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les limites de la regle posée par Vattel, la confiscation des cargaisons saisies aurait été justifiable. Il avait été longtemps établi que toutes les marchandises de contrebande sont sujettes à la confiscation par le droit des gens, soit qu'elles fussent de contrebande de leur nature, soit qu'elles le devinssent par les circonstances, et même dans les premiers temps, où cette règle n'était pas si bien établie, nous trouvons que les nations qui cherchaient une exemption de confiscation n'ont jamais prétendu s'appuyer sur des raisons spécialement applicables à aucune description particulière de contrebande, mais sur des raisons générales qui embrassaient tous les cas de contrebande, de quelque nature qu'elle fût. Comme il était donc admis que les cargaisons en question n'étaient pas sujettes à la confiscation, comme contrebande, il était manifeste que la circonstance qui donna naissance à cet ordre du conseil ne pouvait pas avoir été telle que Vattel l'avait en vue, ou, en d'autres termes, que les cargaisons n'étaient pas devenues du tout contrebande, dans le sens vrai de son principe, ou de tout autre principe reconnu dans le droit général des gens.

L'autorité de Grotius fut aussi citée à l'appui de cette proposition, et la même réponse lui fut donnée que dans les observations que nous avons déjà faites sur la doctrine de contrebande 1.

On ajouta que dans son troisième livre (chapitre 7, sect. 1), en récapitulant ce qu'il avait dit précédemment sur ce sujet, Grotius expliqué sa doctrine de nécessité, et confirme trèsexplicitement l'interprétation qu'on avait donnée aux textes déjà cités. Rutherforth, dans son commentaire sur Grotius (lib. III, chap. I, sect. V), expliquait aussi ce qu'il y dit du droit de saisir les comestibles pour la raison de nécessité, et il supposait que son intention était que la saisie ne pouvait être

1 Voyez première période, § 14.

justifiable sous ce point de vue, « à moins que l'exigence des affaires ne fût telle que nous ne puissions pas faire autrement '. >>

Bynkershoek aussi limitait le droit de saisir les marchandises qui ne sont pas généralement contrebande de guerre, et entre autres les munitions de bouche, aux cas mentionnés ci-dessus 2.

Il paraissait donc, qu'en tant que l'autorité des publicistes puisse influencer la question, l'ordre du conseil de 1795 ne pouvait s'appuyer sur aucune juste notion de contrebande, et sous ce point de vue il ne pouvait pas non plus être justifié par la raison ou l'usage approuvé des nations.

Si le simple espoir, quelque peu fondé qu'il fût en apparence, de nuire à son ennemi, ou de le réduire en interdisant au port non assiégé ou bloqué le commerce des neutres quant aux articles de provisions (qui en elles-mêmes ne sont pas plus de contrebande que les marchandises ordinaires), autorisait cette interruption de commerce, il s'ensuivrait qu'une puissance belligérante pourrait en tout temps empêcher, sans siége ou blocus, tout commerce avec son ennemi; puisqu'il y a en tout temps raison de croire qu'une nation, n'ayant que peu ou point de vaisseaux marchands, pourrait être tellement affaiblie, les autres nations étant empêchées de commercer avec elle, qu'une telle interdiction pourrait devenir un moyen puissant de la réduire aux extrémités. Le principe était si vaste dans sa nature, que sous ce rapport il était incapable de recevoir aucune limitation. Il n'y avait pas de distinction solide, en envisageant ainsi le principe, entre les provisions et beaucoup d'autres articles. Les hommes devaient être habillés aussi bien que nourris, et souvent la privation des objets de simple commodité est vivement sentie par ceux auxquels l'habitude en a fait une nécessité. Une nation doit être affaiblie

1 RUTHERFORTH, Institutes, vol. II, b-2, chap. IX, § 49. 2 BYNKERSHOEK, Q. J. publ., lib. I, cap. 9.

et appauvrie à mesure qu'elle est privée de son commerce accoutumé avec les autres états, et s'il est permis à une puissance belligérante de violer la liberté du commerce neutre à l'égard de tout article qui n'est pas de contrebande en soi, dans l'espérance de nuire à son ennemi, ou de l'amener à des conditions par la saisie de cet article et de l'empêcher d'arriver dans ses ports; pourquoi, dans le même désir de nuire, ne pourrait-elle pas couper, autant que possible, par des captures, toute communication avec l'ennemi, et ainsi abattre à la fois son pouvoir et ses ressources?

Quant au 48me article du traité de 1794 entre les ÉtatsUnis et l'Angleterre, il avait évidemment laissé la question dans l'état où il l'avait trouvée : les deux parties contractantes ne pouvant s'accorder sur une définition des cas où les provisions et les articles qui ne sont généralement pas de contrebande peuvent être regardés comme tels (le gouvernement américain voulant limiter ce principe aux seuls objets destinés aux places assiégées, bloquées ou investies, tandis que le gouvernement anglais maintenait qu'il fallait l'étendre à tous les cas où l'on peut espérer de réduire l'ennemi par la famine), ces deux parties s'entendirent pour stipuler «< que lorsque lesdits objets deviennent de contrebande suivant le droit des gens, et sont pour cette raison saisis, ils ne seront pas confisqués,» mais que les propriétaires seront complètement indemnisés de la manière prévue dans ledit article. Quand le droit des gens, existant à l'époque où le cas se présente, prononce que les articles sont de contrebande, ils peuvent être saisis pour cette raison; autrement ils ne peuvent pas être saisis. De cette manière chaque partie eut la liberté de décider si le droit des gens dans ce cas se prononçait pour la contrebande ou contre, et aucun des deux n'était obligé de subir le jugement de l'autre. Si l'une des parties, sous le faux prétexte d'être autorisée par le droit des gens, faisait une

saisie, l'autre avait toute liberté de la contester, d'en appeler à ce droit des gens, et, s'il le trouvait convenable, d'avoir recours aux représailles et à la guerre.

Quant au second prétexte dont on cherchait a se prévaloir pour justifier l'ordre du conseil, c'est-à-dire la nécessité, l'Angleterre étant alors menacée d'une disette, comme on prétendait, il fut répondu qu'on ne niait pas qu'une nécessité extrême pût justifier une telle mesure; il s'agissait seulement de déterminer si cette nécessité existait réellement, et sous quelles conditions le droit qu'elle donnait pourrait être exercé.

Grotius et les autres publicistes étaient d'accord pour déclarer qu'il était indispensable que la nécessité fût réelle et pressante, et qu'alors même elle ne donne pas le droit de s'approprier les biens des autres, tant que tous les autres moyens d'y pourvoir n'ont pas été essayés et trouvés insuffisants. Il ne pourrait être douteux qu'il y avait d'autres moyens d'éloigner le malheur dont l'Angleterre était menacée. L'offre d'un marché avantageux dans les divers ports du royaume aurait dû être un moyen efficace pour y attirer les produits des nations étrangères. Les négociants n'ont pas besoin d'être contraints d'entrer dans un commerce profitable; ils savent diriger leurs expéditions où l'intérêt les attire; et si cet attrait leur est présenté à temps, ils ne manqueront pas de s'y rendre. Mais aussi longtemps que les prix des grains sur les marchés d'Angleterre étaient inférieurs à ceux offerts dans les ports de son ennemi, pouvait-on s'étonner que les neutres cherchassent de préférence les derniers? Pouvait-on dire qu'elle fût autorisée sur la seule crainte de disette non réalisée à avoir recours au moyen violent de se saisir des provisions appartenant aux neutres? Après que cet ordre fut publié et exécuté, le gouvernement anglais a eu recours au moyen qu'il aurait dû employer auparavant il a offert des primes pour encourager l'importation des marchandises dont

il avait besoin. La conséquence en fut que les neutres sont arrivés avec des cargaisons de blés au point que les marchés furent bientôt surchargés.

Sur ces considérants, une indemnité complète fut accordée par les commissaires nommés, d'après l'article 7 du traité de 1794, aux propriétaires des vaisseaux et des cargaisons saisis en vertu de l'ordre du conseil, tant pour la perte du marché que pour les autres suites de la détention '.

Nous avons déjà vu que les États-Unis, par leur traité de 1778 avec la France, avaient adopté le principe de vaisseaux libres, murchandises libres. Au commencement de la guerre maritime en 1793, M. Genêt, l'envoyé de la république française, se plaignit auprès du gouvernement américain de ce que des marchandises appartenantes aux Français eussent été saisies à bord des vaisseaux américains par des croiseurs anglais. Dans sa réponse à cette réclamation, M. Jefferson, secrétaire d'état pour les affaires étrangères, posait en principe que, d'après le droit des gens universel, les marchandises d'un ami, trouvées à bord du vaisseau d'un ennemi, sont libres, et les marchandises d'un ennemi à bord d'un vaisseau ami, sont de bonne prise. D'après ce principe, il supposait que les croiseurs anglais avaient arrêté les propriétés des citoyens français trouvées à bord des vaisseaux américains dans les cas précités, et il avoua ne pas connaître de principe d'après lequel on pourrait réclamer contre cette saisie. Il était vrai que plusieurs nations, désirant éviter les inconvénients de soumettre leurs vaisseaux à être arrêtés en mer, visités, et amenés dans les ports étrangers pour y être jugés, sous prétexte qu'ils étaient chargés de marchandises ennemies, avaient, dans quelques occasions, introduit par des traités spéciaux un autre principe entre eux, c'est-à-dire que les vais

3 Conclusions de M. W. Pinkney, un des commissaires de la commission mixte constitué par le traité de 1794, dans le cas du navire américain le NEPTUNE, M. S. penes me.

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Discussion

entre les gouvernements américain

et français à l'égard du principe de vaisseaux libres, marchandises libres.

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