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ANNÉE 1792. — AN IV DE LA LIberté.
Assemblée législative.

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DISCOURS ET DISCUSSIONS SUR DIFFÉRENS SUJETS.

SITUATION DE LA FRANCE. (INTÉRIEUR.) Avril 1792. (Voyez dans le précédent volume les articles analogues.)

Les ténèbres de la diplomatie s'étaient dissipées devant la déclaration de guerre : la France connaissait ses ennemis extérieurs; elle les appelait loyalement au combat. Mais, plus dangereux, plus cruels ennemis, le sacerdoce et l'aristocratie continuaient de la déchirer au dedans; ils prenaient tous les masques, même celui du patriotisme; partout on ressentait leurs coups, nulle part on ne pouvait les frapper : les émigrés se retrouvaient dans une foule d'agens secrets qui se glissaient au sein des corps administratifs; ils y portaient l'inaction et le découragement : quant aux prêtres non assermentés, on a vu dans le volume précédent qu'en obte

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nant la protection du veto ils avaient échappé au décret porté contre eux; ils marchaient, ou plutôt is alarmaient, ils détruisaient sans obstacle. Enfin la désorganisation faisait de rapides progrès, et le pouvoir exécutif paraissait se complaire dans cet état a'armant, lorsque l'Assemblée nationale chargea un comité extraordinaire de l'éclairer sur la véritable situation de la France, et de lui proposer les mesures nécessaires dans ces déplorables cironstances.

RAPPORT sur les troubles intérieurs, fait au nom de la commission des douze par M. Français (de Nantes). — Séance du 26 avril 1792.

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Messieurs, vous avez voulu connaître les causes des troubles de l'intérieur, et en chercher les remèdes; vous avez en conséquence institué dans votre sein une commission de douze membres choisis dans vos divers comités pour réunir dans un foyer commun les éclaircissemens et les moyens que présente chaque partie de l'administration publique.

>> Ce nouveau comité, frappé des maux qu'éprouvaient plusieurs départemens, s'est empressé de vous proposer des mesures locales qui, en frappant quelques chefs de conjuration, dissipant les factions, donnant de la force aux administrations et maintenant le respect dû à la loi, out rétabli la paix dans ces départemens.

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» Passant ensuite aux mesures générales, votre comité a voulu connaître la véritable position du royaume ; il a examiné avec la plus grande attention les pieces qui lui ont été adressées. Il lui a fallu distinguer et classer les causes diverses qui agitent quelques villes et celles qui agitent les campagnes; celtes qui agissent dans quelques départemens du nord, celles qui agissent dans les départemens du sud; remonter des causes particulières aux causes générales, et s'assurer si elles ne tenaient pas à un fil unique et à un système commun. Venant aux moyens de répression, il a examiné ceux qui ont été employés par les corps administratifs, et l'effet qu'ils ont produit; il a médité ceux qu'on pourrait employer encore et qui auraient pu échapper à leur zèle; ii a fixé son attention sur les projets‹ qui vous ont été adressés, et il ne peut que rendre grâces à l'em

pressement du peuple, qui entoure le sanctuaire de la loi de ses avis et de ses instructions. Tout ce qui vous sera proposé de juste, de bon, de constitutionnel, vous l'adopterez toujours, et vous rendrez au peuple en décrets ce qu'il vous aura donné en lumières.

» Votre comité commencera par vous présenter une vérité consolante; c'est que s'il règne de l'effervescence dans les départemens la très grande majorité est cependant tranquille : cinq ou six districts seulement offrent des scènes de dévastation dont le scandale est encore grossi par ceux qui se chargent du triste soin de les retracer : l'envie de faire effet dans une grande assemblée, le besoin de peindre des choses merveilleuses ou terribles, la frayeur qu'elles inspirent, le désir d'un secours prompt et efficace, tout provoque les imaginations ardentes à former ces lugubres tableaux, dans la peinture desquels elles trouvent un instant d'adoucissement au sentiment qui les oppresse; lorsqu'on voit une maison en feu on s'écrie déjà que toute la ville est en cendre. La peur et l'exagération sont toujours de mauvais historiens; nous en avons vu un exemple récent quelques municipalités étaient en insurrection et taxaient arbitrairement les grains; et le ministre de l'intérieur, dans l'émotion qu'il en éprouva, vint vous dire: La patrie est en danger! En prononçant ces formidables paroles le ministre céda à la sensibilité qu'on lui connaît, sensibilité qui dans les vives agitations qu'elle donne à l'âme ôte au jugement cette froideur et cette liberté nécessaires pour apprécier les choses à leur véritable valeur.

» Le caractère de l'homme d'état se compose de la sensibilité du cœur et de la froideur de la raison; et celui-là chez un peuple libre serait peu propre à servir la chose publique qui pourrait jamais désespérer d'elle. Vingt fois les états libres se sont trouvés dans des dangers imminens et à deux doigts de leur perte; vingt fois les hommes pusillanimes s'écriaient que tout était perdu et qu'il fallait tout abandonner; mais ceux qui savaient ce que c'est que la liberté, l'énergique courage dont elle remplit les âmes, la hauteur où elle les élève; ceux qui savaient que dix hommes libres valent mieux que cent esclaves ne désespérèrent jamais du salut public. Il n'est qu'une seule

situation où tout est vraiment perdu; c'est lorsque cette noble passion est éteinte dans toutes les âmes, lorsqu'on ne vit plus que pour soi et non pour la patrie, lorsqu'on ne trouve plus de volupté à lui offrir son sang et son patrimoine, lorsque chaque citoyen est un tout isolé qui ne ressent plus l'outrage fait à son pays; c'est alors vraiment que tout est perdu ; c'est alors que le corps politique n'est plus qu'un cadavre dont les vautours du despotisme vont bientôt se disputer les lambeaux : mais lorsque ce feu sacré est dans tous les cœurs, tant qu'on le sent palpiter dans toutes les artères, comptez que le dérangement qu'il éprouve n'est qu'un mal momentané, qui cédera à un remède léger et à un régime adoucissant.

>> Eh! quel est celui des Français qui pourrait se livrer à un lâche abattement lorsqu'il considère que les despotes ne pouvaient faire en plusieurs années cette levée de cent mille hommes que le cri seul de la liberté a faite en un jour; lorsque nous avons tant de peine à retenir cette bouillante ardeur qui semble entraîner la France libre sur l'Europe esclave ou ennemie ; lorsque dix millions de bras n'attendent que le premier coup de canon pour aller délivrer les peuples qui les appellent, et préparer l'affranchissement du genre humain ! Et nous aussi nous avons eu à gémir en parcourant l'histoire des troubles que celte effervescence a fait naître; mais lorsqu'après avoir payé à l'humanité ce tribut de sensibilité nous avons considéré de sang froid les causes de ces troubles, nous n'y avons trouvé aucun caractère qui puisse présager des périls pour la liberté. Nous avons entendu à la vérité une poignée d'esclaves décorés crier à la noblesse; d'autres, armés de poignards, crier à la monarchie; d'autres, couverts d'habits lugubres, crier à la religion, et quelques uns à la république ; mais au milieu de tous ces cris nous avons entendu une voix toute puissante qui les couvrait tous; cette voix retentissait de tous les points de l'empire; c'était celle de la nation; elle disait : périssent toutes les factions! Nous voulons la Constitution et la loi!

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Depuis l'institution de votre comité les mesures que vous avez prises ont ralenti et presque entièrement apaisé les troubles. Vous avez fait chez l'étranger des approvisionnemens de grains; vous avez organisé la gendarmerie; décrété la loi

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des passeports; vous avez mis les biens des émigrés sous la main. de la nation ; vous avez décrété l'émission d'un petit numéraire ; vous avez frappé l'ancien clergé dans son enveloppe extérieure 1); enfin les premiers agens du pouvoir exécutif ont été changés : il en est déjà résulté et il en résultera encore plus sensiblement par la suite l'ouverture des greniers, la circulation des grains et la paix des marchés, la conservation des propriétés des cidevant seigneurs, la répression du vagabondage, la tranquillité des ouvriers, qui manquaient de monnaie, la confiance entre le peuple et son gouvernement constitutionnel. Ainsi chaque année, chaque jour, chaque instant sera un pas de plus que nous aurous fait vers l'ordre et loin de l'anarchie, parce qu'il éteindra les viles passions, calmera de plus en plus les citoyens, les attachera davantage, à la liberté par toutes les douceurs d'une paisible jouissance.

» Dans les révolutions de la nature comme dans celles de la politique le temps est la seule chose qu'on ne puisse ni devancer ni arrêter : ce n'est pas assez d'avoir fait une révolution; il faut que le temps cicatrise les blessures douloureuses qu'elle a laissées dans des cœurs profondément ulcerés : ce n'est pas assez d'avoir fait une Constitution; il faut que le temps en consolide les bases, qu'il raffermisse le terrain mouvant sur lequel elle a été élevée : ce n'est pas assez d'avoir conquis la liberté; il faut encore que le peuple se façonne à ses saintes lois, car il ne suffit pas d'être libre, il faut encore apprendre à l'être. Il faut l'entourer cette liberté d'institutions qui puisse faire naître des mœurs dignes d'elle; il faut en écarter le flambeau de la discorde, le poignard de la licence, la bache des brigands; il faut la présenter au peuple dans sa pureté, avec ses charmes naturels, accompagnée des mœurs et des vertus, afin que toutes les âmes sensibles puissent dire: la voilà celle que nous voulons adorer! Cette liberté et ce bonheur sont surtout dans la soumission aux lois, soumission d'autant plus honorable qu'elle laisse dans le cœur du vrai citoyen le sentiment noble et fier de la volonté qui se soumet, et de la force qui se modère.

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(1) Décret du 6 avril 1792, qui prohibait tout costume ecclésias

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