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qui menaçaient la tranquillité publique. Un prêtre et une messe semblaient les avoir occasionés (1). Un secret complot de quelques mécontens, lié aux intrigues des émigrés de la province, en était la véritable cause. L'entreprise, ainsi que celles que l'on avait tentées jusque-là, fut mal combinée et échoua. Les girondins demandèrent la formation de la haute-cour nationale. Bazire représenta la nécessité de créer un comité de surveillance, qui s'occupât des dénonciations qui arrivaient chaque jour de toutes les parties de l'empire (2). Les cons

(1) Il est ici question d'une insurrection qui eut lieu à Caen le 5 novembre 1791, et qui fut occasionée par une circonstance particulière. L'abbé Bunel, prêtre insermenté, devait célébrer ce jour-là une messe dans une des églises de Caen. Une foule de royalistes s'étant concertés pour s'y rendre, le gouvernement, instruit de ce projet, défendit la cérémonie. L'abbé Banel eut la prudence de ne point aller à l'église ; mais la foule qui s'amassait à chaque instant se porta aux plus graves excès. Des meurtres furent commis, et l'Assem→ blée nationale, informée par le département, crut devoir sévir contre les auteurs de ces désordres.

(Note des édit.)

(2) L'insurrection de Caen fut dénoncée à l'Assemblée nationale le 11 novembre : plusieurs membres réclamèrent de suite la convocation de la Haute-Cour nationale, mais ce ne fut que le lendemain, après sa dénonciation contre Varnier, que Bazire proposa la création d'un comité de surveillance. Cette proposition ne fut pas adoptée, elle ne fut admise que treize jours après, à la séance qui suivit la mise en accusation de Delastre, et dans laquelle un membre dénonça des complots dont il accusait le cardinal de Rohan. Le comité de sur

titutionnels répondirent que l'on ne pouvait appeler la haute-cour nationale saus un délit personnel, ni porter un acte d'accusation sans un fait clair, précis, dénoncé nommément contre un individu. Les girondins ne se rebutèrent pas : Bazire se chargea de trouver un délit. On mit les espions en campagne, et Bazire eut bientôt un délit à présenter à l'Assemblée (1). Cet événement ayant été le prétexte de la formation de la haute-cour nationale, formation qui a le plus efficacement contribué au renversement du trône et de la constitution, je dois entrer dans quelques détails. Tout étant préparé, Bazire monte à la tribune et dit qu'il a un fait important à dénoncer : il montre une lettre d'un monsieur Varnier, receveur des fermes à Paris, adressée à l'un des receveurs particuliers de la Bourgogne; elle était datée du 30 octobre 1791.

« Continuez, Monsieur et cher ami, écrivait » Varnier à son correspondant, continuez de mettre » la même adresse pour le passage de nos employés

veillance, institué le 25 novembre 1791, était chargé de recueillir les faits qui lui seraient renvoyés par l'Assemblée nationale, et qui seraient capables d'attaquer le maintien de la constitution: : ce sont les termes du décret.

(Note des édit.)

(1) Il est à croire que les espions n'eurent pas beaucoup de loisir pour remplir leur mission. La dénonciation des troubles de Caen fut faite le 1 novembre, celle de Bazire contre Varnier fut présentée dès le lendemain 12.

(Note des édit.)

>> chez les émigrés; surtout ne faites pas partir de » ceux qui sont mariés, ce serait un moyen d'é>> venter la mèche, et de perdre tout le fruit de »> nos soins. Ils écriraient à leurs femmes, qui ne ›› manqueraient pas de dire leur véritable desti» nation. Les soixante-trois employés, que vous » avez fait passer, sont arrivés à Coblentz. On est >>fort content; ce sont des hommes vigoureux, >> faits pour tenir à la fatigue. Je vois, par la lettre » que l'on m'a communiquée, qu'ils ont promis de >> ne point écrire en France, afin que nous ayions le >> temps d'envoyer tous les employés de Dijon et » des environs, en leur faisant croire, au moyen >> de la fausse commission que vous leur remettrez, » qu'ils vont droit aux frontières pour y empêcher >> l'entrée de la contrebande. Comme il faut un >> appât à ces gens-là, dites-leur qu'on y fait de >> bonnes prises, que la vente de ces prises est >> entièrement pour les employés, et que les fer>> miers généraux ne prennent plus rien. On est >> aussi très-content de M. Tardy; il fait passer » avec beaucoup d'adresse à l'étranger, et ne leur » donne de l'argent que lorsqu'ils en manquent >> absolument pour aller jusqu'à Coblentz. Je >> viens d'obtenir cinq cents livres que je vous en>> voie en sept assignats; accusez-m'en la récep» tion, afin que je justifie de l'emploi. Si l'on par» vient à réunir une armée de vingt-cinq mille >> hommes bien déterminés, les connaisseurs as>> surent que l'armée des gardes nationales aura

» bientôt fui jusqu'à Paris, où les mécontens, qui » sont en grand nombre, les étrilleront, pendant >> que l'armée des princes soumettra nos provinces, >> qui sont toutes prêtes à rentrer sous la protection » du roi. L'Assemblée nationale est dans le plus >> grand discrédit; elle n'attendrait pas, pour se

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dissoudre, qu'on la chassȧt. Vous voyez que nous >> serons bientôt les maîtres : je ne vous demande » pas de discrétion, vous y êtes aussi intéressé que >> moi. Je suis pour la vie votre ami. VARNIER (1). »

J'aurais pu, continua Bazire, faire de cette lettre un tout autre usage, et la remettre à des officiers de justice; l'instruction eût été lente, mystérieuse. Publier ces manoeuvres, c'est les déjouer. Je dépose donc cette lettre sur le bureau; mais comme il n'est plus possible de douter que les ennemis de la constitution ne forment des projets extravagans, je demande l'établissement d'un comité de surveillance, chargé de recevoir les renseignemens qui lui seront fournis tant par les députés que par les citoyens.

Goujon observa qu'il croyait nécessaire que Bazire déclarât à l'Assemblée quelle voie il avait employée pour se procurer la lettre dont il venait de donner la lecture. Bazire répondit qu'il n'avait pas besoin de dire par quelle voie il était parvenu à

(1) Cet extrait de la lettre de Varnier, n'est pas textuellement exact. Toutefois il n'y a point dans le sens d'altération notable. (Note des édit.)

se procurer cette lettre; qu'il en déposait l'original sur le bureau, qu'elle était signée de Varnier. Lacroix demande que l'on décrète Varnier d'arrestation (1). L'Assemblée décrète la proposition de Lacroix. Tandis que les gendarmes vont mettre à exécution ce décret, les girondins, qui sentent l'importance de l'occasion, insistent pour que l'on joigne le décret d'accusation au décret d'arrestation. Quelques députés remarquent que le délit n'est pas prouvé; que Bazire n'a pas affirmé que la lettre qu'il a lue est réellement de Varnier. Bazire l'affirme. Le décret d'accusation est porté. Ce dernier décret est à peine rendu qu'on annonce Varnier. On l'introduit. Le président l'interroge il répond d'une manière vague. On l'emmène. Gensonné représente qu'il n'y a pas un moment à perdre, qu'il faut que l'archiviste fasse dans le jour la liste du haut-jury; que le comité de législation rédige un projet de convocation de la HauteGour; que l'on tire au sort les quatre membres du tribunal de cassation qui doivent exercer les fonctions de grands juges, et que l'Assemblée nomme sur-le-champ les deux membres qui rempliront celle de procurateurs généraux. Ces propositions sont adoptées; et pour donner plus de consistance au prétendu complot de Varnier, on lança un

(1) Suivant le Moniteur, cette proposition fut faite par Lagrévol. (Note des édit.)

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