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séduite par vos proclamations, applaudissait à votre bonne foi, on vous arrête fugitif à Varennes!

» Sire, ce n'est pas à Montinédi que s'est rendu votre frère, compagnon de votre voyage... Chez tout autre peuple la déchéance eût vengé la fuite; en Angleterre on vous eût puni: la France, plus généreuse, s'est vengée par des bienfaits. A cette époque même elle vous a raffermi sur le trône et prodigué ses trésors; et, mitigeant en votre faveur l'acte constitutionnel autant que pouvaient le permettre les droits de l'homme, elle l'a présenté à votre acceptation: libre, vous avez juré devant Dieu et les hommes de le maintenir de tout votre pouvoir : est-il bien vrai que vous avez rempli cet engagement?

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Depuis cette époque un plan de contre-révolution couvre la France et se ramifie dans les cours étrangères : qu'avez-vous fait pour conjurer cet orage? Votre langage fut toujours constitutionnel; mais les faits seuls méritent d'être appréciés.

» Vous auriez dû sévir contre une noblesse factieuse, et vous l'avez protégée en lui prodiguant presque toutes les places dont votre choix dispose.

» Il existe un clergé rebelle à la Constitution, et il est fonctionnaire dans votre église, d'où il souffle peut-être le schisme et le désordre.

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Tous vos ministres devaient être d'un civisme irréprochable; cependant il en fut que la nation soupçonna d'aristocratie, de duplicité, et ce sont ceux-là que vous nous avez dit vous être les plus recommandables.

Des émigrés épuisent et menacent leur patrie : nous fai❤ sons des lois contr'eux; vous les rendez nulles.

» Des prêtres fanatiques tentent d'allumer la guerre civile 8 nous voulons les frapper; vous retenez notre bras.

» Des malveillans parcourent le royaume pour fomenter l'insurrection : l'intérêt public nous dicte une loi relative; vous en retardez deux mois la sanction.

» Votre velo ne peut être que suspensif; telle a été la volonté nationale; et vous l'étendez sur les décrets de circonstance, ce qui le rend absolu, vous permet d'entraver à volonté la machine politique, détruit le tribunal d'appel au peuple, et enchaîne la souveraineté nationale.

» Vous devez avoir de l'ascendant sur l'esprit des rois vos parens; et ce sont eux qui ont provoqué contre nous la conspiration des couronnes.

» Pour 'qui s'arment les cours? Pour vous.

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Que nous demandent-elles? De vous rétablir despote.

» La guerre s'est déclarée; un plan d'attaque a été combiné sous vos yeux; et nos ennemis out agi comme s'ils l'avaient lu.

» Tous ces faits, Sire, affligent et inquiètent la nation; elle craint qu'il n'existe dans votre cour même et à votre insu un foyer de contre-révolution; que l'on ait le projet de rendre la liberté odieuse au peuple, de mettre la nation aux prises avec tous les fléaux pour lui faire acheter la paix au prix de l'égalité.

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Que ces craintes soient fondées ou non, leur effet est funeste, et la nation vous conseille de les dissiper en adoptant sincèrement le parti de la révolution : vos souvenirs et vos préjugés s'y opposent; mais votre honneur l'exige, puisque vous êtes lié par des sermens; votre intérêt le commande, puisque ce n'est plus qu'à ce prix que vous pourrez régner en paix.

» Nous nous croirions coupables si nous tardions plus longtemps de vous faire connaître des vérités sur lesquelles on vous abuse. Vos courtisans vous disent que beaucoup de citoyens regrettent l'ancien régime, que les émigrés seront vainqueurs, que votre politique exige de ménager les deux partis, afin de réguer tout puissant si l'aristocratie triomphe, et de rester roi constitutionnel si le peuple est vainqueur... Hé bien, sachez que tout le peuple brûle de civisme! Il existe, il est vrai, quelques hommes peu jaloux d'une égalité qui les blesse, mais assez vils pour ne pas la défendre; ils n'oseront la combattre; leur égoïsme nous répond de leur lâcheté.

» Sachez que les émigrés et leurs soutiens seront vaincus parce que les peuples sont plus forts que les armées, et que si la nation s'aperçoit que vous n'avez pas concouru à la victoire vous n'en partagerez pas le fruit.

» Mais supposons que les troupes étrangères fussent victorieuses; en seriez-vous plus heureux? Ne craignez-vous pas qu'alors les maisons d'Autriche et de Brandebourg fissent de la France ce qu'elles ont fait de la Pologne? L'alliance monstrueuse de ces deux cours rivales peut-elle avoir d'autre but? Sans doute elles ont promis d'être généreuses; mais vous savez que les promesses des rois ne sont pas toujours sacrées; que l'ambition des conquêtes est l'idole des princes, et surtout de la maison d'Autriche; que tout est trahison en diplomatie. D'ailleurs qui rembourserait les puissances des frais de la guerre et des avances faites aux émigrés? Ce ne serait pas les peuples, épuisés, mécontens, dénués de numéraire : il faudrait donc qu'elles se payassent sur le territoire des départemens du Nord. Si ce malheur arrivait les départemens du Midi, que l'on n'aurait pu vaincre, ne tenteraient-ils pas de jouir entre eux de la liberté? Que vous resterait-il alors? Ne seriez-vous pas un monarque sans états, un despote sans sujets?

» Ce n'est pas tout: supposons même que l'empereur et le roi de Prusse, après avoir triomphé, ne voulussent que réta

blir la noblesse et la prérogative royale; vous conviendrait-il d'accepter leurs offres? Non; vous régneriez alors sur nous par le droit de la force, droit qui n'oblige qu'autant que l'on est le plus faible; et pensez-vous que vous seriez longtemps le plus fort? Les troupes étrangères ne séjourneraient pas toujours en France; une fois reparties, oseriez-vous vivre en oppresseur sur la terre de la liberté, parmi des hommes qui ont juré la résis– tance à l'oppression? Croyez-vous que cette noblesse, ressuscitée aujourd'hui, ne mourrait pas demain? Qui emploieriez-vous pour percevoir des impôts illégitimes? Des troupes de ligne? Et que pourraient quelques soldats citoyens contre des millions de citoyens soldats? Egorgeraient-ils leurs frères pour vous procurer de l'or? Ne se trouverait-il plus de gardes françaises, ou plutôt toutes les troupes ne le deviendraient-elles pas ? Sans perception d'impôts, comment paieriez-vous la dette publique, les frais du gouvernement et la solde de l'armée ? Quand même vos troupes seraient payées et dociles, en auriez-vous assez pour en distribuer partout où éclaterait le désordre? Et le volcan d'insurrection, allumé sous votre trône, n'acheverait-il pas par l'engloutir? Dans le courant du jour, dans le silence de la nuit ne croiriez-vous pas entendre sous les murs de votre palais les cris d'un peuple en fureur, `qui tenterait de briser sa chaîne ? Et si une fois il la brisait, compteriez-vous encore sur son indulgence? Sire, c'est vous en dire assez

» Les Français ne peuvent plus être remis sous le joug : sans ignorance point de despotisme durable: tout peuple qui a une fois connu et apprécié ses droits, découvert le secret de sa force collective et celui de la faiblesse individuelle des tyrans, ne demeure pas longtemps enchaîné. Si beaucoup de peuples anciens et modernes ont été asservis après avoir vécu libres, c'est que leur liberté tenait à leurs vertus et à leurs moeurs; en devenant vicieux et corrompus ils ont dû devenir esclaves, parce qu'ils restaient ignorans : mais un peuple qui comme nous arrive à la liberté par les lumières, et ayant pris la vérité pour guide, ne rétrograde pas. La vérité marche à pas lents sur la terre ; mais elle ne recule jamais; elle reste c'est l'erreur que le temps efface. La philosophie a éclairé la France; la France vivra libre en dépit de tous les despotes de la servile Europe. Ainsi le veut la force des choses; ainsi le veut l'opinion, cette souveraine de l'univers; ainsi le veut la marche de l'esprit humain, qui entraîne celle des empires!

» Roi des Français, votre intérêt exige impérieusement que vous embrassiez le parti de la révolution; mais il faut le faire avec sincérité : ne croyez pas pouvoir tromper de nouveau l'opinion publique; le vrai patriotisme a des traits qu'aucun

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la

masque n'imite. Pour croire à votre bonne foi voici ce que nation désire, et les désirs d'une nation sont des lois pour un roi fidèle.

» Aidez-nous à punir dans l'intérieur une aristocratie rebelle et un clergé fanatique.

» A côté d'un ministère ostensible, digne de la confiance publique, n'entretenez aucun comité clandestin dont l'avis secret dirige votre conduite.

» Dénoncez-nous tous ceux qui vous ont donné des conseils perfides.

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Dites à votre épouse que nous voulons que la mère de nos rois édifie la nation; qu'elle n'est plus aux yeux des lois vengeresses qu'une simple citoyenne.

>> Sanctionnez tous les décrets de circonstance; ne nous obligez pas d'examiner si votre veto doit s'étendre sur eux.

» Ecartez cet essaim de courtisans qui corrompent votre bonté naturelle.

» Destituez l'aristocratie de tous les places qu'elle occupe, et qui exigent un civisme dont elle ne pourra jamais se pé

nétrer.

» Combattez vos préjugés; adoptez les mœurs de l'égalité; donnez l'exemple du civisme; enfin travaillez avec nous à sauver ce superbe empire.

» Déclarez à tous ceux qui veulent reconquérir à main armée leurs titres de noblesse qu'une mort certaine sera le prix de leur fol orgueil, parce que, quand même ils triompheraient, nous et vous les déclarerions oppresseurs, et qu'alors, comme la résistance à l'oppression est un droit naturel et constitutionnel, chaque citoyen en tout temps, en tout lieu, pourrait légalement les frapper, et qu'il faudrait que le peuple les détruisît tous ou qu'ils détruisissent tout le peuple.

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Citoyen-roi, tel est le cercle des devoirs que vous avez à remplir; l'estime, la confiance nationale et la jouissance durable du trône ne seront qu'à ce prix.

>> Sachez les mériter! Et songez que le peuple sans vous est encore lui, encore tout, et que vous sans le peuple n'êtes rien. »

On a vu que l'agitation qui régnait en France avait éveillé la sollicitude du général Lafayette. (Voyez plus haut sa lettre du 16.) A la nouvelle de l'événement du 20 juin le sentiment d'horreur qui s'empare de son âme ne lui permet pas d'écrire ; il quitte son camp; il arrive à Paris le 28; il demande et

obtient la permission de paraître à la barre de l'Assemblée: on l'introduit; il est reçu du côté droit par les plus vifs applaudissemens; le côté gauche et les tribunes gardent un profond silence.

M. Isnard. « Comme il n'y a que des raisons puissantes qui aient pu décider un général d'armée à quitter le poste où la patrie l'appelait, je demande qu'on entende M. Lafayette avec calme. »

«

M. Lafayette. (Séance du 28 juin 1792.)

Messieurs, je dois d'abord vous assurer que, d'après les dispositions concertées entre M. le maréchal Luckner et moi, ma présence ici ne compromet aucunement ni le succès de nos armes ni la sûreté de l'armée que j'ai l'honneur de commander. » Voici maintenant les motifs qui m'amènent.

» On a dit que ma lettre du 16 à l'Assemblée nationale n'était pas de moi; on m'a reproché de l'avoir écrite au milieu d'un camp : je devais peut-être, pour l'avouer, me présenter seul, et sortir de cet honorable rempart que l'affection des troupes formait autour de moi.

» Une raison plus puissante m'a forcé, messieurs, à me rendre auprès de vous. Les violences commises le 20 juin aux Tuileries ont excité l'indignation et les alarmes de tous les bons citoyens, et particulièrement de l'armée : dans celle que je commande, où les officiers, sous-officiers et soldats ne font qu'un,

j'ai reçu des différens corps des adresses pleines de leur amour pour la Constitution, de leur respect pour les autorités qu'elle a établies, et de leur patriotique haine contre les factieux de tous les partis. J'ai cru devoir arrêter sur le champ les adresses par l'ordre que je dépose sur le bureau: vous y verrez que j'ai pris avec mes braves compagnons d'armes l'engagement d'exprimer seul nos sentimens communs ; et le second ordre que je joins également ici les a confirmés dans cette juste attente. En arrêtant l'expression de leur vœu je ne puis qu'approuver les motifs qui les animent : déjà plusieurs d'entre eux se demandent si c'est vraiment la cause de la liberté et de la Constitution qu'ils défendent.

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Messieurs, c'est comme citoyen que j'ai l'honneur de vous.

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