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parler; mais l'opinion que j'exprime est celle de tous les Français qui aiment leur pays, sa liberté, son repos, les lois qu'il s'est données, et je ne crains pas d'être désavoué par aucun d'eux. Il est temps de garantir la Constitution des atteintes qu'on s'efforce de lui porter, d'assurer la liberté de l'Assemblée nationale, celle du roi, son indépendance, sa dignité ; il est temps enfin de tromper les espérances des mauvais citoyens, qui n'attendent que des étrangers le rétablissement de ce qu'ils appellent la tranquillité publique, et qui ne serait pour des hommes libres qu'un honteux et intolérable esclavage!

» Je supplie l'Assemblée nationale

» 1°. D'ordonner que les instigateurs et les chefs des violences commises le 20 juin aux Tuileries soient poursuivis et punis comme criminels de lèse-nation;

2o. De détruire une secte qui envahit la souveraineté nationale, tyrannise les citoyens. et dont les débats publics ne laissent aucun doute sur l'atrocité des projets de ceux qui les dirigent ;

3o. J'ose enfin vous supplier en mon nom, et au nom de tous les honnêtes gens du royaume ( murmures d'une partie de l'Assemblée.), de prendre des mesures efficaces pour faire respecter toutes les autorités constituées, particulièrement la vôtre et celle du roi, et de donner à l'armée l'assurance que la Constitution ne recevra aucune atteinte dans l'intérieur tandis que de braves Français prodiguent leur sang pour la défendre aux frontières.» ( Applaudissemens. )

Réponse du président ( M. Girardin. ) « Monsieur, l'Assemblée nationale a juré de maintenir la Constitution; fidèle à son serment, elle saura la garantir de toutes les atteintes qu'on voudrait lui porter. Elle examinera la pétition que vous venez de lui présenter, elle vous invite à assister à sa séance.' »

Les murmures d'un côté et les applaudissemens de l'autre avaient porté dans l'Assemblée une grande agitation, qui s'augmenta encore par un incident peu remarquable au fond, mais auquel la démarche et le caractère du pétitionnaire firent attacher quelque importance. Le général en quittant la tribune était allé s'asseoir au côté droit, sur un siége voisin du

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bureau. M. Kersaint s'écrie : C'est à l'endroit où se placent ordinairement les pétitionnaires que doit se placer M. Lafayette. (On entend: oui, oui. -Non, non. ) Le général se lève aussitôt, et de nombreux applaudissemens le conduisent jusqu'au banc des pétitionnaires. Pendant cet intervalle M. Guadet était monté à la tribune; déjà il avait prononcé quelques mots perdus dans le bruit; la minorité se refusait de l'entendre; elle dut ceder à un décret qui conservait la parole à l'orateur.

M. Guadet. « Messieurs, au moment où la présence de M. Lafayette à Paris m'a été annoncée une idée bien consolante s'est présentée à mon esprit : ainsi, me suis-je dit à moi-même, nous n'avons probablement plus d'ennemis extérieurs ! ainsi les Autrichiens sont vaincus!.... ( Murmures.) Mais, messieurs, cette illusion n'a pas duré longtemps: nos ennemis sont toujours les mêmes ; notre situation extérieure n'a pas changé ; et cependant le général d'une de nos armées arrive à Paris! Quel puissant motif l'y appelle donc ? Ce sont, dit-il, nos troubles intérieurs ; il craint que l'Assemblée nationale n'ait pas à elle seule assez de puissance pour les réprimer; et se constituant à la fois l'organe de son armée, l'organe de tous les honnêtes gens du royaume, il vient vous demander de maintenir la Constitution!.... Mais comment donc M. Lafayette et son armée, si son armée partageait là dessus ses craintes et ses soupçons, auraient-ils pucroire que l'Assemblée nationale ne maintiendrait pas ce dépôt sacré ? Messieurs, je n'examinerai pas si celui qui nous a accusés d'avoir vu le peuple français dans ce qu'il appelle des brigands qui en usurpaient le nom ne pourrait pas à son tour être accusé d'avoir vu son armée dans l'état major qui l'entoure et le circonvient; mais je dirai, messieurs, que M. Lafayette oublie lui-même les principes de la Constitution, qu'il recommande, lorsqu'il s'établit dans le sein du corps legislatif l'organe d'une armée qui n'a pas pu déliberer, l'organe de tous les honnêtes gens du royaume, qui ne l'ont chargé d'aucune

mission.

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J'ajoute qu'indépendamment de la violation de tous les principes de la Constitution, j'en verrais une, et une bien grave,

de la hiérarchie des pouvoirs, si le général de l'armée était parti sans ordre et sans congé du ministre. Je demande donc que le ministre de la guerre, présent à votre séance, soit interrogé par le président de l'Assemblée pour savoir s'il a accordé à M. Lafayette un congé pour venir à Paris. Je demande de plus que la commission extraordinaire, chargée de présenter un travail sur le danger qu'il y aurait de laisser faire à votre barre des pétitions par les généraux d'armée en fonctions..... ( Murmures; une voix: Mais MM. Rochambeau et Luckner sont bien venus vous en faire.) Ou bien à vous laisser entretenir par eux d'objets purement politiques; je demande dis-je, que le rapporteur de la commission extraordinaire soit tenu de vous en faire son rapport demain matin, et que le ministre de la guerre soit interrogé sur le champ. » (Applaudissemens d'une partie de l'Assemblée et des tribunes publiques. )

M. Ramond. « C'est une coutume qui tient au défaut de l'esprit humain que celle d'interpréter les lois générales au gré des circonstances qui se présentent : l'évangile de la religion en a fourni de nombreux exemples... ( Eclats de rire.) L'évangile de la politique doit en fournir également. La Constitution anglaise, avant d'être consolidée par une suite de traditions et d'actes positifs, a servi de base tour à tour aux différens partis qui déchiraient l'empire. La Constitution française, remise à votre garde, l'est encore davantage à votre explication. Cette Constitution, qui à beaucoup d'égards n'est que théorie jusqu'au moment où elle sera appliquée dans toutes ses parties, cette Constitution doit donc être encore la base sur laquelle se disputent au gré des circonstances et de leurs passions ceux qui ont des intérêts divers.

» Je passe à l'application de ces considérations générales. Avec quelle faveur la Constitution et les lois n'ont-elles pas été expliquées lorsqu'une multitude armée se présenta mercredi dernier à votre séance! Alors on allégua qu'il n'y avait pas de lois antérieures qui leur défendissent de se présenter qui n'eussent été abrogées par l'usage; on ne compta pour rien la promulgation de la loi par l'arrêté du département et de la municipalité. L'Assemblée nationale, attachée jusqu'au scrupule, atta

chée jusqu'à la superstition à ce principe que nul ne peut être jugé que sur une loi antérieurement promulguée, ne peut être cousidéré comme coupable d'un délit que lorsque ce délit a été antérieurement spécifié, que lorsque la loi a porté une peine précise et déterminée; l'Assemblée, dis-je, superstitieuse dans l'observation de ce principe, admit une force armée, une force qu'à beaucoup d'égards on pouvait regarder comme redoutable dans le lieu même de ses séances. Anjourd'hui M. Lafayette, connu par la force avec laquelle il s'est opposé dans tous les instans de la révolution, depuis l'assemblée des notables, à toute espèce de despotisme; M. Lafayette, qui a donné en garantie à la nation sa fortune tout entière, sa vie tout entière, une réputation qui vaut mieux... ( Murmures.) Rendez les mêmes services à la patrie, et parlez ensuite! (Vifs applaudissemens d'un autre côté. ) M. Lafayette qui a donué en garantie à la nation une réputation qui vaut mieux que la fortune et la vie; M. Lafayette se présente à votre barre, et aussitôt les soupçons, les inquiétudes, les passions s'exaltent, et c'est contre cet homme, qui pour les puissances étrangères, qui pour l'Earope et l'Amérique, qui pour les contemporains et pour la postérité est l'étendard de la révolution ( murmures), que toutes les factions se déchaînent! Il a pris le vou, dit-on, des honnêtes gens du royaume sans en avoir reçu la mission... Je rétorque l'argument, et je demande qui avait donné la mi sion à cette multitude armée de venir au nom de la nation entière ( murmures), de s'exprimer au nom du peuple français et de sa souveraineté! Il ne faut que cette simple comparaison pour vous convaincre, messieurs, qu'il y a deux poids et deux mesures, qu'il y a réellement deux manières de considérer les choses, suivant les personnes. Or, s'il y a deux manières de considérer les choses, qu'il soit permis à l'Assemblée nationa'e, née de la liberté, à l'Assemblée nationale, fille de cette Assemblée constituante trop souvent calomniée même dans cette tribune, qu'il soit permis à cette Assemblée nationale de faire quelque acception de personne en faveur du fils aîné de la liberté française! (Applaudissemens et murmures. )

» Messieurs, les circonstances sont telles, les périls de la liberté sont si grands qu'il est certainement en doute lesquels de

ses ennemis extérieurs ou intérieurs peuvent lui être les plus funestes. Dans cette crise, dont tout le monde a le sentiment dans le cœur, sur laquelle tout le monde ne s'explique pas avec le même courage et avec la même franchise; dans cette crise, dis-je, je cherche sur la face d'un empire peuplé de vingt-cinq millions d'hommes celui qui à la fois a le courage et la vertu de dénoncer les vrais ennemis de la patrie; je le cherche, et partout je trouve un profond silence! Il faut donc que cette voix s'élève encore, cette voix qui s'est élevée dans l'Assemblée des notables en face du despotisme, cette voix qui s'est élevée dans l'Assemblée constituante en face de l'aristocratie nobiliaire... (Plusieurs voix: Au fait; rentrez dans la question.) Cette voix dans laquelle les amis de la patrie sont accoutumés à reconnaître les vrais accens de la liberté.

» Je considère dans la pétition de M. Lafayette l'importance des choses qu'il a dénoncées, de ces choses que nul autre peutêtre ne pouvait présenter à l'Assemblée nationale avec plus de succès et de force, puisque nul autre ne peut lui présenter en même temps une sécurité plus entière sur des intentions desquelles il n'est pas permis de douter. M. Lafayette est venu de son armée; mais M. Lafayette, arrêtant par des ordres qu'il a déposés sur le bureau l'expression du vœu de cette même armée....... (Une voix : Ce n'est pas le vœu de l'armée. Plusieurs voix: A l'ordre.) M. Lafayette, arrêtant, par des ordres qu'il a déposés sur le bureau, la continuation de l'expression du vœu de son armée, s'est trouvé dans une position où il était très urgent d'instruire l'Assemblée nationale du vœu qu'elle exprimait. Alors qu'a-t-il pu faire de mieux que de se rendre lui-même à la barre de cette Assemblée, que d'avouer une lettre sur laquelle on avait jeté des doutes à la fois risibles et injurieux, que de venir manifester lui-même l'opinion ferme et absolue de son armée de se battre pour la Constitution, et de ne se battre que pour elle! Je demande donc, messieurs, que la pétition de M. Lafayette soit renvoyée à la commission des douze, soit l'objet d'un examen réfléchi et approfondi, beaucoup moins pour juger la conduite du général, le vrai civisme l'a déjà jugée, que le mérite de la pétition elle-même ; que pour porter enfin les regards sur les causes de trouble et de désorganisation qu'on est forcé de vous dénoncer, et pour vous faire là-dessus,`

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