de rang, à un vieillard cacochyme ou à un aristocrate gangrené. Suspendez donc, lorsque la patrie est en danger, suspendez la loi de l'avancement; la liberté, l'espoir des couronnes auront bientôt mûri les talens, et vous aurez des hommes !

» Messieurs, qu'on m'oppose tant d'obstacles qu'on voudra;

il n'en est aucun d'insurmontable avec une Assemblée et un ministère patriotes: pour un obstacle vous aurez dix moyens; mais il faut se hâter, mais il faut électriser les âmes!

» Encore un mois ou deux, et vous ne pourrez plus exécuter ce projet; il sera trop tard pour proclamer utilement que la patrie est en danger... Et voilà le désir secret de vos ennemis, voilà leur but secret : quand ils répandent que tout est tranquille, que votre réunion calme tout, dissipe les dangers, ils veulent vous surprendre, vous donner des fers, ou vous égorger si vous ne voulez pas les recevoir!

» Tous les instans sont donc précieux ; c'est trahir la patrie que d'en distraire un seul pour aucun autre objet. Avant donc de déclarer que la patrie est en danger, hâtez-vous d'entendre les ministres sur ces dangers; qu'ils vous disent la vérité, la vérité tout entière; qu'ils vous la disent devant nos frères qui nous entendent. On a parlé du danger de ces communications publiques; on a parlé d'un comité général... Un pareil comité est un contresens dans le danger de la patrie. Qui fait notre force? La confiance du peuple. Ayons-en donc en lui puisqu'il en a pour nous! Croyons, croyons qu'en entendant de fâcheuses nouvelles il ne sera pas plus effrayé, pas plus consterné que nous; croyons que le mystère, doublant l'opinion du danger, alarmerait bien plus fortement tous les esprits; croyons que les extraits mutilés, incomplets, nuiront bien plus à la chose publique que la vérité tout entière! On peut, on doit cacher son état à un malade désespéré; mais la nation régénérée dé– ploiera une jeunesse, uné vigueur bien supérieure à tous les événemens..... Dites, dites tous les dangers! La nation se reste toujours. Il y aurait du danger, que le secret, pour en cacher l'étendue, serait de le dire. Déclarez ensuite, après avoir entendu aujourd'hui même les ministres, déclarez que la patrie est en danger; déclarez-le sans désemparer; déclarez-vous permanens : jamais péril plus grand ne nous commanda la permanence!

» Et lorsque vous aurez porté ce décret solennel, que des courriers extraordinaires portent dans tous les départemens le cri du danger!

» C'est alors que vous mettrez à l'épreuve le patriotisme du

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