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DES DANGERS DE LA PATRIE.

(On a vu que l'Assemblée, peu satisfaite des renseignemens donnés par les ministres, avait renvoyé leurs rapports à l'examen de sa commission des douze, et qu'elle avait compris dans ce renvoi les nombreuses lettres et pétitions parvenues des départemens, ainsi que les pièces relatives à l'événement du 20 juin, qui ne fut qu'un premier effet de la tourmente générale. C'est le résultat de cet examen qui va montrer la patrie en danger.)

RAPPORT sur la situation actuelle de la France, fait au nom de la commission extraordinaire des douze, par M. Emmanuel Pastoret. ( Séance du 30 juin 1792.)

Messieurs, avant de mettre sous vos yeux tous les rapports qui sont le résultat de ses discussions, votre commission extraordinaire m'a chargé de vous offrir le tableau général de ses travaux.

» Nous venons vous parler des maux de la France ; nous venons proposer quelques moyens de les affaiblir ou de les détruire notre devoir est de dire la vérité; nous la dirons tout entière.

» Parmi les causes de nos maux les unes appartiennent essentiellement à une grande révolution; les autres en sont indépendantes : les unes tiennent aux pouvoirs constitués; les autres aux citoyens qui ont juré de leur obéir.

» La Constitution était terminée; le roi venait de l'accepter; une amnistie avait soustrait à la sévérité des lois les accusés et les coupables; les fondateurs de la liberté en remettaient le dépôt à de nouveaux représentans du peuple; nous arrivons entourés des vœux et des espérances de tous les Français; de toute part on s'écriait que la révolution était finie: tout annonçait qu'elle aurait dû l'être : cependant des ennemis veillaient autour de nous; il en veillait hors de l'empire; sous un voile trompeur, mais respecté, le fanatisme cachait la douleur d'avoir perdu le patrimoine fécond de la crédulité des peuples; une coalition impie associait et confondait ses intérêts avec

ceux de ces grands d'autrefois qui ne pardonnent pas à nos institutions nouvelles d'avoir fait écrouler le colosse antique de leur puissance féodale; des princes voisins continuaient à s'armer; ils continuaient à accorder un asile, à prodiguer des secours', à promettre des soldats aux ennemis de notre liberté. Jamais des circonstances politiques n'excitèrent plus fortement la sollicitude de tous les pouvoirs établis : quelle a été leur conduite? C'est par cet examen que je commencerai l'histoire fidèle des maux dont la France est déchirée.

» Je parcours successivement l'état actuel des autorités constitutionnelles.

» L'influence du pouvoir judiciaire est connue ; une longue expérience a démontré chez tous les peuples qu'un penchant naturel l'entraîne à s'étendre au-delà des bornes qui lui sont tracées; mais ce danger, nécessaire à prévoir comme à détruire, n'altère qu'insensiblement la liberté, et il ne fixera pas aujourd'hui nos regards. Nous ne nous arrêterons pas davantage à l'insuffisance ou aux erreurs du code pénal; dans un temps plus calme il faudra bien le revoir tout entier : ce n'est pas que la philosophie n'y ait présidé; mais elle s'y est montrée avec un visage trop sévère ; elle a quelquefois mal gradué la proportion des peines et des délits; elle a laissé prononcer souvent la mort, peine absurde et barbare, contre laquelle nous osons espérer que la raison ne poussera pas toujours des cris inu

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». L'inaction des tribunaux est un danger plus prochain: on la reproche surtout à la haute cour nationale, et certes la liberté française périrait bientôt si le glaive dont la loi menace les conspirateurs demeurait toujours suspendu sur leur tête sans la frapper jamais. Nous avons cherché les causes des lenteurs apparentes de ce tribunal suprême : on ne les trouve ni dans les hauts jurés, ui dans les grands procurateurs, ni dans les grands juges; elles sont dans le nombre des accusés, dans les formalités justement circonspectes de la procédure, dans l'eloignement de la plupart des témoins successivement indiqués. Mais si la décision de chaque affaire en particulier est ainsi retardée, le moment approche où plusieurs jugemens rendus presque à la fois, en assurant le triomphe de l'innocence,

assureront aussi le châtiment de ces hommes ambitieux de l'esclavage qui firent tant d'efforts pour étouffer la liberté naissante et reconquérir le despotisme, anéanti par la volonté générale du peuple français.

» L'inaction a été plus justement reprochée au pouvoir exécutif. Frappé du souvenir d'une ancienne puissance, ses premiers agens depuis la révolution obéissaient lentement à l'expression du vœu national; ils ne concevaient pas encore que le trône se fût écroulé, et poursuivaient de leurs regrets comme de leurs espérances le temps où, véritables monarques, les ministres gouvernaient despotiquement la France sous l'autorité apparente d'un seul homme, qui n'était que le prête-nom et l'électeur de la souveraineté : la résurrection éclatante des droits du peuple leur parut un orage passager, devant lequel ils consentirent à se courber un instant pour se redresser ensuite avec plus de vigueur : l'événement trahit leur espoir, et cependant le pouvoir exécutif ne reçut pas une impulsion plus active. Il est vrai que la force des lois n'est pas dans ellesmêmes; elle est dans la soumission et la confiance des peuples: mais une nation devenue libre, une nation qui choisit ses mandataires et les interprètes de sa volonté, une nation à laquelle sa Constitution assure par les pétitions et les adresses, par la liberté des discours et des écrits, tous les moyens possibles d'inspirer une bonne loi et d'en réformer une mauvaise, est plus naturellement portée à l'obéissance, puisque c'est à ellemême qu'elle obéit; la puissance exécutive a trop vu des entraves là où ne sont que des bornes: non seulement limiter un pouvoir ce n'est pas l'enchaîner, mais n'en pas limiter un ce serait amener insensiblement la destruction de tous les autres.

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» Il n'existera jamais d'ordre public sans un gouvernement vigoureux : plusieurs constitutions célèbres, celle de Solon en particulier, n'ont péri que par le défaut de force des magistrats chargés du pouvoir exécutif. Les Perses avaient un moyen singulier de le faire sentir à la mort du roi, pendant cinq jours toutes les lois étaient suspendues: alors éclataient les vengeances et les déprédations; alors régnaient en paix l'audace et la licence quelle terrible leçon donnait ce triomphe du crime?

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» Mais pour assurer au gouvernement une vigueur si nécessaire il faut que la volonté du magistrat se joigne à la volonté de la loi, et qu'au lieu de se borner à se plaindre des désordres il les fasse réprimer. La peine de tous les délits est fixée. Ontils échappé à la législation nouvelle ? La législation ancienne subsiste pour les punir. Si toutes deux étaient muettes ce serait au roi à dénoncer au corps législatif ce double silence; la Cons— titution l'y autorise, et la tranquillité publique lui en prescrit le devoir.

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Le roi n'est pas seulement le chef suprême du pouvoir exécutif; il concourt à la formation de la loi ; il a d'ailleurs par l'éminence de ses fonctions et l'étendue de son autorité une influence personnelle; c'est avoir une obligation plus forte de s'attacher à la Constitution de l'empire, d'en repousser les ennemis avec courage, de leur opposer cette haine patriotiqué, la seule qui soit permise à la vertu; de ne pas souffrir auprès de lui des hommes qui, loin de prêter le serment civique, ont par leurs écrits blasphémé la Constitution, et cherchent à le tromper par une opposition sacrilége de la religion et de la loi.

» Nous vous proposons, messieurs, de dénoncer au roi luimême par un message ces coupables instigateurs. Plus d'une fois dans ses méditations, reportant sa pensée sur les maux de la patrie, votre commission extraordinaire s'est dit unanimement: que le pouvoir exécutif acquière cette activité nécessaire, et rien ne pourra mettre obstacle au triomphe de la liberté! Voyez avec quelle adresse perfide les ennemis de la Constitutiou s'en servent pour égarer les citoyens, pour semer dans tous les esprits la défiance et l'inquiétude, pour entraîner le peuple à des actions criminelles? Vous parlerons-nous de la pétition armée du 20 juin? Quelle cause, quelle voix pourrait la justifier? La liberté de la sanction royale n'est-elle donc plus essentiellement liée à la Constitution française? Nous aimons sans doute, messieurs, à rappeler ces mots du roi il n'est point de danger pour moi au milieu du peuple; mais loin de nous l'idée de vouloir dissimuler ou affaiblir des excès que la justice doit poursuivre, que ta loi doit punir! Déjà vous avez témoigné contre eux une indignation que la France a partagée : ce sentiment sera celui de l'Europe entière et de la postérité. (Quelques murmures.)

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» Nous vous le disions, messieurs, il y a quelques jours, et vous le consacrâtes par un décret, le devoir du corps législatif est de maintenir l'inviolabilité du représentant héréditaire de la nation: notre dévoir est aussi de lui assurer dans tous les temps et dans toutes les circonstances les égards dus au premier fonctionnaire public. Ne souffrons donc pas que des pétitionnaires oublient devant nous que le roi est aussi l'organe du peuple, qu'il exerce aussi une partie de la puissance nationale: c'est surtout par leur respect mutuel que les deux pouvoirs obtiendront le respect universel.

» C'est encore un devoir pour nous de prêter à ses agens principaux l'appui de notre confiance, non de cette confiance qui sommeille, mais de celle qui espère, et qui croit à la vertu. Hé qu'importe que les ministres aient appartenu à telle ou telle secte politique, que leur domination soit le résultat de telle ou telle cause, pourvu qu'ils remplissent bien les fonctions que la loi leur proscrit! Loin de nous un aveuglement criminel sur leur conduite; mais loin de nous aussi ce besoin perpétuel de dénonciations, système destructeur de l'organisation sociale! Soumettons-les à une responsabilité sévère, mais qu'elle soit déterminée par la loi, et non par dés caprices individuels, par des sentimens particuliers d'orgueil, d'animosité, de haine, de vengeance, ou par l'expérience d'une fausse popularité. Le comité de législation a fait un rapport sur l'exercice de cette responsabilité, et je ne sais pourquoi, au lieu d'être continuée, la discussion a été tout à coup interrompue.

Descendant de ces considérations importantes à des objets minutieux en apparence, et cependant dignes de toute votre attention, nous avons cherché les moyens de donner à vos délibérations plus d'ordre, plus de calme, plus de majesté ; d'empêcher qu'elles ne soient troublées par l'effervescence des passions contraires, de mettre un frein à ces applaudissemens tumultueux qui ont trompé plus d'une fois les défenseurs du peuple. Quelques changemens simples, faciles et peu dispendieux suffiront pour produire un effet si désiré : peut-être même jugerez-vous convenable de porter dans ce sanctuaire une marque extérieure de la dignité suprême où vous a élevés la confiance du peuple. Ne nous y trompons pas, messieurs, ne prc

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