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>> L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de sa commission des douze, et décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

» Art. 1er. Lorsque la sûreté intérieure ou la sûreté extérieure de l'Etat seront menacées, et que le corps législatif aura jugé indispensable de prendre des mesures extraordinaires, elle le déclarera par un acte du corps législatif conçu en ces termes :

» Citoyens, la patrie est en danger.

» 2. Aussitôt après la déclaration publiée, les conseils de département et de district se rassembleront, et seront, ainsi que les municipalités et les conseils généraux des communes, en surveillance permanente; dès ce moment aucun fonctionnaire public ne pourra s'éloigner ou rester éloigné de son poste.

» 3. Tous les citoyens en état de porter les armes, et ayant déjà fait le service de gardes nationales, seront aussi en étát d'activité per

manente.

» 4. Tous les citoyens seront tenus de déclarer devant leurs municipalités respectives le nombre et la nature des armes et munitions dont ils seront pourvus: le refus de déclaration, ou la fausse déclaration, dénoncée et prouvée, seront punis par la voie de la police correctionnelle, savoir, dans le premier cas, d'un emprisonnement dont le terme ne pourra être moindre de deux mois, ni excéder une année, et dans le second cas d'un emprisonnement dont le terme ne pourra être moindre d'une année ni excéder deux ans.

» 5. Le corps législatif fixera le nombre des gardes nationales que chaque département devra fournir.

» 6. Les directoires de département en feront la répartition par district, et les districts entre les cantons, à proportion du nombre des gardes nationales de chaque canton. *

» 7. Trois jours après la publication de l'arrêté du directoire les gardes nationales se rassembleront par canton, et, sous la surveillance de la municipalité du chef-lieu, ils choisiront entre eux le nombre d'hommes que le canton devra fournir.

» 8. Les citoyens qui auront obtenu l'honneur de marcher les premiers au secours de la patrie en danger se rendront trois jours après au chef-lieu de leur district; ils s'y formeront en compagnie, en présence d'un commissaire de l'administration du district, conformément à la loi du 4 août 1791 : ils y recevront le logement sur le pied militaire, et se tiendront prêts à marcher à la première réquisition.

» 9. Les capitaines commanderont alternativement et par semaine les gardes nationales choisies et réunies au chef-lieu de district.

» 10. Lorsque les nouvelles compagnies des gardes nationales de chaque département seront en nombre suffisant pour former un bataillon elles se réuniront dans les lieux qui leur seront désignés par le pouvoir exécutif, et les volontaires y nommeront leur état-major.

-». 11. Leur solde sera fixée sur le même pied que celle des autres volontaires nationaux ; elle aura lieu du jour de la réunion au cheflieu de canton.

» 12. Les armes nationales seront remises, dans les chefs-lieux de canton, aux gardes nationales choisies pour la composition des nouveaux bataillons de volontaires. L'Assemblée nationale invite tous les citoyens à confier volontairement, et pour le temps du danger, les armes dont ils sont dépositaires à ceux qu'ils chargent de les défendre. - » 13. Aussitôt la publication du présent décret les directoires de district se fourniront chacun de mille cartouches à balles, calibre de guerre, qu'ils conserveront en lieu sain et sûr, pour en faire la distribution aux volontaires lorsqu'ils le jugeront convenable. Le pouvoir exécutif sera tenu de donner des ordres pour faire parvenir aux départemens les objets nécessaires à la fabrication des cartouches.

» 14. La solde des volontaires leur sera payée sur les mandats qui seront délivrés par les directoires de district, ordonnancés par les directoires de département, et les quittances en seront reçues à la trésorerie nationale comme comptant.

- » 15. Les volontaires pourront faire leur service sans être revêtus de l'uniforme national.

» 16. Tout homme résidant ou voyageant en France est tenu de porter la cocarde nationale.

>> Sont exceptés de la présente disposition les ambassadeurs et agens accrédités des puissances étrangères.

» 17. Toute personne revêtue d'un signe de rébellion sera poursuivie devant les tribunaux ordinaires, et en cas qu'elle soit convaincue de l'avoir pris à dessein elle sera punie de, mort : il est ordonné à tout citoyen de l'arrêter ou de la dénoncer sur le champ, à peine d'être réputé complice.

>> Toute cocarde autre que celle aux trois couleurs nationales est un signe de rébellion.

» 18. La déclaration du danger de la pâtrie ne pourra être prononcée dans la même séance où elle aura été proposée, et avant tout le ministère sera entendu sur l'état du royaume.

» 19. Lorsque le danger de la patrie aura cessé l'Assemblée nationale le déclarera par un acte du corps législatif conçu en ces termes : » Citoyens, la patrie n'est plus en danger. » ·

Ce décret rendu, M. Torné, évêque du Cher, demande la parole, et dans un discours véhément contre la cour deș Tuileries, dont il retrace les perfidies; contre les aristocrates, dont il rappelle et dévoile les manœuvres ; contre les modérés, qu'il nomme les hermaphrodites de la révolution ; contre les prétendus constitutionnels, hommes ambitieux

qui n'invoquent la Constitution que pour ravir au peuple les libertés qu'elle lui garantit ;`enfin contre le pouvoir exécutif, contre le roi lui-même, dont l'inaction calculée, dont la conduite, en sens inverse de la révolution, sont la première et la principale cause de l'état périlleux où se trouve la France..., l'orateur présente comme des réalités tout ce que M. Vergniaud s'était plu à couvrir du voile de l'hypothèse; il conclut à ce que l'Assemblée déclare la patrie en danger, et qu'ensuite elle ne se règle plus dans ses délibérations que d'après cette seule maxime, supérieure à toute Constitution, le salut du peuple est la supréme loi.... (Voyez plus haut, page 139, les débats relatifs à une motion semblable de M. Delaunay.) M. Torné par ce discours avait armé contre lui tous ceux qui se proclamaient constitutionnels: MM. Pastoret et Vaublanc le signalèrent comme un contre-révolutionnaire, comme un factieux, ils voulaient que l'Assemblée l'improuvât solennellement, qu'il fût rappelé à l'ordre avec censure, et même envoyé à l'Abbaye; mais l'Assemblée passa à l'ordre du jour.

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Les reproches que M. Torné adressait à la cour et au pou• voir exécutif n'étaient certes pas sans fondement. On savait de notoriété publique que les chefs des émigrés avaient en France des agens qui recrutaient en leur nom, et pour cause du roi de France; ils passaient des marchés pour les fournitures de leurs troupes, ils faisaient des emprunts, etc.; et le pouvoir exécutif n'apportait d'autre obstacle à ces manœuvres que des désaveux tardifs et des empêchemens inutiles. Depuis plusieurs mois l'Europe n'ignorait plus que la Prusse armât, qu'elle fût ostensiblement entrée dans la coalition, et le pouvoir exécutif, laissant à cet égard la France dans une trompeuse sécurité, n'en informa l'Assemblée d'une manière officielle que lorsque les Prussiens menacèrent notre territoire. C'est pendant la discussion sur les dangers avoués de la patrie que Louis XVI dénonça cet autre danger, qu'il ne lui était plus possible de taire. Lettre du roi à l'Assemblée nationale. (Du 6 juillet 1792.) « C'est avec regret, messieurs, que je vois un ennemi de

plus se déclarer : la Prusse que tant d'intérêts semblaient devoir attacher à la France, oubliant ces mêmes intérêts, conspire, avec sa rivale et son ennemie naturelle, contre la Constitution française; ses démarches successives ont pris un caractère trop marqué pour qu'il soit possible de douter désor— mais de ses intentions hostiles. La convention de Pilnitz, l'alliance avec l'Autriche, qui en a été la suite; l'accueil fait aux rebelles; les violences exercées sur des Français que des relations de commerce appelaient dans les états du roi de Prusse ; la conduite de cet état à l'égard du ministre de France; le départ de son envoyé extraordinaire sans prendre congé, le refus formel de souffrir à Berlin notre chargé d'affaires; les efforts des agens prussiens auprès de toutes les cours pour nous susciter des ennemis; enfin la marche des troupes prussiennes, dont le nombre se porte à cinquante-deux mille hommes, et leur rassemblement sur nos frontières, tout prouve un concert entre le cabinet de Vienne et celui de Berlin. ( Eclats de rire et murmures.) Ce sont là, messieurs, des hostilités imminentes. Aux termes de la Constitution, j'en donne avis au corps législatif ( une voix : Quand ils sont à Coblentz!) et je compte sur l'union et le courage de tous les Français pour combattre et repousser les ennemis de la patrie.

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Signé Louis, et plus bas SCIPION CHAMBONAS. » L'Assemblée renvoya cette lettre à la commission des douze, et reprit la discussion sur les dangers de la patrie. M. Condorcet, après un discours très étendu sur la situation de la France et sur les mesures de sûreté générales qu'il lui paraissait convenable de prendre, présenta un projet de message au roi dont la lecture fut souvent interrompue par de vifs applaudissemens : l'Assemblée se borna à en décréter l'impression; le voici.

Projet de message au roi présenté par M. Condorcet. (Séance du 6 juillet 1793. )

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Sire, les représentans du peuple ont juré de vous être fideles; et ce serment ne peut être celui de vous

dire la vérité.

pour eux que

» En acceptant la Constitution vous n'avez pu séparer les

pouvoirs qu'elle vous donne des devoirs qu'elle vous impose; et l'obligation de désavouer par un acte formel toute force armée employée en votre nom contre la nation française est le premier et le plus sacré de ses devoirs.

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» Sire, c'est en votre nom que le roi de Hongrie et ses alliés nous ont attaqués; c'est en votre nom que des Français rebelles ont sollicité leurs secours et s'unissent à eux pour désoler leur patrie; et ces Français rebelles ce sont vos parens, vos courtisans, ce sont ces officiers déserteurs qui se vantent de ne voir la patrie que dans vous seul ! Le premier de nos ennemis étrangers vous est attaché par les liens du sang ; votre nom se trouve mêlé à toutes les conspirations qui se trament contre la liberté; et, lorsque des circonstances si multipliées, si effrayantes se réunissent contre la sûreté de l'Etat, des conseillers perfides oseraient-ils vous tromper au point de vous persuader que par la proposition de la guerre, par une tardive notification aux puissances étrangères, vous avez satisfait au vœu de la loi, et qu'un acte formel qui serait démenti par votre conduite suffirait pour remplir vos obligations et vos sermens ?

Non, Sire, cet acte formel, si toutes vos actions n'y répondent point, ne peut être regardé que comme un outrage de plus à la nation, comme la violation, et non comme l'accomplissement de la loi.

» Et cependant, Sire, où sont les marques de votre indignation contre les Français rebelles qui, au dedans comme au dehors de l'Empire, abusent de votre nom?

>> Ne vous êtes-vous point opposé par des refus de sanction aux mesures de vigueur que l'Assemblée nationale avait cru nécessaires d'employer contre les conspirateurs? Ces émigrés, qui se vantaient de soutenir votre cause, se sont assemblés paisiblement sur nos frontières, sous les yeux des envoyés de France nommés par vous, et vous avez gardé le silence! Ces émigrés ont fatigué toutes les cours de leurs intrigues; et vos désaveux timides, si même ils existent, ont été moins publics que leurs machinations; et quand l'Assemblée nationale, à qui vous aviez laissé ignorer les dangers de l'Etat, s'est réveillée au bruit menaçant des armes étrangères, qu'a-t-elle appris de vos.

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