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vous annonce cette destitution, scandaleuse lui fait dire qu'il veut la Constitution!.... Et nous, messieurs, , songeons que nous sommes les représentans d'un peuple qui veut la liberté et l'égalité, d'un peuple prêt à réclamer enfin tous ses droits, et à consommer une véritable révolution si ses eanemis le réduisent à cette nouvelle extrémité; d'un peuple disposé à redevenir ce qu'il fut en 1789, c'est à dire n'ayant d'autre passion que celle d'être libre, et d'autre besoin que celui d'anéantir ses oppresseurs! (Applaudissemens.)

» Ce peuple, qui connaît le péril de la chose publique, est dans l'attente d'une mesure extraordinaire et forte de la part de ceux à qui il a confié ses destinées ; il sait que votre mission est d'exécuter son vou, et de statuer ce qui est voulu par la nation: or la nation, qui veut directement et avant tout que la révolution soit stable et que la liberté triomphe, ne veut la Constitution que selon qu'elle assure cette stabilité de régénération et cette victoire sur la tyrannie. Si donc un respect irréfléchi pour des principes de législation générale qui ne peuvent s'appliquer à des circonstances imprévues, au lieu de servir au maintien de la révolution, devient l'aliment de coupables espérances et une ressource pour la perfidie, craignez que vos commettans ne vous reprochent cette superstition politique comme une erreur dangereuse qui va tout perdre, et qui vous constituent violataurs de la volonté nationale!

» Nous avons tous juré de maintenir la Constitution, et nous la maintiendrons; mais nous avons aussi juré avant tout de vivre libres ou de mourir; et certes un engagement postérieur et toujours subordonné au plus saint des sermens, ne peut jamais être l'engagement de laisser périr la liberté, la Constitution elle-même, et d'inonder l'empire du sang de nos concitoyens !

» Si par exemple, cette Constitution prêtait à un chef égaré. ou pervers une force et une autorité qui deviendraient dans ses mains un instrument de conspiration contre la liberté; si cette Constitution lui attribuait les intarissables moyens d'un trésor corrupteur, et qu'il tournât contre le peuple le prix de la sueur et des larmes du peuple, croyez-vous que la nation vous par

donnât d'alléguer votre engagement constitutionnel pour laisser subsister cette racine de calamités et subversion?

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Messieurs, la révolution n'est pas faite; et quand nos prédécesseurs, en nous remettant le dépôt sacré de la Constitution, ont dit que la révolution était achevée, sans doute ils le désiraient; mais, quelque immense que fût leur pouvoir, ils n'avaient pas celui de commander aux passions.

» Une révolution n'est pas faite tant que l'anarchie dure encore et que l'aristocratie conspire; elle n'est pas faite quand des factions déchirent l'empire, et que les différens partis font servir la Constitution d'instrument à leurs vues ambitieuses ou à la bassesse de leurs calculs particuliers; une révolution n'est pas faite alors qu'un général, les armes à la main, ose dans un manifeste donner des leçons aux représentans du peuple; alors qu'il abandonne son poste pour solliciter à la barre de l'Assemblée nationale ce que demandait Léopold, ce que demandent encore les Autrichiens, la dissolution des sociétés populaires créées par la Constitution; alors qu'il se dit l'organe ́du vœu délibératif d'une armée essentiellement obéissante, qui, constitutionnellement, ne peut délibérer! Rappelez-vous, messieurs que quand César du fond des Gaules, et à la tête d'une armée victorieuse, dictait aussi des leçons au sénat, il était bien près de passer le Rubicon: on l'en punit; mais l'exemple était donné, et la liberté fut perdue!

» Je suis loin de comparer le jeune général dont je parle à César, à ce guerrier couvert de triomphes et de victoires, à cet homme extraordinaire dont le génie égalait l'empire qu'il asservit; on ne me reprochera pas de faire en ce sens des rapprochemens là où il existe une distance incommensurable. Je ne tremble point pour la liberté de mon pays; elle n'est point attachée aux petites intrigues d'un seul homme qui se croit le chef d'une faction lorsqu'il n'en est que l'instrument : les Français la veulent, et telle est ma confiance dans le patriotisme de l'armée, que, s'il pouvait un jour naître parmi nous un César, chaque soldat de la liberté deviendrait à l'instant un Brutus qui nous sauverait du protectorat d'un tyran! (Vifs applaudissemens. )

» Je dis, messieurs, que tant que dure l'état de révolution dans un empire un engagement constitutionnel ne peut jamais signifier que l'engagement de ne rien ajouter ni retrancher à la Constitution jusqu'à l'époque assignée pour en faire la révision mais dire que cet engagement nous empêche de prendre des mesures de police et de sûreté pour sauver la Constitution, pour sauver la liberté, pour sauver le peuple, c'est dire qu'un voyageur qui a juré de suivre l'itinéraire dont on l'a pourvu pour régler sa marche le doit consulter et observer dans toutes les suppositions, et lors même que, poursuivi par des furieux, il s'agit de trouver un abri contre le glaive qui le

menace.

:

» Notre position est pressante, et le peuple, qui vous demande son salut, vous donne tout l'exercice de sa souveraineté partout et dans tous les temps sa puissance est absolue; et, dans ce moment de la plus grande crise qui ait excité ses inquiétudes, il vous crie de vous affranchir de tout ce qui entrave ou circonscrit la marche des déterminations que vous commande l'état périlleux de la chose politique.

» Je demande que l'Assemblée nationale décrète que jusqu'à ce qu'elle ait jugé que l'empire est en état de paix, et que la révolution est définitivement close, arrêtée et terminée, les représentans de la nation, dans les mesures de surveillance ou de répression à déterminer contre les conspirateurs, les perturbateurs et tous les ennemis de la liberté, ne consulteront que l'imminence du danger public et la loi suprême du salut du peuple. » (Applaudissemens du côté gauche et des tribunes publiques.)

L'opinion de M. Delaunay, accueillie d'un côté, improuvée de l'autre, avait frappé tous les esprits : plusieurs membres en demandaient l'impression; d'autres s'y opposaient; M. Jaucourt en votait le renvoi aux Jacobins; M. Lacuée invoquait les sermens faits à la Constitution, les regardant comme violés si la proposition de l'orateur était prise en considération.

M. Isnard. « Je demande que le discours de M. Delaunay soit imprimé et envoyé aux quatre-vingt-trois départemens.....

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on sait

(Applaudissemens du côté gauche et des tribunes.) C'est assez et trop longtemps oublier que nous avons juré de garder le dépôt de la liberté française! Il faut que celui qui commande à toutes les factions, il faut que la nation entière connaisse le danger et le précipice où on l'entraîne; car, il n'est plus temps de se le dissimuler, il existe une coalition puissante qui veut détruire la Constitution.... (applaudissemens du côté droit) qui veut détruire la Constitution avec la Constitution elle-même : que par ces lois écrites à la place des droits immuables de l'homme, d'après lesquels a été fait l'esprit de la Constitution, on détruira la liberté française. Il n'est plus temps de se dissimuler que c'est là le projet de nos ennemis; que les vrais amis de la Constitution sont ceux qui viennent de parler avec le courage de M. Delaunay; que ses vrais ennemis sont ceux qui l'improuvent... (Murmures à droite.) Ce n'est pas avec des sophismes, avec des raisonnemens d'avocat que l'on enchaîne une grande nation. Les vrais ennemis de la Constitution sont ceux qui, au mépris de toutes les lois, ont permis qu'un général vînt à cette barre.... ( Nouveaux murmures.) Silence, messieurs, j'ai le droit de parler.... (Applaudissemens.) Cette tribune a été souillée par l'éloge d'un coupable; il faut la purifier. (Applaudissemens des tribunes.) Oui, les ennemis de la Constitution sont ceux qui ont permis que dans le sein même de cette Assemblée on vînt en déchirer une page; là (montrant la barre), lorsqu'un général s'est présenté pour dicter en quelque sorte des lois aux représentans d'un grand peuple (applaudissemens à gauche), et lorsque les représentans d'un grand peuple, au lieu de faire arrêter sur le champ et traduire à Orléans un soldat téméraire......... (Applaudissemens.) Voilà, messieurs, où conduit l'impunité! (Bruit.) Déjà ce général s'est indigné de ce que vous n'avez pas encore délibéré sur les lois qu'il vous prescrit! Au reste, messieurs, je partage parfaitement l'idée de M. Delaunay, qu'on ne peut comparer ce jeune citoyen ni à César ni à Cromwell; ce serait à la fois lui faire trop de tort et trop d'honneur. (Applaudissemens.} Il est une puissance qui s'élèvera au-dessus de toutes les factions; il est une puissance devant laquelle la faction dont j'ai parlé sera démasquée, qui déjouera toutes les intrigues, qui humi

liera les protecteurs, qui fera trembler une cour qui vous trahit; cette puissance c'est la nation! (Applaudissemens.) Et cette puissance-là applaudirà à la mesure qu'on vous propose, et c'est afin de lui mettre sous les yeux les dangers de la patrie que je demande l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens du discours de M. Delaunay, pour faire pendant au discours de M. Pastoret, qui n'est qu'une dose d'opium donnée à un agonisant. » (Applaudissemens.)

M. Viénot-Vaublanc. « Messieurs, il est deux manières de considérer la proposition qui vous a été faite par M. Delaunay; on peut la considérer sous son rapport avec les principes constitutionnels, et l'on peut la considérer sous son rapport avec les circonstances politiques où nous sommes. Je ne veux pas examiner le premier rapport; je ne m'arrête qu'au second. Je suis convaincu que l'erreur de M. Delaunay (murmures) ne provient pas du cœur, mais de l'esprit, et c'est ainsi que nous devons dans cette enceinte juger toutes les opinions de nos collègues. En examinant ce qui me paraît une erreur de l'esprit, et en ne l'examinant que sous le rapport des circonstances politiques, je lui dirai: Monsieur.... » (Murmures.)

M. Dumas. « Laissez-nous repousser la coupe empoi

sonnée !.... »

que

M. Vaublanc. « Je lui dirai : Avez-vous calculé l'effet pourra produire dans la France la moindre atteinte portée ou à l'esprit ou à la lettre de la Constitution? Avez-vous examiné s'il était un moyen plus sûr de mettre la discorde dans la nation, et vous êtes-vous convaincu que la seule chose qni puisse faire périr la liberté c'est la discorde dans la nation, et que si elle reste unie la nation demeure invincible, la liberté impérissable?.... Messieurs, les hommes qui réfléchissent sur ce qui existe reconnaissent l'avantage inexprimable d'un peuple qui consacre son indépendance, la lie par un acte constitutionnel qui ramène vers lui toutes les volontés, qui organise toutes les forces, qui met le plus grand rapport entre les peuples et les lois, qui maintient l'union, l'union! sans laquelle il est impossible de repousser nos dangereux ennemis. Oui, messieurs,

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