Lettre du général Lafayette à l'Assemblée nationale. - Du 30 juin 1792. (Lue dans la séance du même jour.) << Messieurs, en retournant au poste où de braves soldats se dévouent à mourir pour la Constitution, mais ne doivent et ne veulent prodiguer leur sang que pour elle, j'emporte un regret vif et profond de ne pouvoir apprendre à l'armée que l'Assemblée nationale a déjà daigné statuer sur ma pétition. >> Le cri de tous les bons citoyens du royaume, que quelques clameurs factieuses s'efforcent en vain d'étouffer, avertit jour-. nellement les représentans élus du peuple et son représentant héréditaire que tant qu'il existera près d'eux une secte qui entrave toutes les autorités, menace leur indépendance', et qui, après avoir provoqué la guerre, s'efforce, en dénaturant notre cause, de lui ôter des défenseurs; tant qu'on aura à rougir de l'impunité d'un crime de lèse-nation, qui a excité les justes et pressantes alarmes de tous les Français et l'indignation universelle, notre liberté, nos lois, notre honneur sont en péril? » Telles sont, messieurs, les vérités que les âmes libres et généreuses ne craignent pas de répéter: révoltées contre les factieux de tout genre, indignées contre les lâches qui s'aviliraient au point d'attendre une intervention étrangère, pénétrées du principe que je m'honore d'avoir le premier professé en France, que toute puissance illégitime est oppression, et qu'alors la résistance devient un devoir, elles ont besoin de déposer leurs craintes dans le sein du corps législatif; elles espèrent que les soins des représentans du peuple vont les en délivrer. >> Quant à moi, messieurs, qui ne changeai jamais ni de principes, ni de sentimens, ni de langage, j'ai pensé que l'Assemblée nationale, ayant égard à l'urgence et au danger des circonstances, permettrait que je joignisse la nouvelle expression de mes regrets et de mes vœux à l'hommage de mon profond respect. Signé LAFAYETte. » Observations de M. le maire, de Paris sur les événemens du 20 juin. ( Publiées le 30.) « On parle très diversement de cet événement et de ses causes; chaque parti l'envisage sous l'aspect convenable à son intérêt particulier, et les passions altèrent en tout sens la vérité mais les hommes sages et sans prévention ne peuvent avoir qu'une manière de considérer ce qui s'est passé. : » L'homme est naturellement avide de découvrir la cause de tout ce qu'il voit; plus un événement est remarquable, plus son imagination se tourmente à la recherche de cette découverte. Les circonstances actuelles sont extrêmement propres à donner de l'activité à cette curiosité inquiète : le hasard laisse trop à désirer; il n'offre pas de point d'appui sur lequel l'esprit de l'homme puisse se reposer tranquillemeut, et quoique le destin aveugle dispose souvent des choses, on veut toujours avoir recours à des combinaisons réfléchies et qui n'aient rien de fortuit. » Aussi beaucoup de gens de bonne foi croient que l'événement du 20 juin est le fruit d'une intrigue et d'un complot ; ils pensent que les moyens qui l'ont amené sont d'autant plus profonds qu'ils ne peuvent pas les pénétrer car demandez-leur sur quoi ils fondent leurs soupçons; vous verrez qu'ils n'ont que des idées vagues, incertaines, et que rien enfin n'établit raisonnablement leur opinion. » Ce qui vient les confirmer dans leur jugement c'est que d'autres, sans plus de réflexion, sont du même avis; c'est qu'ils entendent répéter sans cesse que cela est vrai; et le moyen après cette assertion d'avoir des doutes! >> Quelquefois même la honte de revenir sur leurs pas les retient dans la route où ils se sont avancés : je ne sais quel faux point d'honneur empêche de rétrograder; mais c'est encore là une faiblesse du cœur humain : avouer un tort est un acte de courage qui n'est pas très commun. » Examinons de sang froid l'événement du 20 juin; oublions pour un instant tout ce que nous en avons entendu dire soit en bien, soit en mal; transportons-nous sur le lieu de la scène. Cet événement tout entier se réduit à l'entrée dans le château; car si cet incident n'eût pas eu lieu on n'aurait parlé de la députation des faubourgs que pour dire que le cortége était nombreux, imposant, qu'il avait marché en bon ordre, que les propriétés avaient été respectées, et que nul citoyen n'avait à se plaindre. >> Or cette entrée est évidemment l'effet d'un de ces mouvemens imprévus qui n'appartiennent ni à la réflexion ni à aucun projet : tout le prouve. Une partie de la colonne, sortant de l'Assemblée nationale, défilait dans le jardin des Tuileries, le traversait tranquillement pour gagner le pont Royal; la garde nationale, rangée en haie, présentait les armes, et donnait tous les signes de joie, tandis que l'autre partie de cette colonne prenait sa marche par le Carrousel; de sorte que chacun se rendait chez soi à sa manière, sans avoir un but unique et concerté à l'avance. » Les porteurs de la pétition étaient en tête de cette partie de la colonne qui était au Carrousel; là on s'était arrêté à la porte royale pour entrer et présenter cette pétition au roi. On frappait à la porte; on témoignait de l'impatience : un officier municipal sortit par la cour des Princes, vint rejoindre les citoyens, leur exposa qu'ils ne pouvaient pas entrer en aussi grand nombre, qu'ils devaient envoyer des commissaires : cela était convenu, lorsque tout à coup la porte s'ouvre de l'intérieur; alors le flot se précipite, et inonde à l'instant les cours et les appartemens. Où est là le dessein, où est là le moment donné à la mé– ditation? Qui ne voit au contraire une masse considérable d'hommes qui par son propre poids se presse, s'entraîne et est portée ? Ce qui s'est passé ensuite dans les appartemens ne doit-il pas ouvrir les yeux aux plus incrédules? Car enfin qu'estce que les citoyens y ont fait qui donne le plus léger indice, qui laisse la moindre trace d'un complot? cour 9 » S'étudier à chercher des moteurs, des instigateurs, c'est courir après des fantômes. Je vais plus loin: à moins que ces moteurs, que ces instigateurs n'eussent été dans le sens de la ceux qui auraient dirigé le mouvement auraient été les plus ineptes, les plus extravagans des hommes; car il n'est personne de sens qui n'ait aperçu à l'instant que la cour seule pouvait tirer avantage de cette scène inattendue, qui heureusement n'a rien eu de tragique. " » On pourra écrire bien des volumes, faire de belles procédures et de grands commentaires sur l'événement du 20 juin; mais jamais on ne fera croire à un homme raisonnable que l'entrée dans le château ait été ni méditée ni préparée. Signé PÉTION. » (On a vu que l'Assemblée, peu satisfaite des renseignemens donnés par les ministres, avait renvoyé leurs rapports à l'examen de sa commission des douze, et qu'elle avait compris dans ce renvoi les nombreuses lettres et pétitions parvenues des départemens, ainsi que les pièces relatives à l'événement du 20 juin, qui ne fut qu'un premier effet de la tourmente générale. C'est le résultat de cet examen qui va montrer la patrie en danger. ) DES DANGERS DE LA PATRIE. RAPPORT sur la situation actuelle de la France, fait au nom de la commission extraordinaire des douze, par M. Emmanuel Pastoret. ( Séance du 30 juin 1792.) ་་ Messieurs, avant de mettre sous vos yeux tous les rapports qui sont le résultat de ses discussions, votre commission extraor dinaire m'a chargé de vous offrir le tableau général de ses travaux. : » Nous venons vous parler des maux de la France ; nous venons proposer quelques moyens de les affaiblir ou de les détruire notre devoir est de dire la vérité; nous la dirons tout entière. » Parmi les causes de nos maux les unes appartiennent essentiellement à une grande révolution; les autres en sont indépendantes : les unes tiennent aux pouvoirs constitués; les. autres aux citoyens qui ont juré de leur obéir. » La Constitution était terminée; le roi venait de l'accepter; une amnistie avait soustrait à la sévérité des lois les accusés et les coupables; les fondateurs de la liberté en remettaient le dépôt à de nouveaux représentans du peuple; nous arrivons entourés des vœux et des espérances de tous les Français; de toute part on s'écriait que la révolution était finie : tout annonçait qu'elle aurait dû l'être : cependant des ennemis veillaient autour de nous; il en veillait hors de l'empire; sous un voile trompeur, mais respecté, le fanatisme cachait la douleur d'avoir perdu le patrimoine fécond de la crédulité des peuples: une coalition impie associait et confondait ses intérêts avec ceux de ces grands d'autrefois qui ne pardonnent pas à nos institutions nouvelles d'avoir fait écrouler le colosse antique de leur puissance féodale; des princes voisins continuaient à s'armer; ils continuaient à accorder un asile, à prodiguer des à promettre des soldats aux ennemis de notre liberté. Jamais des circonstances politiques n'excitèrent plus fortement la sollicitude de tous les pouvoirs établis : quelle a été leur conduite? C'est par cet examen que je commencerai l'histoire fidèle des maux dont la France est déchirée. secours', » Je parcours successivement l'état actuel des autorités constitutionnelles. # » L'influence du pouvoir judiciaire est connue ; une longue expérience a démontré chez tous les peuples qu'un penchant naturel l'entraîne à s'étendre au-delà des bornes qui lui sont tracées; mais ce danger, nécessaire à prévoir comme à détruire, n'altère qu'insensiblement la liberté, et il ne fixera pas aujourd'hui nos regards. Nous ne nous arrêterons pas davantage à l'insuffisance ou aux erreurs du code pénal; dans un temps plus calme il faudra bien le revoir tout entier : ce n'est pas que la philosophie n'y ait présidé; mais elle s'y est montrée avec un visage trop sévère; elle a quelquefois mal gradué la proportion des peines et des délits; elle a laissé prononcer souvent la mort, peine absurde et barbare, contre laquelle nous osons espérer que la raison ne poussera pas toujours des cris inutiles. » L'inaction des tribunaux est un danger plus prochain: on la reproche surtout à la haute cour nationale, et certes la liberté française périrait bientôt si le glaive dont la loi menace les conspirateurs demeurait toujours suspendu sur leur tête sans la frapper jamais. Nous avons cherché les causes des lenteurs apparentes de ce tribunal suprême: on ne les trouve ni dans les hauts jurés, ni dans les grands procurateurs, ni dans les grands juges; elles sont dans le nombre des accusés, dans les formalités justement circonspectes de la procédure, dans l'eloignement de la plupart des témoins successivement indiqués. Mais si la décision de chaque affaire en particulier est ainsi retardée, le moment approche où plusieurs jugemens rendus presque à la fois, en assurant le triomphe de l'innocence, |