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des plus prochains jours, le rapport le plus complet. » (Applaudissemens. Aux voix, aux voix.)

La motion de M. Guadet et celle de M. Ramond, mises tour à tour aux voix, excitèrent des débats qui allèrent jusqu'au tumulte. Le doute dans les épreuves fit réclamer l'appel nominal: la proposition principale de M. Guadet, tendant à interpeller le ministre de la guerre s'il avait permis au général Lafayette de quitter son armée, fut rejetée à une majorité de trois cent trente-neuf voix contre deux cent trente-quatre. L'Assemblée décréta la motion de M. Ramond, c'est à dire le renvoi de la pétition à la commission des douze, non pour y examiner la conduite du général, mais la pétition en elle-même. Les pièces remises sur le bureau par M. Lafayette, et lues par un secrétaire, furent également renvoyées à la commission; les voici :

Ordre général de l'armée du centre.

Au camp retranché de Maubeuge, ce 26 juin 1792, l'an 4 de la liberté.

« Le général de l'armée a reçu hier au soir et ce matin des adresses où les différens corps de toutes les armes expriment leur dévouement à la Constitution, leur attachement pour lui, leur zèle à combattre les ennemis du dehors et les factieux du dedans.

» Le général reconnaît dans ces démarches le patriotisme pur et inébranlable d'une armée qui, ayant juré de maintenir les principes de la Déclaration des Droits et de l'Acte constitutionnel, est disposée à les défendre envers et contre tous. Il est profondément touché de l'amitié et de la confiance que les troupes lui témoignent, et sent combien les derniers désordres que des perturbateurs ont excités dans la capitale doivent indigner tous les vrais amis de la liberté, tous ceux qui dans le roi des Français reconnaissent un pouvoir établi par la Constitution et nécessaire à sa défense: mais en même temps que Ic général partage les sentimens de l'armée, il craindrait que les démarches collectives d'une force essentiellement obéissante, que les offres énergiques des troupes, particulièrement destinées à la défense des frontières, ne fussent traîtreusement interprétées par nos ennemis cachés ou publics. Il suffit quant à présent à l'Assemblée nationale, au roi et à toutes les autorités constituées, d'être convaincus des sentimens constitutionnels des troupes; il doit suffire aux troupes de compter sur le patriotisme, sur la loyauté de leurs frères d'armes de la garde

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nationale parisienne, qui saura triompher de tous les obstacles, de toutes les trahisons dont on l'environne. Quelque soigneux que soit le général d'éviter pour l'armée jusqu'à la moindre apparence d'un re proche, il lui promet que dans toutes les démarches personnelles qui pourront contribuer au succès de notre cause et au maintien de la Constitution il bravera seul, avec constance et avec dévouement, toutes les calomnies comme tous les dangers.

» Signé LAFAYETTE. »

Ordre du 26 au soir.

» Le général a cru devoir mettre des bornes à l'expression des sentimens de l'armée, qui ne sont qu'un témoignage de plus de son dévouement à la Constitution, de son respect pour les autorités constituées, mais dont la manifestation collective ou trop vivement prononcée aurait pu donner des armes à la malveillance; mais plus le général d'armée a été sévère sur les principes qui conviennent à la force armée d'un peuple libre, et par conséquent soumis aux lois, plus il se croit personnellement obligé à dire, en sa qualité de citoyen, tout ce que les troupes sentent en commun avec lui. C'est pour remplir ces devoirs envers la patrie, ses braves compagnons d'armes et lui-même, qu'après avoir pris, de convention avec M. le maréchal Luckner, les mesures qui mettent l'armée à l'abri de toute atteinte, il va dans une course rapide exprimer à l'Assemblée et au roi les sentimens de tout bon Français, et demander en même temps qu'on pourvoie aux différens besoins des troupes.

>> Le général ordonne le maintien de la plus exacte discipline, et espère à son retour ne recevoir que des comptes satisfaisans. M. d'Hangest, maréchal de camp, prendra le commandement. Le général d'armée répète que son intention et son vou sont de revenir ici sur le champ. Signé LAFAYETTE. »

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En quittant l'Assemblée le général se rendit chez le roi : l'inquiétude des uns, l'espoir des autres, la curiosité de tous appelèrent sur ses pas une affluence considérable; on l'attendit à son retour; on le conduisit jusqu'à sa demeure, aux cris nombreux de vive la nation, mêlés souvent du cri vive Lafayette. A sa porte on planta un mai, paré des couleurs de la liberté. Une partie de la garde nationale parisienne lui présenta ses hommages et lui fournit une garde d'honneur. Il resta deux jours à Paris; en partant il adressa à l'Assemblée une lettre que le côté gauche ne put entendre sans murmurer. Voici cette lettre :

Lettre du général Lafayette à l'Assemblée nationale. - Du 30 juin 1792. (Lue dans la séance du même jour.)

<< Messieurs, en retournant au poste où de braves soldats se dévouent à mourir pour la Constitution, mais ne doivent et ne veulent prodiguer leur sang que pour elle, j'emporte un regret vif et profond de ne pouvoir apprendre à l'armée que l'Assemblée nationale a déjà daigné statuer sur ma pétition.

>> Le cri de tous les bons citoyens du royaume, que quelques clameurs factieuses s'efforcent en vain d'étouffer, avertit jour-. nellement les représentans élus du peuple et son représentant héréditaire que tant qu'il existera près d'eux une secte qui entrave toutes les autorités, menace leur indépendance', et qui, après avoir provoqué la guerre, s'efforce, en dénaturant notre cause, de lui ôter des défenseurs; tant qu'on aura à rougir de l'impunité d'un crime de lèse-nation, qui a excité les justes et pressantes alarmes de tous les Français et l'indignation universelle, notre liberté, nos lois, notre honneur sont en péril?

» Telles sont, messieurs, les vérités que les âmes libres et généreuses ne craignent pas de répéter: révoltées contre les factieux de tout genre, indignées contre les lâches qui s'aviliraient au point d'attendre une intervention étrangère, pénétrées du principe que je m'honore d'avoir le premier professé en France, que toute puissance illégitime est oppression, et qu'alors la résistance devient un devoir, elles ont besoin de déposer leurs les craintes dans le sein du corps législatif; elles espèrent que soins des représentans du peuple vont les en délivrer.

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Quant à moi, messieurs, qui ne changeai jamais ni de principes, ni de sentimens, ni de langage, j'ai pensé que semblée nationale, ayant égard à l'urgence et au danger des circonstances, permettrait que je joignisse la nouvelle expression de mes regrets et de mes vœux à l'hommage de mon profond respect.

>>

Signé LAFAYETte. »

Observations de M. le maire, de Paris sur les événemens du 20 juin. (Publiées le 30.)

« On parle très diversement de cet événement et de ses causes; chaque parti l'envisage sous l'aspect convenable à son intérêt particulier, et les passions altèrent en tout sens la vérité mais les hommes sages et sans prévention ne peuvent avoir qu'une manière de considérer ce qui s'est passé.

» L'homme est naturellement avide de découvrir la cause de tout ce qu'il voit; plus un événement est remarquable, plus son imagination se tourmente à la recherche de cette découverte. Les circonstances actuelles sont extrêmement propres à donner de l'activité à cette curiosité inquiète : le hasard laisse trop à désirer; il n'offre pas de point d'appui sur lequel l'esprit de l'homme puisse se reposer tranquillemeut, et quoique le destin aveugle dispose souvent des choses, on veut toujours avoir recours à des combinaisons réfléchies et qui n'aient rien ́ de fortuit.

» Aussi beaucoup de gens de bonne foi croient que l'événement du 20 juin est le fruit d'une intrigue et d'un complot; ils pensent que les moyens qui l'ont amené sont d'autant plus profonds qu'ils ne peuvent pas les pénétrer : car demandez-leur sur quoi ils fondent leurs soupçons; vous verrez qu'ils n'ont que des idées vagues, incertaines, et que rien enfin n'établit raisonnablement leur opinion.

» Ce qui vient les confirmer dans leur jugement c'est que d'autres, sans plus de réflexion, sont du même avis; c'est qu'ils entendent répéter sans cesse que cela est vrai; et le moyen après cette assertion d'avoir des doutes!

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Quelquefois même la honte de revenir sur leurs pas les retient dans la route où ils se sont avancés: je ne sais quel faux point d'honneur empêche de rétrograder; mais c'est encore là une faiblesse du cœur humain : avouer un tort est un acte courage qui n'est pas très commun.

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» Examinons de sang froid l'événement du 20 juin; oublions pour un instant tout ce que nous en avons entendu dire soit en bien, soit en mal; transportons-nous sur le lieu de la scène. Cet événement tout entier se réduit à l'entrée dans le château; car si cet incident n'eût pas eu lieu on n'aurait parlé de la députation des faubourgs que pour dire que le cortége était nombreux, imposant, qu'il avait marché en bon ordre, que les propriétés avaient été respectées, et que nul citoyen n'avait à se plaindre.

» Or cette entrée est évidemment l'effet d'un de ces mouvemens imprévus qui n'appartiennent ni à la réflexion ni à

aucun projet : tout le prouve. Une partie de la colonne, sortant de l'Assemblée nationale, défilait dans le jardin des Tuileries le traversait tranquillement pour gagner le pont Royal; la garde nationale, rangée en haie, présentait les armes, et donnait tous les signes de joie, tandis que l'autre partie de cette colonne prenait sa marche. par le Carrousel; de sorte que chacun se rendait chez soi à sa manière, sans avoir un but unique et concerté à l'avance.

» Les porteurs de la pétition étaient en tête de cette partie de la colonne qui était au Carrousel; là on s'était arrêté à la porte royale pour entrer et présenter cette pétition au roi. On frappait à la porte; on témoignait de l'impatience : un officier municipal sortit par la cour des Princes, vint rejoindre les citoyens, leur exposa qu'ils ne pouvaient pas entrer en aussi grand nombre, qu'ils devaient envoyer des commissaires : cela était convenu, lorsque tout à coup la porte s'ouvre de l'intérieur; alors le flot se précipite, et inonde à l'instant les cours et les appartemens.

» Où est là le dessein, où est là le moment donné à la mé– ditation? Qui ne voit au contraire une masse considérable d'hommes qui par son propre poids se presse, s'entraîne et est portée ? Ce qui s'est passé ensuite dans les appartemens ne doit-il pas ouvrir les yeux aux plus incrédules? Car enfin qu'estce que les citoyens y ont fait qui donne le plus léger indice, qui laisse la moindre trace d'un complot?

>> S'étudier à chercher des moteurs, des instigateurs, c'est courir après des fantômes. Je vais plus loin : à moins que ces moteurs, que ces instigateurs n'eussent été dans le sens de la cour, ceux qui auraient dirigé le mouvement auraient été les plus ineptes, les plus extravagans des hommes; car il n'est personne de sens qui n'ait aperçu à l'instant que la cour seule pouvait tirer avantage de cette scène inattendue, qui heureusement n'a rien eu de tragique.

» On pourra écrire bien des volumes, faire de belles procédures et de grands commentaires sur l'événement du 20 juin; mais jamais on ne fera croire à un homme raisonnable que l'entrée dans le château ait été ni méditée ni préparée.

» Signé PÉTION. »

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