de lâches corrupteurs osent faire de votre liste civile : cette voix peut se tromper; mais tant que le soupçon subsiste la confiance ne peut naître, et c'est uniquement en publiant l'emploi sans doute légitime de ce trésor dangereux que vous pouvez la reconquérir. "Votre conscience, Sire, doit rester libre; mais si elle vous attache à un culte dont les ministres ont inondé la France de conspirateur, si elle vous attache à un culte dont les docteurs ont tant de fois fait un devoir de la trahison et du parjure, si elle vous attache à un culte dont les prétendus outrages sont aussi□n des prétextes de nos ennemis, croira-t-on que vous avez rempli le devoir imposé par la loi au roi des Français, quand des prêtres fanatiques cabalent dans votre palais, quand vos refus répétés anéantissent tous les moyens de prévenir ou de réprimer leurs fureurs ? >> Nous vous avons rappelé, Sire, les obligations sévères auxquelles la Constitution vous a soumis lorsque des ennemis perfides s'armeraient en votre nom contre la liberté, et vous nous épargnerez sans doute la douleur de vous y trouver.infidèle. »> Le 7 août, au moment de reprendre la discussion sur les dangers de la patrie, M. Lamourette, député du Rhône et évêque constitutionnel de Lyon, demanda la parole pour une motion d'ordre qui donna lieu à une séance mémorable. Motion de M. Lamourette, tendant à réunir dans un méme esprit tous les membres de l'Assemblée. ( Séance du 7 juillet 1792.) « Messieurs, on vous a proposé et l'on vous proposera sans doute encore des mesures extraordinaires et terribles pour arrêter le progrès des maux, des divisions et de la fermentation qui déchirent le sein de la France, et dont l'effet est de la faire regarder par les puissances étrangères comme parvenue au dernier degré de la défaillance; mais de toutes ces mesures il n'en est aucune qui atteignent le but, parce qu'il n'en est aucune qui soit véritablement centrale, et que jamais on est remonté à la véritable source de nos maux. Cette source, messieurs, qu'il faut tarir à quelque prix que ce soit, c'est la désunion de l'Assemblée nationale! La position du corps légis latif est le véritable thermomètre de l'état de la nation; et si quelqu'un voulait se former une juste idée de la situation politique et morale des Français, il n'aurait qu'à fréquenter l'enceinte où s'assemblent leurs représentans. Oui, c'est ici que réside le levier qui fait mouvoir la grande machine de l'Etat dans le sens de l'unité et de l'harmonie, ou qui produit la complication et l'opposition des mouvemens qui la détruisent! Oh! si quelqu'un de vous, messieurs, était appelé à exécuter ce grand dessein, à exécuter cette précieuse et désirable réunion de la représentation nationale, ce serait celui-là qui serait le vrai bienfaiteur de ses concitoyens, le vrai libérateur de sa patrie, le destructeur de tous les complots des tyrans, le véritable vainqueur de l'Autriche et de Coblentz! (Applaudissemens.) >> Hé quoi! messieurs, vous tenez dans vos mains la clef du salut public, et vous chercheriez ce salut, objet d'une si longue et si laborieuse attente, vous le chercheriez dans des lois toujours incertaine, et vous vous refuseriez à la gloire si touchante de faire couler de votre propre sein les douceurs de la paix et de l'unité sur un peuple à qui cet inappréciable bien est si nécessaire ! J'ai souvent entendu dire qu'au point où en sont les choses cette réunion était impossible........; et ces mots m'ont fait frémir, car ils renferment la plus florissante injure qu'on puisse faire à tous les membres de cette Assemblée. Jamais scission ne fut irrémédiable que celle qui subsiste entre le vice et la vertu (applaudissemens); il n'y a que l'honnête homme et l'homme méchant qu'il ne faille point espérer d'assortir et de concilier (applaudissemens.); mais pour les gens de bien ils ont beau se trouver opposés les uns aux autres, et débattre en sens contraire les moyens d'assurer la prospérité et la liberté d'un empire, leurs dissentimens ne produisent ni passion ni haine, parce qu'ils s'estiment, parce qu'il subsiste entre eux unité de fin, parce qu'ils ont tous le sentiment de leur droiture et de leur innocence, parce qu'ils sont sûrs les uns des autres, et qu'après le mouvement décent et modéré de leurs opinions divergentes ils se rencontrent toujours au point central de la probité et de l'honneur, à cet asile sacré où la vertu jouit d'ellemême et où toutes les âmes sensibles et honnêtes s'unissent et se concentrent de toutes les parties de l'univers. (Nombreux applaudissemens. ) Messieurs, il ne tient qu'à vous de vous ménager un moment bien beau et bien solennel, un moment plus utile à l'excellent peuple dont vous êtes, les organes que vos journées et vos séances les plus mémorables; il ne tient qu'à vous de donner à la France et à l'Europe un spectacle attendrissant pour tous les amis de la liberté, et plus redoutable à vos ennemis que toutes les bouches d'airain que vous avez disposées autour de vos, frontières! Ramenez à l'unité la représentation nationale! Le plus précieux événement ne tient qu'à un fil que vous pourrez rompre dans un instant, et la plus malheureuse des scissions ne tient qu'à un malentendu le plus misérable ; toutes les défiances qui l'entretiennent se réduisent à un point, et se résument dans ce şenl fait une partie de l'Assemblée attribue à l'autre le dessein séditieux de renverser la monarchie et d'établir la république, et celle-ci prête à la première le crime de vouloir l'anéantissement de l'égalité constitutionnelle, et de tendre à la création de deux chambres. Voilà le foyer désastreux d'une désunion qui se communique à tout l'Empire, et qui sert de base aux coupables espérances de ceux qui manoeuvrent la contre-révolution. Hé bien, messieurs, foudroyez par une exécration commune et par un dernier et irrévocable serment, foudroyons et la république et les deux chambres! (Applaudissemens unanimes.) Jurons de n'avoir qu'un seul esprit, qu'un seul sentiment; jurons-nous fraternité éternelle! Confondons-nous en une seule et même masse d'hommes libres, également redoutable et à l'esprit d'anarchie et à l'esprit féodal! Dès le moment où nos ennemis domestiques et étrangers ne pourront plus douter que nous voulons une chose fixe et précise, et que ce que nous voulons nous le voulons tous, ce sera le véritable moment où il sera vrai de dire que la liberté triomphe, et que la France est sauvée ! (Applau dissemens unanimes et plusieurs fois réitérés.) 律 » En conséquence des considérations que je viens de présenter, je fais la motion qu'un jour et une heure soient déterminés où M. le président dira: que tous ceux qui abjurent et exècrent la république et les deux chambres se lèvent! » La chaleur, l'onction, le ton persuasif et vrai de l'orateur ayaient remué les âmes, entraîné les esprits; aux derniers mots qu'il prononce l'Assemblée tout entière se lève; chaque membre, le bras tendu, s'écrie avec enthousiasme : oui, je le jure! nous le jurons! Dans les tribunes et dans les galeries le même serment est répété avec le même enthousiasme, et l'Assemblée, par un décret rendu au bruit des acclamations universelles, voue à l'exécration publique tout projet d'altérer la Constitution, soit par l'établissement de deux chambres, soit par celui de la république, soit de toute autre manière. Dans ce mouvement subit et spontané tous les membres, quittant leurs places, s'étaient mêlés, confondus ensemble ; il avaient fait disparaître la distinction de côté gauche et de côté droit on voyait assis l'un à côté de l'autre, adjurant toute défiance et s'embrassant tendrement, MM, Dumas et Basire, Jaucourt et Merlin, Chabot et Gentil, Albite et Ramond, Gensonné et Calvet, etc. M. Pastoret (1), qui la veille s'était cru outragé par M. Condorcet, court à lui, le serre dans ses bras, et tous deux ils se donnent des gages (1) La lettre ci-après venait d'être publiée dans la plupart des jour naux : « AM. Condorcet. » On vient de me montrer, monsieur, les injures dont vous m'hoporez dans le plat libelle (la Chronique) où pour quinze livres par jour yous outragez tous les matins la raison, la justice et la vérité; je m'empresse de vous en témoigner ma reconnaissance. EMMAMUEL PASTORET. » Condorcet rédigeait en effet l'article Assemblée nationale dans la Chronique. Voici le passage de ce journal qui valut à son auteur la lettre de M. Pastoret: "M. Pastoret a parlé le premier sur la situation de la France (voyez plus haut son rapport du 30 juin); mais il a laissé cette grande tâche à remplir à ceux qui voudraient parler après lui. Il a fini son discours par une invitation à l'union entre les membres du corps législatif; mais comme il n'a point dit sur quoi devait porter cette union, quelle conformité de principes devait la cimenter, chacun des membres est resté dans l'idée qu'il avait auparavant tant sur l'état actuel des choses que sur M. Pastoret lui-même. de paix et d'union. Au milieu des applaudissemens dont la salle retentit pendant plus d'une demi-heure on entend répétér: la patrie est sauvée ! la patrie est sauvée ! Bientôt se succèdent plusieurs motions tendant à informer sur le champ le roi, l'armée, les tribunaux, les corps administratifs, la France tout entière de l'heureuse réunion qui vient de s'opérer. Un extrait du procès-verbal de la séance est à l'instant rédigé, et porté au roi par une députation de vingt-quatre membres; elle est présidée par l'orateur dont l'opinion avait obtenu un si touchant résultat. La députation ne tarde pas à rentrer; M. Lamourette annonce que le roi, après avoir entendu la lecture de l'extrait du procès-verbal, avait répondu qu'il ne pouvait pas recevoir une nouvelle plus chère à son cœur, et qu'il cédait au besoin de venir témoigner à l'Assemblée combien cette réunion lui donnait de joie. » Le roi paraît accompagné de ses ministres; l'Assemblée le reçoit avec transport; il dit : >> Messieurs, le spectacle le plus attendrissant pour mon cœur est celui de la réunion de toutes les volontés pour le salut de la patrie. J'ai désiré depuis longtemps ce moment fortuné; mon vœu est accompli je viens vous l'exprimer moi-même. La nation et le roi ne font qu'un; ils marchent vers le même but, et leurs efforts réunis sauveront la France! La Constitution est le point de ralliement de tous les Français, le roi leur en donnera l'exemple! (Applaudissemens unanimes; cris nombreux de vive le roi.) Réponse du président ( M. Girardin). « Sire, l'événement heureux qui vous ramène au milieu des représentans du peuple est un signal d'allégresse pour les amis de la liberté, et un signal terrible pour ses ennemis ! L'harmonie des pouvoirs constitués donnera à la nation française la force dont elle a besoin pour dissiper la ligue des tyrans conjurés contre son indépendance et contre la Constitution, et elle voit déjà dans la loyauté de votre démarche le présage de ses succès. » (Les cris, les applau dissemens recommencent. Le roi semble désirer d'ajouter quelques mots; le silence se rétablit.) Le roi en se retirant. J'étais fâché, messieurs, d'être |