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digne d'être appelé le héros de la liberté si, comme Washington, son père d'armes et son modèle, il ne buvait jusqu'à la lie le calice de l'ingratitude populaire! Comme lui nous avons vu Washington parlant au congrès le langage d'un citoyen qui brave les factieux, lorsque leurs intrigues l'avaient divisé ; comme lui nous l'avons vu supporter toutes sortes d'injustices, et n'être jamais plus grand que lorsqu'il prêtait une obéissance absolue à ceux mêmes qui avaient conjuré sa ruine! (Applaudissemens.)

» Je proposerais de tenir au roi le langage que s'est permis M. Vergniaud si le roi eût provoqué l'ébranlement de la Constitution, arrêté le progrès de nos armes, et autorisé aucun acte contre les intérêts de la nation : mais le contraire est démontré pour tous les honnêtes gens..... (Murmures.) Non, messieurs, non; le roi ne vous dira jamais, et il est affreux de le supposer, je veux être despote (ce sont les expressions du préopinant); il ne vous dira pas qu'il n'a voulu la Constitution que pour n'étre pas précipité du trône : il connaît trop bien maintenant ses faux amis; il sait trop bien quels sont ceux qui depuis trois ans l'exposent sans cesse; il a pu les connaître avant la révolution; il a pu les éprouver depuis, et vous pouvez fonder la sécurité des Français sur l'intérêt commun des deux pouvoirs constitués. (Plusieurs voix Non, non! Oui, oui !)

» Au reste le préopinant en faisant cette supposition s'est transporté à une époque à laquelle il espère lui-même que nous n'arriverons jamais; mais il a voulu comparer notre situation actuelle à la première époque de la révolution..... (Murmures.) Eh!'que n'y sommes-nous, messieurs! Alors tout le peuple était ensemble, alors nous étions tous le peuple (murmures); alors on n'aurait pas osé mettre en question devant le peuple le patriotisme de ceux qui lui sacrifiaient leur sang et leurs veilles.... (Murmures.) Un même intérêt animait tous les citoyens, et au milieu de ces orages nécessaires pour épurer l'air de la liberté combien de fois n'avons-nous pas désiré l'état où nous nous trouvons maintenant! Que de fois nous aurions voulu que le pouvoir exécutif nous eût donné de tels gages! Que de fois nous avons désiré de voir la Cons

titution établie, des lois enfin écrites et respectées, des autorités constituées agissantes! Lorsque nous avions à combattre des coalitions intérieures, lorsqu'on ne faisait pas un pas sans avoir à détruire des abus résistans, nous désirions l'époque où nous sommes comme le port du salut; par quelle fatalité voudrionsnous retourner en arrière ?........ (Murmures.) Pourquoi voudrions-nous agiter encore une fois, pour le malheur du peuple, les flots qui ont heureusement fait entrer dans le port le vaisseau de la patrie? (Applaudissemens.) Je répète que M. Vergniaud a fait de pures suppositions; j'y ai trouvé des dangers; je n'ai pas craint de les montrer au corps législatif.

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Je suis entièrement avec lui d'avis.... (Murmures; mouvemens d'impatience; interruption.)

» Quant à la proposition de M. Vergniaud d'adresser un message au roi sur les circonstances actuelles, de fonder une fois et pour toujours d'une manière solide l'accord qui doit régner entre les autorités constituées, je me réunis à son opinion, mais je demande que la commission extraordinaire des douze soit chargée de la rédaction de ce message; que la France y voie franchise, énergie et confiance, et qu'enfin le peuple soit tranquille, si vous voulez qu'il puisse défendre la liberté; car on combat mal dans l'agitation, et c'est dans le calme que naissent les résolutions fortes et constantes. Je ne doute pas que M. Vergniaud, après de plus mûres réflexions, ne s'empresse d'effacer la trace de ses soupçons; les sentimens qu'il a fait éclater à la fin de son discours ne me permettent pas de douter qu'il ne se réunisse à ma manière de penser sur ce point..... (Ah! ah! ah!) Messieurs, vous voulez la guerre, et moi la paix.

» Il me reste à parler maintenant de la propósition de M. Vergniaud de déclarer que la patrie est en danger. Ce cri d'alarme (c'est son expression) qu'il veut faire entendre dans tout l'Empire ne concorde point du tout avec sa première proposition, et ne peut avoir que de mauvais effets : votre déclaration ne serait point un remède. La patrie est environnée de dangers sans doute, et tous ces dangers sont connus ; mais la patrie n'est pas dans un imminent danger si le gouvernement constitutionnel prend enfin son essor. Voulez-vous exciter

le zèle patriotique, et non pas, comme l'a dit M. Vergniaud, la fermentation; voulez-vous exciter l'énergie des sentimens, et non pas, comme l'a dit M. Vergniaud, leur exaliation, hé bien, messieurs, que le message au roi soit le gage de votre accord parfait; que la paix soit ici, et, j'en suis le garant, elle sera dans tout l'Empire! (Murmures et applaudissemens.) Et le peuple agité, et le peuple fatigué, non pas des efforts de son zèle pour le maintien de sa liberté, mais bien des convulsions que des frénétiques lui communiquent sans cesse; le peuple, qui vous demande le repos dont il a besoin, le peuple n'aura plus d'inquiétude quand vous l'aurez assuré par cette conduite franche et loyale qu'il ne doit rien craindre des ennemis intérieurs.

» Permettez qu'un Français s'étonne d'une terreur qui comprime le courage, qui divise tous les citoyens; chacun cherche autour de soi des conspirateurs! Où sommes-nous donc, et quel autre état de choses auraient désiré les conjurés de Coblentz? Je le répète encore, la fin de nos maux, la fin du règne du mensonge, la paix, source de toute force, est dans vos mains; elle est ici! (Murmures.) Plus que jamais la confiance publique paut s'appuyer sur une base solide. Ces explications franches entre les autorités constituées... ( Une voix : Les ministres n'en veulent pas donner. Interruption.)

» Je me suis livré au mouvement de mon cœur ; mais je ne crois point errer en assurant que cette époque pourrait être la plus glorieuse de notre révolution. Il est temps que le peuple apprenne ses devoirs de la bouche de ceux qu'il a commis pour maintenir ses droits; méritons sa confiance (murmures ); méritons son respect, et nous n'aurons pas besoin de l'exiger; montrons-lui notre obéissance profonde pour les lois constitutionnelles, et toujours il obéira aux lois; ne souffrons pas qu'on lui dise qu'une nouvelle aristocratie s'élève sur les débris des priviléges, qu'une coalition nobiliaire l'assiége encore et le menace d'une nouvelle oppression. Pourquoi prononcer de nouveaux sermens? Les sermens inutiles accréditent les soupçons, 'affaiblissent l'idée de la sainteté de nos premiers engagemens... ( Murmures, ) Aucun de nous ne souffrira qu'aucune atteinte soit portée à l'égalité politique, garantie par la Consti

tution; nous l'avons jurée : mais je demande que nous opposions une invincible résistance aux factions qui veulent détruire réellement cette égalité par un système de nivellement qui, dissolvant le corps social, établirait la plus affreuse et la plus dure inégalité. Il faut que le peuple sache que la prétendue aristocratie des richesses ne peut pas exister, que le riche le plus prodigue et l'héritier le plus avare sont les meilleurs distributeurs, les meilleurs économes du pauvre... (Eclats de rire et murmures.)

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Oui, messieurs, ceux qui m'ont interrompu au moment où j'allais conclure par une réflexion que je crois nécessaire et extrêmement applicable aux circonstances actuelles, ceux-là ne parviendront pas sans doute à faire entendre que j'ai voulu faire l'apologie des richesses; j'ai voulu dire, j'ai dit au peuple que dans les richesses, ou, si vous voulez, dans l'inégalité des fortunes, se trouve le gage du salaire de la partie industrielle de la nation, de celle dont l'existence, plus précaire, doit nous intéresser davantage.

» J'ai dit qu'il était essentiel de graver cette vérité dans le cœur de nos concitoyens, qu'on cherche à égarer par une fausse doctrine; c'est aux lois sages et protectrices des propriétés à préparer une meilleure proportion de fortune; et puisque nous nous occupons des remèdes à apporter aux troubles publics, il ne faut pas laisser échapper l'occasion d'en montrer la plus dangereuse cause.

»Je conclus à ce qu'il n'y ait rien à délibérer sur les propositions de M. Vergniaud tendant à rendre les ministres responsables des troubles religieux et des événemens de la guerre autrement qu'en ce qui les concerne dans l'emploi des moyens qui leur sont donnés par la loi.

J'appuie la motion de M. Vergniaud tendant à ce qu'il soit envoyé un message au roi, et je demande que la commission des douze soit chargée de la rédaction.

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J'appuie encore la proposition d'envoyer ce message, et une adresse aux Français rédigée dans le même esprit, à tous les départemens.

» Je désire que ces mesures nous donnent enfin la paix, dont le peuple a besoin, En vous soumettant ces observations

j'ai fait ce que mon devoir me prescrivait; je me suis acquitté envers ma patrie : je cède la parole à ceux qui auraient quelque chose de mieux à dire. Si quid novisti rectiùs istis. »

(Voyez plus loin le discours de Brissot, sur les dangers de la patrie.)

Quelques membres votent l'impression du discours de M. Dumas; l'Assemblée rejette cette demande.

La proposition de M. Vergniaud tendant à déclarer la patrie en danger avait été généralement appuyée; mais avant d'adopter une pareille mesure il était indispensable d'en régler les formes; en conséquence on mit en délibération le projet présenté par M. Jean-Debry (voyez plus haut son rapport). Ce projet fut adopté le 5, avec quelques amendemens: un des plus importans, celui de M. Lagrevol, eut pour objet de qualifier d'acte du corps législatif l'acte qui déclarerait la patrie en danger, ce qui le rendrait non sujet à la sanction.

Décret de l'Assemblée qui règle les formes dans lesquelles le corps législatif pourra déclarer la patrie en danger. (Du 5 juillet 1792; sanctionné le 8 du même mois.)

« L'Assemblée nationale, considérant que les efforts multipliés des ennemis de l'ordre et la propagation de tous les genres de troubles dans les diverses parties de l'Empire, au moment où la nation, pour le maintien de sa liberté, est engagée dans une guerre étrangère, peuvent mettre en péril la chose publique, et faire penser que le succès de notre régénération politique est incertain;

» Considérant qu'il est de son devoir d'aller au-devant de cet événement possible, et de prévenir par des dispositions fermes, sages et régulières, une confusion aussi nuisible à la liberté et aux citoyens que le serait alors le danger lui-même;

>> Voulant qu'à cette époque la surveillance soit générale, l'exécution plus active, et surtout que le glaive de la loi soit sans cesse présent à ceux qui, par une coupable inertie, par des projets perfides ou par l'audace d'une conduite criminelle, tenteraient de déranger l'harmonie de l'Etat ;

» Convaincue qu'en se réservant le droit de déclarer le danger elle ́ en éloigne l'instant, et rappelle la tranquillité dans l'âme des bons citoyens;

» Pénétrée de son serment de vivre libre ou mourir, et de maintenir la Constitution; forte du sentiment de ses devoirs et des vœux du peuple, pour lequel elle existe, décrète qu'il y a urgence.

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