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ment qu'on porte à ce qui assure et garantit notre existence. Un jour, délivrés de leurs adversaires, environnés de plus de lumières et de moins de périls, ils diront avec Thomas Payne: << Tous les cultes qui rendent les hommes bons sont bons. » Un jour ils sentiront que cette variété de cultes est le produit nécessaire de ce qu'il y a dans le monde de plus divers et de plus varié, le sentiment et la pensée; qu'il est le résultat de vues également louables, et que cette diversité est plus agréable à l'être suprême que le froid spectacle d'un culte uniforme, dont la monotonie ressemble plutôt à l'étiquette réglée de la cour d'un despote qu'à l'émulation d'une famille nombreuse qui par des soins toujours nouveaux, par des hommages empressés et divers honore les auteurs de ses jours.

« Comme les sociétés populaires sont accusées par les uns de perpétuer l'anarchie et de saper la Constitution, comme elles sont regardées par les autres comme les plus fermes soutiens de la Constitution, nous n'avons pas cru devoir nous dispenser de vous en entretenir; et peut-être faut-il pour en parler avec impartialité être dans le cas où je suis, les connaître toutes, et n'être membre d'aucune : je ne ferai point à l'Assemblée nationale l'injure de croire que cette matière puisse réveiller en elle aucune passion; je n'aperçois point ici de sociétaires; je n'y vois que le majestueux spectacle d'une Assemblée de législateurs.

» Lors des premiers jours de la révolution des hommes à peine échappés au danger qui les menaçait ; des hommes qui, en passant tout à coup de l'état de sujet à l'état de citoyen, sentaient toutes leurs facultés élevées et ennoblies; qui pour la première fois éprouvaient le sentiment du lien commun qui les unissait, s'assemblèrent pour délibérer sur une situation si extraordinaire.

>>

Qu'on se figure des êtres qui sortent du tombeau et qui sont appelés à jouir d'une vie nouvelle : telle fut l'image de la résurrection des Français en 1789. Alors se développa au fond de tous les cœurs une passion différente de toutes les autres, puisque, loin de s'user, elle s'accroît par la jouissance; une passion qui absorbe tout ce qui n'est point elle, et qui devient tellement impérieuse que celui qui l'éprouve ne sent plus que

le besoin de vivre heureux par elle, ou de mourir satisfait pour elle; une passion dont toutes les pages de l'histoire uous attestent la puissance et les prodiges, et dont l'existence ne sera niée que par celui que la bassesse de son être condamne à ramper honteusement dans la fange des affections personnelies! Cette passion qu'ai-je besoin de la nommer lorsque je suis dans son temple et au milieu de ses défenseurs!

» Ce fut surtout dans les sociétés qu'elle prit naissance ; et par combien de services rendus à la chose publique ne se sontelles pas depuis signalées ! quel est le cœur glacé qu'elles n'aient pas échauffé! quel est l'égoïste qu'elles n'aient pas fait rougir! quel est le ma'heureux qu'elles n'aient pas soulage! quel est l'opprimé dont elles n'aient pas pris la defense! quel est le complot qu'elles n'aient pas ou prévu ou dévoilé! quelle est l'association de monarchistes qu'elles n'aient pas dénoncée? quel est l'homme de mérite qu'elles n'aient pas tiré de l'obscurité ! quelle est la ville où elles n'aient pas répandu l'amour de la liberté ! quels sont les villages qu'elles n'ont pas éclairés ! quel acte de dévouement patriotique ou quelle utile mesure de législation n'ont-elles pas provoqués! Tels sont les services qu'elles ont rendus tant qu'elles se moutrèrent difficiles sur le choix de leurs membres, tant qu'elles eurent pour maximes et pour réglement de ne jamais souffrir que la discussion s'ouvrît sur les lois déjà décrétées, ni qu'on avı'ît les autorités constituées; tant qu'enfin l'on vit un Mirabeau appeler ses collègues au secours d'une loi qu'on attaquait dans une de ces sociétés, et lui servir de rempart contre de factieuses atteintes.

>> On accuse aujourd'hui ces sociétés d'avoir violé tous ces réglemens, d'arrêter la marche de l'administration, de s'être emparé de la multitude comme d'un instrument favorable à leurs vues, de former une sorte de tribunal qui n'est pas dans la Constitution, et qui en rompt l'équilibre; d'entretenir l'anarchie, qui peut seule leur donner une grande importance; de vouloir changer un des points capitaux de notre gouvernement avant le terme fixé par l'acte constitutionnel, de former enfin par leur affiliation et leur correspondance une chaîne qui sou➡ met tous les pouvoirs à leur domination.

Telles sont les objections des deux partis : rapporteur

IX.

impartial, j'ai dû les présenter dans toute leur force ; reste à les examiner.

il me

» Il est dans la naturé de toute Assemblée nombreuse d'agir puissamment sur les âmes, et d'en faire sortir tout ce qu'elles renferment d'énergie, soit en bien, soit en mal; mais comme chez une nation sociable et civilisée un des premiers besoins des hommes est l'estime de leurs semblables, il en résulte que si le peuple est doux et éclairé toutes les passions nobles se montrent, toutes les passions viles se cachent. Qu'on propose dans une telle assemblée un grand acte de dévouement public, à l'instant mille voix animées du plus noble enthousiasme se disputeront l'honneur de vaincre en générosité l'auteur de la proposition qu'on y propose un crime, il sera repoussé avec horreur. Mais si le peuple est peu éclairé, s'il ne connaît pas la ligne qui sépare la liberté de la licence, s'il ne sait pas apercevoir les vues secrètes de ceux qui l'agitent, alors des hommes mal intentionnés pourront proposer une infraction à la loi comme le seul moyen de sauver la chose publique ; ils feront passer la calomnie comme un masque ôté à la perfidie, les outrages faits à tous les pouvoirs comme un grand service rendu à la patrie. Il en résulte donc que le seul moyen de donner une direction saine à toutes ces sociétés c'est d'éclairer le peuple.

La liberté peut périr en France de deux manières ; ou par un choc violent entre deux partis (et certes elle ne périra pas ainsi, parce qu'entre l'esclavage et la liberté le combat ne scra jamais douteux), ou par l'insubordination des citoyens, par la dissolution des pouvoirs, par la fatigue d'une longue et douloureuse anarchie. Quel est en effet l'homme un peu aisé qui puisse longtemps s'accommoder d'une situation où tout est en mouvement et en convulsion? On ne place pas son domicile, on n'établit pas des manufactures au pied du Vésuve. Dans un tel ordre de choses il n'y a de profit que pour les usurpa teurs et les brigands; il est prouvé par toute l'histoire qu'une révolution peut régénérer un empire, mais qu'une suite de révolutions le tue. Il est donc évident, pour tout homme qui sait ou qui veut voir, que le péril de la chose publique est dans l'anarchie, et qu'il n'est que là; que c'est là où tous nos ennemis

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nous travaillent; que c'est là où se réunissent tous les efforts des aristocrates, des brigands, des exagérés, les uns par le regret de leur pouvoir, les autres par le désir du pillage, les autres enfin, par cet entraînement qui les pousse toujours en avant, et qui les rend incapables de savoir s'arrêter jamais. Il faudra bien cependant que ce mouvement s'arrête, ou que nous périssions; il faudra bien cependant qu'après avoir détruit tous les anciens pouvoirs, nous respections ceux qui sont notre ouvrage : mais și, cédant toujours à cette première impulsion, qui fut de détruire, on traitait les nouvelles institutions comme les anciennes, alors il faudrait bien faire naufrage; et les brigands, qui par des signaux mensongers nous auraient attirés sur l'écueil, sont sur le rivage, et c'est là qu'ils nous attendent! Ici je m'adresse au peuple, et je lui dis : Qui est-ce qui a nommé ces magistrats? C'est vous. Qui est-ce qui a établi ces tribunaux ? C'est vous. Par qui ont été faites toutes ces institutions? C'est par vous et pour vous. C'est donc votre propre ouvrage que vous avilissez en les avilissant; c'est donc vousmême qui prenez les armes contre vous-même. Si vous n'êtes pas content de vos administrateurs, bientôt de nouvelles élections vous permettront de les remplacer ; si quelques unes des institutions nouvelles vous blessent, l'espoir d'un utile changement est dans l'acte constitutionnel : il ne faut ici que du temps et de la patience. Pourquoi se hâteṛ de couper un membre lorsqu'on peut le guérir? Le mal que peut vous faire un de vos fonctionnaires n'est que momentané; la loi est là pour le surveiller, et la justice pour le punir: mais le mal que vous vous faites en les avilissant tous est le plus cruel de tous les maux; vous vous tuez vous-mêmes pour vous épargner une légère incommodité; et lorsqu'on se permet dans quelques sociétés ces outrages contre les lois et leurs organes, où est donc l'accusateur public, où sont les lois vengeresses, où est la société?

» Mais les malveillans n'exageraient-ils pas les fautes pour avoir le plaisir de calomnier? En effet, n'est-il pas souverainement injuste de faire tomber sur tous les clubs en général les fautes particulières à quelques uns d'eux, de rendre responsable toute une société de la faute faite par un ou quelques uns de ses membres? D'un autre côté les clubs n'ont-ils pas pour ennemis

tous ceux qui par principe détestent la liberté, et ceux encore qui par pusillanimité sont incapables de s'élever jusqu'à elle? Et n'a t-on pas vu de quoi est capable une telle coalition lorsqu'elle a été chercher jusqu'en Allemagne un empereur pour l'opposer aux clubs? Les misérables appelaient Philippe dans Athènes sous prétexte de la pacifier ! Mais qui ne voit que c'était pour l'asservir; qui ne voit que la destruction des clubs devait servir de prélude à la destruction de la Constitution; que c'est à el e qu'ils ne peuvent pardonner, et que la guerre qu'ils nous préparent a pour prétexte les factieux, et pour objet les patriotes? Mais du moment où les puissances attaqueront les clubs tous les Français seront clubistes; les esprits sages modéreront alors l'ardeur impétueuse qui anime les esprits exagérés ; ils leur montreront comment chez un peuple où la loi est l'expression de la volonté générale c'est insulter le peuple entier, c'est manquer au souverain que d'enfreindre la loi, et comment on n'est vraiment libre et heureux que sous son empire. Dans la multitude de pièces que votre comité a eues à examiner il a trouvé les prêtres et les brigands à chaque page; il n'y a presque pas vu les clubs; il n'a point vu en eux un parti ennemi à combattre ; il y a vu des amis très ardens, qu'il faut éclairer et adoucir, mais que surtout il faut aimer. Les amis de la liberté sont dans toute la France; mais ses amans sont dans les clubs, et c'est peut être au prix qu'ils attachent à sa jouissance que l'on doit cet esprit de défiance qui anime quelques uns de leurs membres : croyez que, certains de sa possession, les inquiétudes et les exagérations viendront s'éteindre dans le charme d'un amour plus tranquille; jamais ils ne voudront voir changer aucun point de la Constitution que par les moyens qui sont en elle-même ; mais si jamais ils venaient à le vouloir, l'Assemblée nationale et la nation, se levant d'un même mouvement, leur feraient bien voir qu'ils ne sont qu'un minimum dans l'expression de la volonté publique !

» Et comment les esprits exagérés ne voient-ils pas que tous leurs efforts produisent un effet opposé à celui qu'ils en attendent; que plus ils semeront l'anarchie, plus la nation fortifiera son gouvernement; que plus ils voudront la république, plus elle se renfermera dans les bornes d'une monarchie libre?

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