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nons pas vingt-sept millions d'hommes pour vingt-sept millions de philosophes; on ne gouverne pas les empires avec d'inutiles efforts vers une perfection imaginaire: porter cette marque extérieure hors de l'exercice de ses fonctions et dans son enceinte domestique ce serait enter la vanité puérile des esclaves sur la noble simplicité d'une nation libre; mais en est-il de même du moment où l'on exerce un ministère utile et respecté ? Rappelons ces paroles d'un grand homme, qu'on n'accusera ni d'amour pour le faste ni d'attrait pour la futilité, de Rousseau « La majeté du cérémonial, dit-il, impose au

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peuple; elle donne à l'autorité un air d'ordre et de règle qui inspire la confiance, et qui écarte les idées de caprice et de >> fantaisie attachées à celle du pouvoir arbitraire. »

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» Telles sont les causes principales qui tiennent aux pouvoirs établis par la Constitution: il en existe pareillement hors des autorités constituées, et je vais essayer d'en présenter le tableau. » Une guerre est entreprise pour défendre notre liberté. Jamais les peuples sortis de l'esclavage ne furent plus grands que lorsque leur patrie était menacée : si la France, gouvernée par un despote, résista seule à l'Europe entière, serait-elle moins puissante quand elle a brisé ses fers, quand elle a autant de soldats que de citoyens? Non, messieurs, l'armée d'un tyran est bornée; celle d'un peuple libre ne l'est pas; c'est lui tout entier. Gardons-nous cependant de nous abandonner aux exagérations ridicules d'une confiance aveugle ou d'une imagination égarée; que la prudence et l'humanité nous accompagnent toujours! Pénétrée de ce double sentiment, votre commission extraordinaire vous présentera un mode par-ticulier d'augmenter nos défenseurs quand le corps législatif aura proclamé dans des circonstances difficiles que la patrie est en danger; elle vous proposera aussi d'accorder une indemnité aux citoyens dont la guerre aura livré les propriétés à la dévastation ou au ravage. On combat pour tous; la liberté est à tous: tous doivent payer pour la défendre; tous doivent dédommager ceux qui souffrent pour elle! (Applaudissemens.)

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» L'armée sera le sujet de deux autres rapports. Dans l'un nous vous soumettrons un moyen de porter dans vos camps une très grande partie des forces répandues dans l'intérieur de

l'empire, sans exposer la sûreté de vos places et de vos magasins de guerre, sans obliger cependant les citoyens à faire de nouveaux sacrifices à la patrie. Dans l'autre nous vous exposerons la nécessité d'envoyer sur nos frontières du nord et dans le midi des commissaires chargés non de donner des ordres où de remplir une fonction exécutive, mais de vérifier l'état actuel des approvisionnemens, des troupes de ligne, des gardes nationaux, de leurs armes, et d'acquérir ainsi par eux-mêmes toutes les connaissances utiles pour la confection des lois et pour l'exercice de la surveillance générale qui nous est confiée.

» Enfin une grande question s'est présentée, celle de savoir si le droit de pétition doit subsister tout entier pour les généraux sur les objets qui ne tiennent point au métier des armes; nous nous sommes livrés à son examen, et nous vous en offrirons bientôt le résultat.

» Mais tandis que votre pensée s'arrêtera sur ces délibérations importantes, tandis que les soldats de la liberté marcheront pour la défendre, vous aurez à réprimer dans l'intérieur de l'empire tous les ennemis de la Constitution. Ceux dont la religion est le prétexte sont les plus dangereux : il ne peut exister un culte qui défend d'obéir aux lois, et si ce culte existait il faudrait en purger la terre : l'obéissance et le respect pour les autorités établies sont au contraire un précepte formel du christianisme. Cependant il n'est pas de moyens que ses ministres insermentés n'emploient pour égarer et pour séduire ; ils en ont pour tous les caractères, pour toutes les consciences; ils subjuguent l'homme scrupuleux par la crainte du remords, l'homme timide par des menaces, l'homme orgueilleux par l'espérance de la domination et la promesse de la gloire : ils appellent faux pasteurs le prêtre ami de la Constitution; ses discours sont impies, ses actions sacriléges; le mariage qu'il bénit est un concubinage honteux, dont la malédiction divine frappe d'avance la postérité. Leurs efforts sont surtout dirigés contre les habitans des campagnes, et plus d'une fois ces hommes simples et vertueux se laissèrent entraîner par des insinuations perfides. Vous avez senti, messieurs, que la tolérance des cultes et la liberté des opinions ne pouvaient aller jusqu'à l'impunité de la désobéissance et du crime: le roi a refusé sa sanction à vos décrets : cependant les maux subsistent; au lieu

de s'affaiblir ils croissent et se fortifient; des mesures répressives sont donc indispensables. Nous vous proposerons une loi nonvelle, et nous aimons à penser qu'elle sera adoptée par le représentant héréditaire de la nation.

» Nous avons aussi pensé qu'un de nos devoirs les plus impérieux comme les plus doux était de prémunir le peuple contre tous les genres de séduction et de fanatisme. L'opinion publique est un levier puissant dont il serait dange reux de ne pas calculer ou de calculer mal la force et la résistance; l'autorité nationale doit la diriger; mais elle ne peut le faire que par l'instruction: si la police a été créée pour prévenir les fautes, et par là dispenser de punir, l'instruction empêchera d'avoir jamais l'idée même de les commettre; elle est, si je puis m'exprimer ainsi, la police de la nature. L'homme a deux grands objets dans la carrière sociale: son but envers lui est de se rendre heureux; son but envers les autres de se rendre utile. Il est facile de prouver que sa santé morale est dans la raison, dans la bonté, et que l'ignorance ou l'erreur sont pour lui un véritable état de maladie : tout ce qui est juste lui est utile; tout ce qui lui est essentiellement utile est juste; bonté, justice, utilité, en paraissant offrir des significations différentes, sont réellement des mots synonymes. On ne répétera jamais assez au peuple ces maximes salutaires. Que des adresses envoyées par vous le garantissent donc contre les écrits séditieux, les discours fanatiques, les hypocrites conseils des ennemis ouverts et des ennemis cachés de la liberté; qu'elles lui fassent sentir tous les avantages d'une Constitution qui a replacé sur leurs bases éternelles l'égalité des hommes et la souveraineté des peuples!

» Les sociétés populaires ont pareillement été le sujet de nos discussions. (Ah, ah, ah!) La France serait encore sous le joug de l'esclavage s'il était défendu soit à des hommes rassemblés, soit à des individus isolés de désapprouver tel ou tel acte de l'administration publique, tel ou tel acte même du corps législatif : la Constitution le permet non seulement quand elle fonde dans la garantie des droits la liberté de la presse, mais encore quand elle pose, dans le titre du pouvoir judiciaire, les bornes où s'arrêtera cette liberté. Héquoi! l'ancien régime, dont on sait bien que la tolérance n'était pas la principale vertu,

permettait les réunions littéraires, les associations maçoniques, les confréries religieuses, et nous défendrions des rassemblemens qui ont pour objet la discussion des plus grands intérêts de la patrie! (Applaudissemens du côté gauche.) L'anabaptiste peut avoir son temple, le musulman sa mosquée; ils `peuvent s'y réunir avec tous les compagnons de leur doctrine ou de leur foi, y discuter, y enseigner, y prêcher leur dogme ou leur morale; et ce qui est permis à des sectaires serait défendu à des citoyens!

» Mais si nous n'avons pas le droit d'interdire une réunion paisible et sans armes, nous avons le devoir de la resserrer dans des limites qui l'empêchent d'être nuisible. Le despotisme détruit la liberté règle et dirige; elle ne fait pas ce qui est plus court, mais ce qui est plus juste.

» La loi a parlé : si à l'expression particulière et libre de leur opinion les sociétés populaires joignent des actes solennels et publics; si elles s'opposent à l'exécution de ceux des autorités constituées; si, usurpant le caractère de l'existence politique, elles donnent à leurs délibérations des formes imitatrices des formes légales; si, oubliant qu'elles ne renferment que des individus qui discutent et s'éclairent, elles appellent à leur bizarre tribunal des citoyens, des fonctionnaires publics, elles sont coupables, et les magistrats le deviennent eux-mêmes s'ils négligent de les dénoncer et de les poursuivre : c'est contre leur négligence qu'il serait utile de faire des lois : nous en avons contre les abus des sociétés populaires; outre celle du 9 octobre 1791 (1), plusieurs articles du code pénal et de la Constitution leur sont applicables comme à tous les autres citoyens. Y calomnie-t-on les individus, l'action en calomnie est ouverte; Ꭹ conseille-t-on des démarches criminelles, y provoque-` t-on l'avilissement des pouvoirs établis, il existe des tribunaux.

» Le grand reproche mérité par les sociétés populaires est de se laisser tour à tour séduire par quelques-uns de ces coupables agitateurs qui pour mieux les égarer prennent avec soin le masque du patriotisme et de la vertu. Il y a deux mots dont

(1) Décret du 29 septembre 1791, sanctionné le 9 octobre suivant. Voyez tome V, page 116.

les despotes et les hommes séditieux font un abus éternel : les séditieux crient sans cesse à la liberté pour protéger par là leur licence; les despotes crient sans cesse à l'ordre public pour protéger et couvrir par là les abus de leur pouvoir : les uns désorganisent la société à force d'action; les autres l'enchaînent et l'engourdissent à force de repos. (Applaudissemens.) On les a vus plus d'une fois se réunir pour exciter ensemble des troubles qui leur sont également utiles; ils ont pour objet commun d'aversion les dépositaires de la confiance publique. Leurs efforts se dirigent principalement contre l'Assemblée nationale; mais elle en triomphera comme la philosophie a triomphé de l'erreur, et la liberté de la tyrannie! Nous n'avons pas sans doute le privilége de l'infaillibilité; beaucoup de fautes nous sont échappées; au milieu des grandes factions qui nous déchirent les erreurs sont faciles ; mais serait-il donc vrai que jusqu'à ce jour nous nous fussions agités vainement pour le bonheur des Français? L'organisation militaire a été achevée;" celle de la marine est sur le point de l'être; la gendarmerie nationale a reçu tout à la fois plus de force et plus d'étendue; des trames contre la sûreté de l'Etat ont été dévoilées et poursuivies ; et tandis que le glaive d'une justice éclairée menaçait les coupables, des honneurs suprêmes ont été rendus au martyr de la loi. D'un autre côté de petits assignats vont offrir au citoyen peu riche une ressource nouvelle; des encouragemens ont été accordés au commerce, et les manufactures françaises ne furent jamais plus florissantes; les hommes de couleur et les nègres libres sont remontés à leurs droits naturels, et vos comités méditent sur les moyens de couper les dernières racines de l'esclavage. Vos regards se sont portés sur les actes principaux de la vie des hommes ; vous avez rendu aux magistrats du ́ peuple le droit qu'avaient usurpé les prêtres de constater la naissance, le mariage et la mort; vous avez brisé les liens inutiles et dangereux dont la superstition embarrassait l'union la plus sainte puisqu'elle est la plus naturelle; vous avez assuré la défaite entière, la mort du fanatisme en le frappant jusqué dans ces vêtemens qui lui donnaient aux yeux du peuple un caractère particulier; les bases de l'instruction publique vous ont été présentées, et l'édifice sera bientôt construit; le

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