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« Nous avons vu avec peine, y disait-on, l'Algérie replacée sous le régime militaire, et privée ainsi que nos colonies, d'institutions représentatives et du droit d'envoyer des députés au Corps législatif.

Partant du principe posé dans l'article 1er du décret du 2 février 1852 : « Chaque département aura un député à raison de 35,000 électeurs. >>

M. Jules Favre pensait que l'exception dont étaient frappées sur ce point l'Algérie et les colonies, n'avait nulle raison d'être. Que, dans le principe, et lorsque les armes de la France avaient soumis cette terre (l'Algérie), qui semblait être le refuge classique de la piraterie, « l'autorité militaire ait été toute-puissante, » l'orateur le comprenait. Cependant en interrogeant l'histoire de la colonie, il voyait que la nécessité d'un Gouvernement civil, s'était, pour ainsi dire, fait immédiatement sentir, témoin l'ordonnance du 26 décembre 1831, réglementaire des pouvoirs et des attributions d'un gouverneur civil qui devait partager la toute-puissance avec l'autorité militaire. L'exécution de l'ordonnance avait rencontré des obstacles: c'est qu'il fallait conquérir et affermir la domination française. Vint la nécessité de la colonisation et, partant, pour les colons la nécessité des garanties du régime civil. Sur ce point M. Favre s'appuyait sur le rapport fait en 1846, « par l'illustre et regretté M. Tocqueville, » lequel demandait la subordination de l'autorité militaire à l'autorité civile. Il s'ensuivit le rappel du maréchal Bugeaud et son remplacement par « un jeune prince, qui était entouré de toutes les espérances, qui, par son éducation, par les idées qu'il avait reçues en France, devait inaugurer un régime nouveau. » L'orateur rappelait que, en 1848, ce prince dut quitter l'Algérie « où il avait laissé d'excellents souvenirs, et où il avait créé des fondations, » qui conserveraient son nom et sa mémoire.

— « C'est là le sentiment de toute l'armée, » interrompit à cet endroit, le général Lebreton; 1848 donna à l'Algérie le droit d'élire ses représentants et ils parurent dans l'Assemblée constituante. C'est-à-dire qu'après 18 années d'occupation, cette terre avait eu des représentants qui pouvaient faire connaître ses besoins, s'expliquer sur la nécessité de son organisation gouver

mentale. Il en était résulté une discussion qui aboutit au rapport dans lequel M. Passy résumait ainsi les vœux de la Commission d'alors: «Tous les pouvoirs centralisés à Paris dans les mains d'un ministre spécial, l'administration générale de chaque province confiée à un gouverneur civil assisté d'un conseil provincial; chaque province divisée en territoire civil et en territoire militaire et formant une division militaire; le territoire civil régi directement par le Gouvernement provincial avec un conseil de préfecture et un conseil général électif; le territoire militaire régi sous l'autorité du gouvernement provincial par le général commandant de la division, assisté d'une commission consultative; la direction, une pour chaque province, ayant le caractère civil, double condition indispensable au progrès régulier et suivi de la colonisation; et en dehors et à côté des combinaisons administratives, un commandant supérieur des forces de terre et de mer chargé de pourvoir à la défense du pays. » Mais ces vœux avaient rencontré un obstacle invincible de la part du ministère de la guerre, lequel « considérait » l'Algérie «< comme un sol inféodé à son autorité souveraine. » Parmi les causes de ce résultat, l'orateur rangeait les bureaux arabes dont il constatait les services, mais qui, à son sens, avaient duré trop longtemps. Affranchis de tout contrôle sérieux, trop loin même de l'autorité militaire, ils avaient pu faire régner sur le pays soumis à leur autorité un pouvoir pour ainsi dire absolu. Et il avait eu, pour la colonie, cet effet funeste qu'au lieu de chercher à assimiler la race arabe, il lui avait conservé autant que possible son individualité.

Un homme d'une grande autorité, le maréchal Soult, se plaignait déjà en 1838 de l'indépendance absolue où les bureaux arabes se trouvaient vis-à-vis de l'autorité militaire, et de leur rupture de tous liens avec le ministère de la guerre. Il déclarait impossible l'accomplissement d'aucune amélioration efficace, si on ne rendait pas au pouvoir central l'autorité indispensable à la direction des affaires générales. De là, faisait observer M. Jules Favre, la langueur de la colonisation et le presque avortement des efforts pour féconder cette terre. « Soyez-en sûrs, disait l'orateur, le pouvoir absolu est le plus coûteux à maintenir,

mais il est le plus stérile dans les résultats qu'on attend de lui. » Puis il rappelait que c'était en 1858 qu'on avait reconnu la nécessité de donner à l'Algérie une organisation nouvelle. Et il citait à l'appui le rapport qui avait précédé le décret du 31 août de cette année (V. Annuaire), qui devait ouvrir, pour l'Algérie, une ère complètement nouvelle. « Gouverner de Paris, y disaiton, et administrer sur les lieux... » Tel est le système qui paraît le plus propre à contribuer au prompt développement de la prospérité de nos possessions du nord de l'Afrique. Et le rapport résumait ainsi l'état de l'Algérie Beaucoup de bien. avait été fait, des résultats immenses avaient été obtenus, mais on ne pouvait se dissimuler qu'il y avait des abus à faire cesser. Il y était ajouté que « la colonisation était presque nulle: deux cent mille européens à peine, dont la moitié français; moins de cent mille agriculteurs; les capitaux rares et chers; l'esprit d'initiative et d'entreprise étouffé, la propriété à constituer dans la plus grande partie du territoire; le découragement jeté parmi les colons et les capitalistes qui se présentaient pour féconder le sol de l'Algérie. » Telle aurait été la situation, au dire de l'auteur du document cité. Le remède, selon M. Favre, était la Constitution d'un pouvoir civil fortement constitué. Il applaudissait en conséquence aux paroles du Ministre chargé alors de ce département. « Notre unité nationale n'a rien à redouter désormais de l'exagération de l'individualisme et de l'esprit local. Le danger n'est point là; il serait plutôt dans la tendance contraire. «L'Empereur veut, ainsi parlait le Ministre, que, tout en continuant d'assurer au moyen d'une armée suffisante, la soumission des Arabes et leur tranquilité, son Gouvernement ait pour principal but la colonisation. Pour cela, il faut à côté de la sécurité plus de liberté. »

A son tour, M. Favre exprimait cette opinion que « le pouvoir civil ne peut organiser la société coloniale; » que le régime civil était nécessaire pour amener les travailleurs, les capitalistes et les propriétaires paisibles. Il demandait donc, au nom des auteurs de l'amendement, la restitution du droit commun au profit de l'Algérie.

Le général Allard, commissaire du Gouvernement, répondit en

son nom. Il fit porter sa réponse surtout sur deux points: les bureaux arabes et le rapport fait en 1846 par M. de Tocqueville. Et d'abord, quant aux bureaux arabes, d'accord avec le préopinant sur les services qu'ils avaient rendus, il ne pensait pas comme lui sur la nécessité et l'opportunité de les supprimer. Pour demander la suppression il faudrait ne pas tenir compte des territoires militaires, ne pas tenir compte de cette population hétérogène de 3 millions d'Arabes avec laquelle les Français étaient en contact et en relations par l'intermédiaire des bureaux arabes S'agissait-il du rapport de M. de Tocqueville? Il n'avait pas été le seul à exprimer le vœu d'une administration civile, mais entre le vœu et la réalisation, il y avait la pratique, c'est-à-dire tout un abîme.

Que demandait l'amendement? De déclarer que la chambre voyait avec peine l'Afrique replacée sous le régime militaire et privée, ainsi que nos colonies, d'institutions représentatives et du droit d'envoyer des députés au Corps législatif. Depuis la dernière expédition de Kabylie (1858), la seule qui importât réellement au raffermissement de notre domination, la tendance du Gouvernement avait été de développer constamment les territoires soumis à notre administration civile, ce qui en effet put se réaliser en 1860 Je territoire civil d'Oran, ceux d'Alger et de Constantine furent considérablement augmentés. Quant aux institutions représentatives, des conseils généraux furent créés, mais à la nomination de l'Empereur et choisis parmi les Français, les israélites et les musulmans. Y avait-il dans tout cela un régime militaire?

S'agissait-il de la colonisation et du commerce? Le général Allard rappelait tout ce que l'on avait fait pour les favoriser : l'organisation d'un service topographique et cadastral considérable; le cantonnement, la culture du coton encouragée ; 1,717 hectares cultivés en 1859; l'ouverture de trois ports de mer, des travaux de dessèchement et de forage, la construction de plusieurs phares. M. Favre donnait des éloges au ministère spécial, mais ses éloges s'arrêtaient au 20 novembre et au 10 décembre à l'occasion de la constitution nouvelle en apparence donnée à l'Algérie. Que faisait cependant le décret du 10 décembre ? Il maintenait les préfets et les conseils de préfecture; les généraux

de division fonctionnant comme préfets dans les territoires militaires avec les services civils spéciaux tenant lieu de conseil de préfecture. Maintien aussi des conseils généraux avec toutes leurs attributions. Adjonction au conseil général d'un comité consultatif. Enfin, institution d'un conseil supérieur appelé à préparer le budget et à le répartir entre les trois provinces. La conclusion, aux yeux de l'honorable orateur, était que le Gouvernement entendait bien constituer un régime civil. En conséquence, il repoussait la première partie de l'amendement ayant pour objet de faire donner à l'Algérie des institutions représentatives. Si l'on entendait par là l'application du droit commun de la France, l'organe du Gouvernement repoussait cette prètention, à l'issue de laquelle il ne voyait que désordre et impossibilités. « Tant, disait-il non sans raison, qu'il y aura en Algérie des populations étrangères à nos lois et à nos institutions, ayant des mœurs et des traditions complètement en opposition avec les nôtres, dispersées sans agrégation sur des territoires immenses..., le régime des décrets, sera, je le crains, pendant longtemps encore seul applicable à cette situation. » Où trouver d'ailleurs, en Algérie, demandait l'orateur, les éléments de l'élection? On avait essayé en 1849, et l'on avait appelé à l'électorat les Français âgés de 21 ans accomplis et jouissant de leurs droits civils et politiques. » Savez-vous, demandait M. Allard, à quel nombre s'élevèrent les électeurs? A 23,000 environ pour les 3 provinces, alors que la loi française exige 35,000 électeurs pour un député. Réflexions analogues en ce qui concernait les colomes où se rencontrent en effet des populations « mêlées de blancs et de noirs,» sans grandes affinités entre elles et divisées par la mesure de l'émancipation. Il y aurait danger à introduire des questions politiques au milieu de pareilles populations. D'ailleurs, le sénatus-consulte du 3 mai 1854, constitutif de l'organisation des colonies, avait donné à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Réunion, une double représentation: un conseil général local et un conseil colonial siégeant à Paris, et dans lequel un délégué de chacune de ces colonies, nommé par le conseil général.

Réplique de M. Jules Favre : Il restait constant à ses yeux que si, depuis 1860, l'autorité du gouverneur général de l'Algérie,

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