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de ces vingt mille hommes, qui ne seraient pas des coquins; que le ministre de la guerre se chargerait de leur donner des officiers et un mode d'organisation; qu'il fallait que ce ministre indiquât Soissons, et nommât un commandant général ferme et sage, avec deux bons maréchaux-de-camp ; qu'on formerait ces hommes par bataillons à mesure qu'ils arriveraient, et qu'aussitôt qu'il y aurait quatre ou cinq cents hommes, le ministre profiterait des demandes des généraux et les enverrait à l'une des trois armées; qu'au moyen de ces mesures, ce décret, rendu avec une intention si perfide, au lieu d'être nuisible, tournerait à l'avantage de la chose publique. « Mais êtes-vous sûr d'obtenir la permission de faire ce rassemblement à Soissons?

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J'en réponds, Sire.—En ce cas, répliqua le roi d'un air plus gai, il faut que vous preniez le ministère de la guerre. » Dumouriez objecta l'immense responsabilité de ce ministère; que les généraux étaient ses ennemis; qu'on lui imputerait leurs fautes mais puisqu'il s'agissait de la sûreté du roi, de celle de son auguste famille, et du maintien de la constitution, il ne balançait pas. « Vous voilà donc, Sire, ajouta Dumouriez, décidé à sanctionner le décret du camp de vingt mille hommes ?-Oui volontiers, si vous êtes ministre de la guerre : : je me fie entièrement à vous.-Venons à présent, Sire, au décret sur les prêtres. -Oh! celui-là je ne saurais m'y déterminer. - Sire, vous vous êtes

mis vous-même dans la nécessité de le sanctionner,

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en sanctionnant le décret sur la constitution civile du clergé. J'ai fait une grande faute et je me la reproche. — Sire, si vous ne sanctionnez pas le nouveau décret, cette seconde faute sera bien plus grande; vous mettrez le poignard sur la gorge de ces malheureux prêtres. » La reine se joignit à Dumouriez, et avoua qu'il avait raison. Le roi paraissait extrêmement agité; Dumouriez le pressait vivement, répétant sans cesse que cette sanction était indispensable, que sans elle on ne pouvait rien tenter. Le roi, après avoir montré la plus forte répugnance, promit erffin de sanctionner le décret (1).

Les choses ainsi convenues, Roland, Servan et Clavières recurent leurs démissions: ils cachèrent leur rage sous un faux semblant de satisfaction, affectant de se féliciter avec leurs amis de quitter un ministère où l'on ne pouvait faire le bien, et où l'on avait sans cesse à lutter contre les intentions perfides d'une cour contre-révolutionnaire. Le roi chargea Dumouriez de remplacer les trois ministres que l'on venait de renvoyer. Mourgues (2)

(1) Vie de Dumouriez.

(2) M. Mourgues, qui ne fut ministre que quelques jours, était né à Montpellier. Il y résidait à l'époque de la révolution, dont il embrassa la cause. Avant d'être élevé au ministère, il fut chargé de la direction des travaux du port de Cherbourg, et se fit connaître à Dumouriez, qui le présenta au roi, comme un sujet propre à succéder à Roland au ministère de l'intérieur. M. Mourgues est auteur de plusieurs

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eut l'intérieur, Dumouriez garda les affaires étrangères, en attendant l'arrivée de l'homme (1) auquel il les avait destinées.

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Dumouriez était enfin parvenu au terme que lui désignait son ambition, il se voyait premier ministre mais les girondins étaient furieux contre lui; ils le traitaient d'intrigant, de traître, de conspirateur, le menaçaient de leurs vengeances. La Roland et ses folliculaires le dénonçaient à tous les clubs.

Les trois ministres disgraciés se rendirent à l'Assemblée, et, dans les discours qu'ils tinrent, s'efforcèrent de présenter leur expulsion du ministère comme un crime de lèse-nation. Roland lut sa lettre au roi. L'Assemblée en décréta l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens (2). Dumouriez s'étant ensuite présenté, des huées, des cris confus de trahison, s'élevèrent de toutes parts.

ouvrages politiques estimés. Il a laissé un fils qui a hérité de ses talens, et dont l'active industrie a élevé une très-belle filature de coton à Doulens. (Note des édit.)

(1) Cet homme était M. de Naillac, ministre aux DeuxPonts. Lorsqu'il revint à Paris, il trouva la place prise par M. de Chambonas, nommé quelques jours après, et passa à Gênes, où il resta jusqu'en 1794. M. de Naillac fut décrété d'arrestation par la Convention nationale, comme contrerévolutionnaire; mais il parvint à se soustraire à ce décret. Il servit, dans la suite, sous un autre nom, dans l'armée d'Italie, et se trouva au siége d'Ancône. Depuis il a disparu de la scène politique. (Note des édit.)

(2) Séance du 13 juin.

Dumouriez, sans paraître donner aucune attention à cette marque de défaveur, lut une lettre de La Fayette, qui rendait compte d'un léger avantage remporté sur le général Cláirfait, mais qui annonçait en même temps la mort de M. de Gouvion, tué d'un boulet de canon à l'attaque d'un retranchement des ennemis. La mort de M. de Gouvion fâcha les membres constitutionnels de l'Assemblée : les deux partis se réunirent cependant pour jeter quelques fleurs sur la tombe de ce brave homme. Alors Dumouriez, comme s'il eût affecté de ne. garder aucun ménagement avec les girondins, entra dans un long détail de l'état alarmant où se trouvait le département de la guerre, et parla, sans détours, du délabrement de l'armée, du manque d'armes, d'habits, de chevaux, de munitions, d'effets de campement : il assura que le non-complet s'élevait à quarante mille hommes et à dix mille chevaux; que la plupart des places étaient démantelées; qu'il n'y avait ni vivres ni munitions; que plusieurs des officiers et des commandans étaient suspects ou ennemis déclarés de la constitution; que la presque totalité des commissaires, des gardes-magasins et des commis, étaient vendus au parti contre-révolutionnaire; qu'il en était de même de plusieurs municipalités frontières; que les bureaux de la guerre étaient mal composés ; que les agens de tous les marchés commettaient les dilapidations les plus ruineuses; que, malgré leur infidélité et leur incapacité bien reconnues, le

dernier ministre s'était fié à eux des marchés qu'il avait passés; que toutes les levées d'hommes décrétées par l'Assemblée, d'après les demandes de MM. de Narbonne, de Grave et Servan, ne s'étaient point effectuées, parce que l'Assemblée n'avait pas fait les fonds nécessaires. Dumouriez attaquant alors ouvertement la conduite de Servan, pendant son court ministère, démontra la nullité de ce ministre, que l'Assemblée venait d'honorer de ses regrets il ne ménagea pas davantage les girondins ni l'Assemblée elle-même, lui reprocha son insouciance, son peu de connaissance des affaires, sa manie de toujours décréter, sans s'occuper de l'exécution de ses décrets : il finit en lui traçant, d'un ton d'autorité, la conduite qu'elle devait tenir désormais, l'ensemble et l'union qu'elle devait mettre dans son action avec le pouvoir exécutif, au lieu de le chicaner sans cesse sur des vétilles.

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Ce ne fut pas sans une vive impatience, ni sans de violens murmures, que les girondins écouterent Dumouriez. Guadet répondit, d'un ton aigre, qu'après avoir obtenu le renvoi des ministres patriotes, Dumouriez se croyait déjà autorisé à donner des avis à l'Assemblée. Les girondins le sommèrent, avec un regard de fureur, de signer son mémoire. Dumouriez le signa et sortit.

Malgré ce ton affecté d'assurance des girondins, les vérités que contenait le mémoire de Dumouriez les frappèrent profondément : mais il était essentiel de rassurer le peuple auquel on en imposait gros

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