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c'est sous ce rapport que vous devez envisager la Constitution. Indépendamment du serment que vous avez fait de la maintenir, si jamais on y porte atteinte, et si l'on examine avec la plus mûre réflexion les moyens que le patriotisme présentera pour sauver la liberté, j'ose croire, et j'en suis certain, qu'on trouvera sans déroger à la Constitution les moyens de la sauver. (Applaudissemens d'une grande partie de l'Assemblée.)

>> On vous a proposé ce matin un moyen très grand, très étendu, et certes il ne renferme en lui rien de contraire à la Constitution; et c'est ainsi que vous répondez à ceux qui prétendent qu'elle ne peut pas être sauvée par elle-même. Il est d'autres mesures qui vous seront présentées : ces mesures sont discutées dans la commission extraordinaire avec toute la maturité possible; là nous nous convainquons que les mêmes sentimens animent des hommes qu'on a cru opposés, et que ces sentimens se réunissent à l'unanimité quand on se donne le temps de discuter froidement et de s'éclairer, et la discussion, qui commence par des observations qu'inspirent à la fois et le patriotisme et les circonstances, finit par un résultat paisible et unanime. Hé bien, messieurs, il ne tient qu'à vous que cela existe dans votre enceinte : presque toutes les fois qu'il y a eu une vive opposition c'est parce qu'on ne s'était pas donné le temps de bien s'entendre; je pourrais le prouver les procès verbaux à la main : faites-y attention, et vous vous en convaincrez tous les jours. Cette conviction vous menera à la ferme résolution de discuter ici tranquillement et froidement, d'écouter tout le monde, et de ne jamais faire de crime à ceux qui parlent d'une manière opposée à vos sentimens; car, messieurs, le devoir ici n'est pas d'écouter ceux qui pensent comme nous, mais c'est d'écouter attentivement ceux qui ne pensent pas - comme nous. C'est d'après ces considérations que je demande l'impression du discours de M. Delaunay, parce qu'il est utile d'y répondre; mais je supplie l'Assemblée de ne point envoyer ce discours dans les départemens. » (Applaudissemens.)

L'Assemblée adopta la proposition de M. Vaublanc.

Le projet de décret présenté par M. Jean-Debry dans la

séance du 30 juin avait été mis à l'ordre du 3 juillet M. Vergniaud ouvrit la discussion.

OPINION de M. Vergniaud sur la situation de la France. (Séance du 3 juillet 1792, an 4 de la liberté.)

«Messieurs, quelle est donc l'étrange position où se trouve l'Assemblée nationale? Quelle fatalité nous poursuit, et signale chaque jour par de grands événemens qui, portant le désordre dans nos travaux, nous livrent à l'agitation tumultueuse des inquiétudes, des espérances et des passions? Quelles destinées prépare à la France cette terrible effervescence au sein de laquelle, si l'on connaissait moins l'amour impérissable du peuple ponr la liberté, on serait tenté de douter si la révolution rétrograde ou si elle arrive à son terme?

» Au moment où nos armées du Nord paraissent faire des progrès dans le Brabant et flattent notre courage par des augures de victoire, tout à coup on les fait se replier devant l'ennemi; elles abandonnent des positions avantageuses qu'elles avaient, conquises; on les ramène sur notre territoire, on y fixe le théâtre de la guerre, et il ne restera de nous chez les malheureux Belges que le souvenir des incendies qui auront éclairé notre retraite ! D'un autre côté et sur les bords du Rhin nos frontières sont menacées par les troupes prussiennes, dont des rapports ministériels nous avaient fait espérer que la marche ne serait pas si prompte. Telle est notre situation politique et militaire, que jamais la sage combinaison des plans, la prompte exécution des moyens, l'union, l'accord de toutes les parties du pouvoir à qui la Constitution délègue l'emploi de la force armée ne furent aussi nécessaires; que jamais la moindre mésintelligence, la plus légère suspension, les écarts les moins graves ne purent devenir aussi funestes.

» Comment se fait-il que ce soit précisément au dernier période de la plus violente crise, et sur les bords du précipice où la nation peut s'engloutir, que l'on suspende le mouvement de nos armées; que, par une désorganisation subite du ministère, on ait brisé la chaîne des travaux, rompu les liens de la confiance, livré le salut de l'empire à l'inexpérience de mains choisies au hasard, multiplié les difficultés de l'exécution, et

compromis son succès par les fautes qui échappent, même au patriotisme le plus éclairé, dans l'apprentissage d'une grande administration?

» Si l'on conçoit des projets qui puissent faciliter le complétement de nos armées, augmenter nos moyens de vaincre ou de rendre nos défaites moins désastreuses, pourquoi sont-ils précédés auprès du trône par la calomnie, et là étouffés par la plus perfide malveillance? Serait-il vrai qu'on redoute nos triomphes? Est-ce du sang de l'armée de Coblentz ou du nôtre dont on est avare? Si le fanatisme excite des désordres, s'il menace de livrer l'empire au déchirement simultané de la guerre civile et d'une guerre étrangère, quelle est l'intention de ceux qui font rejeter avec une invincible opiniâtreté toutes les lois de répression présentées par l'Assemblée nationale? Veulent-ils régner sur des villes abandonnées, sur des champs dévastés? Quelle est au juste la quantité de larmes, de misère, de sang, de morts qui suffit à leurs vengeances? Où sommes-nous enfin ? Dans quel abîme veut-on nous entraîner? Et vous, messieurs, qu'allezvous entreprendre de grand pour la chose publique?

Vous, dont les ennemis de la Constitution se flattent insolemment d'avoir ébranlé le courage;

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Vous, dont ils tentent chaque jour d'alarmer les consciences et la probité en qualifiant l'amour de la liberté d'esprit de faction, comme si vous pouviez avoir oublié qu'une cour despotique donna aussi le nom de factieux aux représentans du peuple qui allèrent prêter le serment du jeu de paume; que les lâches héros de l'aristocratie l'ont constamment prodigué aux vainqueurs de la Bastille, à tous ceux qui ont fait et soutenu la révolution, et que l'Assemblée constituante crut devoir l'honorer en proclamant dans une de ses adresses (1) que la nation était composée de vingt-quatre millions de factieux. (Applau dissemens.)

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Vous, qu'on a tant calomniés parce que vous êtes presque tous étrangers à la caste que la Constitution a renversée dans la poussière, et que les intrigans qui voudraient la relever, et les hommes dégradés qui regrettent l'infâme honneur de ramper

(1) Voyez tome III, page 115.

devant elle, n'ont pas espéré de trouver en vous des complices (applaudissemens);

>> Vous contre qui l'on ne s'est déchaîné avec tant de fureur que parce que vous formez une assemblée véritablement populaire, et qu'en vous on a voulu avilir le peuple;

» Vous qu'on a si lâchement accusés de flétrir l'éclat du trône constitutionnel, parce que plusieurs fois votre main vengeresse a frappé ceux qui voulaient en faire le trône d'un despote;

» Vous à qui l'on a eu l'infamie et l'absurdité de supposer des intentions contraires à vos sermens, comme si votre bonheur n'était pas attaché à la Constitution, ou comme si, investis d'une autre puissance que celle de la loi, vous aviez une liste civile pour soudoyer des assassins contre-révolutionnaires;

» Vous que, par l'emploi perfide de la calomnie et du langage d'une bypocrite modération, on voudrait refroidir sur les intérêts du peuple parce qu'on sait que vous tenez votre mission du peuple, que le peuple est votre appui, et que si par une coupable désertion de sa cause vous méritiez qu'il vous abandonnât à son tour il serait aisé de vous dissoudre;

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Vous que l'on a voulu, et, il faut le dire avec douleur, qu'on est parvenu à affaiblir par de funestes divisions, mais qui sans doute, dans la crise actuelle où la nation fixe ses regards inquiets sur cette enceinte, sentirez le besoin de reprendre toutes vos forces; qui ajournerez après la guerre nos bruyantes querelles, nos misérables dissensions (applaudissemens); qui déposerez au pied de l'arbre de la liberté notre orgueil, nos jalousies, nos passions; qui ne trouverez pas si doux de vous haïr que vous préfériez cette infernale jouissance au salut de la patrie;

» Vous que l'on a voulu épouvanter par des pétitions armées, comme si vous ignoriez qu'au commencement de la révolution le sanctuaire de la liberté fut environné des satellites du despotisme, Paris assiégé par une armée, et que ces jours de dangers furent ceux de la véritable gloire de l'Assemblée constituante;

» Vous sur qui j'ai cru devoir présenter ces réflexions rapides, parce qu'au moment où il importe d'imprimer une forte

commotion à l'opinion publique il m'a paru indispensable de dissiper tous les prestiges, toutes les erreurs qui pourraient atténuer l'effet de vos mesures;

» Vous enfin, à qui chaque jour découvre un immense horizon de conjurations, de perfidies et de dangers, qui êtes placés sur les bouches de l'Etna pour conjurer la foudre, quelles seront vos ressources, que vous commande la nécessité, que vous permet la Constitution?

» Je vais hasarder de vous présenter quelques idées : peutêtre aurais-je pu en supprimer une partie d'après les nouvelles propositions qui vous ont été faites par le roi; mais des événemens plus récens encore me défendent encore cette suppression, qui d'ailleurs m'eût paru une bassesse depuis qu'on a voulu influencer nos opinions. Un représentant du peuple doit être impassible devant les baïonnettes comme devant la calomnie. (Applaudissemens.)

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J'appellerai d'abord votre attention sur les troubles intérieurs. Ils ont deux causes; manœuvres nobiliaires, manœuvres sacerdotales: toutes deux tendent au même but, la contrerévolution.

» Vous préviendrez l'action de la première par une police sage et vigoureuse : il faut se hâter d'en discuter les bases. Mais lorsque vous avez fait tout ce qui était en vous pour sauver le peuple de la terrible influence de la seconde, la Constitution ne laisse plus à votre disposition qu'un dernier moyen : il est simple; je le crois cependant juste et efficace. Le voici.

» Le roi a refusé sa sanction à votre décret sur les troubles religieux. Je ne sais si le sombre génie de Médicis et du cardinal de Lorraine erre encore sous les voûtes du palais des Tuileries; si l'hypocrisie sanguinaire des jésuites Lachaise et Letellier revit dans l'âme de quelques scélérats, brûlant de voir se renouveler la Saint-Barthélemy et les dragonnades; je ne sais si le cœur du roi est troublé par des idées fantastiques qu'on lui suggère, et sa conscience égarée par les terreurs religieuses dont on l'environne.

» Mais il n'est pas permis de croire, sans lui faire injure et l'accuser d'être l'ennemi le plus dangereux de la révolution, qu'il veuille encourager par l'impunité les tentatives criminelles

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