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soutenue, une physionomie plus austère: c'est en proportionnant l'étendue de leurs devoirs à la gravité des circonstances. Aussi votre commission a-t-elle pensé que l'exemple de cette circonspection devait principalement sortir du corps législatif, et que, non seulement pour soumettre la proposition de déclarer le danger de la patrie au calme de la réflexion; mais encore pour écarter de votre détermination les suggestions de la malveillance et les dangers de l'instantanéité, vous deviez vous entourer de précautions suffisantes pour ne pas affaiblir ou compromettre une aussi grande ressource, et l'impression que doit produire un tel décret.

» Passant aux détails d'exécution, nous n'avons pas cru devoir nous borner à des généralités qui disent trop ou trop peu. C'est une grande idée que celle qui présente vingt-cinq millions d'hommes levés pour repousser le despotisme; mais quand on l'analise sous le rapport de l'événement on voit, ainsi que je vous l'ai dit, que si ce mouvement n'est pas réglé il n'est plus qu'une commotion profonde qui peut être funeste à une foule d'individus, et peut-être même à la liberté. L'ordre, le besoin de chefs habiles, les soldes, les approvisionnemens, les subsistances de chaque jour, tout demande ici que l'action soit concertée; c'est pourquoi votre commission vous proposera de fixer le nombre de ceux qui se rendront au poste du danger, d'en laisser le choix aux citoyens réunis, et de remettre la surveillance intérieure à ceux qui attendront que leur tour de remplacer leurs frères d'armes soit arrivé. Tous doivent être avertis et préparés; mais nul ne pensera qu'il faille abandonner toutes les occupations qui maintiennent la vie sociale pour se porter confusément aux lieux de l'attaque : huit jours d'une semblable existence seraient la mort du corps politique.

» Les difficultés de l'armement nous ont aussi arrêtés; mais, indépendamment de la fabrication journalière de nos manufactures et des achats multipliés que vous devez ordonner, lorsque nous avons envisagé pour quelle cause les armes nationales devaient être employées, nous n'avons pas douté un instant qu'elles ne fussent confiées temporairement, suivant votre vœu, à ceux que leurs concitoyens choisiraient pour les défendre. La loi, messieurs, ne doit pas calculer d'après des suppositions

improbables ou criminelles; et lorsque vous aurez proclamé le péril de la patrie l'intérêt ne sera pas qu'un citoyen isolé reste armé chez lui, mais que les défenseurs de tous puissent la défendre.

» Il me reste une observation importante à vous faire ; c'est qu'il ne faut pas juger un état de choses passager et extraordinaire, tel que celui dont je parle, d'après un état permanent de tranquillité; et si jamais cette manière de voir peut être dangereuse, c'est lorsqu'on essaie une Constitution, lorsque toutes les passions font effort pour dissoudre un gouvernement qui les comprime, et pour lui en substituer un autre; c'est lorsque l'inertie des uns, la corrosive activité des autres ont détruit tous les ressorts, et que la rébellion se lève : alors le salut du peuple est la loi suprême; il est la raison suffisante des mesures du législateur; c'est par elle surtout que je justifierais la peine de mort que nous vous proposerons de décréter contre toute personne revêtue d'un signe de révolte, l'ordre à tout citoyen de l'arrêter ou de la dénoncer, et l'attribution de la poursuite aux tribunaux ordinaires. Messieurs, dans ces momens terribles il faut opter entre la paix de sang qu'offre le despote qui tient ses chaînes prêtes, et l'ordre de la loi, qui n'est rigoureuse un instant que pour mieux nous sauver.

» En terminant ici cette courte exposition des motifs du décret que je vais vous présenter, il m'est doux de penser que ces jours de deuil et d'énergie peuvent encore s'éloigner de nous. Non, ni la coalition des tyrans, ni ces méprisables intrigues d'un jour avec lesquelles on veut nous diviser, ne me paraissent telles que la nation doive se lever pour les dissiper, si nous n'oublions pas ce qu'est le despotisme et la liberté, si nous nous pressons autour des principes de notre Constitution, si nous nous rappelons les époques glorieuses de sa fondation, si nous ne perdons pas de vue que dans dix mois nous aurons à remettre intact et sans altération à nos successeurs le dépôt des droits qui nous a été confié. Oui, messieurs, alors nous irons. en avant; car nous sentirons qu'il n'y a pas d'instant à perdre; nous apprécierons à leur valeur ces plans de politique obscure qui en dernier résultat donnent toujours la misère du grand nombre et l'orgueil de quelques-uns; notre mépris fera justice de ces injures mendiées contre le corps législatif, et qui n'ont

d'autre effet que d'attester la basse cupidité ou l'odieuse immoralité de leurs signataires. Eh! ce n'est point avec de tels moyens que chez les Français éclairés on ébranle un système dont les racines éternelles, attachées à la nature, croissent et vivent avec elle. Mais il est important, il est instant de rassurer le peuple placés par lui sur la hauteur, c'est à notre contenance qu'il juge de sa propre position : n'omettons aucune précaution; soyons calmes et serrés, et notre tranquillité sera le gage et le fondement de la tranquillité des citoyens ! » (Applaudissemens.)

Le rapporteur fit lecture d'un projet de décret qui, en réservant au corps législatif le droit de déclarer la patrie en danger, réglait les formes de cette proclamation et les devoirs des citoyens dans les cas où elle serait faite. L'Assemblée en ajourna la discussion à quelques jours, et décréta l'envoi du rapport aux quatre-vingt-trois départemens. Dans la même séance M. Delaunay obtint la parole pour ajouter aux mesures proposées par la commission.

OPINION de M. Delaunay (d'Angers) sur les mesures géné– rales à prendre pour la sûreté de l'Etat. (Séance du 30 juin 1792, an 4 de la liberté.)

K

Messieurs, vous venez d'ouvrir la discussion sur les mesures générales qu'il faut prendre pour assurer la tranquillité du royaume je vais vous en présenter une.

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Lorsque la liberté publique est en danger; lorsqu'un empire, affranchi du joug du despotisme, et après avoir passé par les angoisses d'une longue et laborieuse révolution, est menacé de l'opprobre de son ancienne servitude et des vengeances de la tyrannie; lorsque des forces étrangères et ennemies, armées pour foudroyer un peuple dont le seul crime est d'avoir recouvré le sentiment de sa grandeur et les titres de sa souveraineté, trouvent des complices de leur conjuration dans des hommes qui vivent au milieu de nous, dans une cour qui existe près de cette enceinte, dans tout ce qui environne le premier fonctionnaire public, qui n'a été revêtu de cette éminente qualité qu'après avoir solennellement accepté la Cons

titution de l'égalité et de la liberté; lorsqu'enfin les représentans du souverain, éclairés sur la fausseté de leur confiance dans une administration exécutive qui trahit tout et qui perd tout en feignant de vouloir tout sauver, sont placés dans uue circonstance extraordinaire, où tout les avertit qu'une grande. et désastreuse explosion se prépare pour replonger la nation dans l'avilissement de l'esclavage; alors, messieurs, il n'y a plus qu'un principe qui doive guider les envoyés du peuple, un principe que je voudrais voir graver dès ce moment en caractères profonds et ineffaçables sur le mur du sanctuaire des lois, et dans les termes suivans :

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Jusqu'après l'extinction de tous les foyers de conspiration et la clôture définitive de la révolution de l'empire les représentans des Français, dans leurs déterminations. répressives contre les conspirateurs et les perturbateurs de l'ordre public, ne consulteront que la loi impérieuse et supréme du salut public.

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Et qu'on ne dise pas que je propose d'attenter à la Constitution! (Murmures.) Je sais que le plus sacré des devoirs d'un législateur est de s'attacher à la rigueur de la loi, et de l'étendre inflexiblement à tout ce qui peut assurer le bonheur du peuple; je sais que dans ces momens de troubles la Constitution est le seul étendard autour duquel doivent se rallier les amis de l'ordre et de la liberté ; je sais qu'elle est plus que jamais un bouclier nécessaire contre les mauvaises lois dont les intrigans inspirent l'idée au peuple, je sais qu'il importe que nous présentions aux puissances étrangères la Constitution comme une loi irrévocable, comme une colonne dont les bases. immortelles se composent de la volonté constante et des forces réunies de vingt-cinq millions d'hommes,

de révolution le choc

» Mais je sais aussi dans les temps que des intérêts opposés, l'exaspération des esprits, la combinaison de faits singuliers qui produisent des événemens extraordi➡ naires; qu'enfin la malveillance et la perfidie, qui se mettent hors de la loi, forcent souvent le législateur, pour le maintien et pour l'affermissement de la Constitution, de prendre des mesures qu'elle n'a pas exprimées, mais qu'elle n'a pas formellement interdites.

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C'est, messieurs, une maxime établie sur les notions élémentaires de la philosophie politique, que le salut et le bonheur du peuple sont la dernière fin de toute constitution et de tout système de législation; que tout est subordonné à la nécessité que sa régénération s'achève, et qu'il soit enfin imperturbablement à couvert de toute rechute dans les fers de ses oppresseurs.

» Si donc il était prouvé que, dans un temps où toutes les manœuvres de la perfidie nous environnent, au dedans, et où des légions armées par les despotes étrangers nous menacent au dehors, l'observation littérale et rigoureuse de la Constitution deviendrait le tombeau de la Constitution même, et ménagerait de toute part des issues au souffle homicide de l'esprit de subversion et de contre-révolution je vous le demande, quel est le citoyen juste et vertueux qui osât vous dire que vous devez immoler la nation et sacrifier la liberté du peuple plutôt que de prendre une mesure de sûreté que la Constitution n'a pas prévue?

» Messieurs, quand une Constitution est née au sein des tempêtes et des grandes convulsions d'une révolution, et que cette révolution se prolonge, alors la Constitution, ce gage sacré de la sagesse législative, est là non pour être actuellement le régulateur d'une machine que les flots agitent encore, et dont les vacillations au milieu des vents et des orages suspendent tous les mouvemens, mais il est là pour être le grand ressort du régime de l'empire lorsque l'empire, sorti de l'état de révolution, n'aura plus qu'à se gouverner, et qu'à faire jouir ses fortunés habitans de tous les trésors de la liberté et de la paix. (Applaudissemens des tribunes.)

» Il n'est pas permis de le dissimuler; c'est avec la Constitution que nos ennemis préparent la contre-révolution et veulent tuer la liberté; et lorsqu'en dernier lieu une cabale odieuse ravit à leurs fonctions des ministres d'un civisme incorruptible... (Ah, ah, ah!) Je le répète à ceux qui feignent d'en douter, des ministres d'un civisme incorruptible (M. Jaucourt: A la probité près !), et les premiers qui aient été assez grands pour faire entendre au monarque le langage de l'austère vérité, le rédacteur de la lettre par laquelle ce monarque

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