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plus léger indice, qui laisse la moindre trace d'un complot? S'étudier à chercher des moteurs, des instigateurs, c'est courir après des fantômes. Je vais plus loin : à moins que ces moteurs, que ces instigateurs n'eussent été dans le sens de la cour, ceux qui auraient dirigé le mouvement auraient été les plus ineptes, les plus extravagans des hommes; car il n'est personne de sens qui n'ait aperçu à l'instant que la cour seule pouvait tirer avantage de cette scène inattendue, qui heureusement n'a rien eu de tragique.

On pourra écrire bien des volumes, faire de belles procédures et de grands commentaires sur l'événement du 20 juin; mais jamais on ne fera croire à un homme raisonnable que l'entrée dans le château ait été ni méditée n préparée. Signé PÉTION.

Le lecteur a vu, dans diverses pièces qui ont été mises sous ses yeux, que le roi ordonna, quelques jours après le 20 juin, une enquête judiciaire sur les événemens de cette journée. Parmi les dépositions qui furent faites alors devant la justice, il en est une qui semble jeter sur les causes de la journée du 20 juin une très-grande lumière. C'est celle d'un sieur Jean-Baptiste-Marie-Louis Lareynie, soldat volontaire du bataillon de l'ile Saint-Louis. Il nous paraît utile de joindre cette pièce à celles que nous avons rapportées ici dans l'intérêt de la vérité historique.

Déclarations reçues par le juge de paix de la section du Roi

de-Sicile. (Proclamation du roi, et recueil de pièces relatives à l'arrêté du conseil du département, du 6 juin 1792. -Imprimerie royale.)

L'AN mil sept cent quatre-vingt-douze, quatrième de la liberté, le dimanche 24 juin, neuf heures du matin ;

Devant nous, Louis-Gilles-Camille Fayel, juge de paix de la section du Roi-de-Sicile, et officier de police du district de Paris, et en notre demeure, sise à Paris, rue des Écouffes, n° 18, paroisse Saint-Gervais ;

Est comparu le sieur Jean-Baptiste-Marie-Louis Lareynie, soldat volontaire du bataillon de l'île Saint-Louis, décoré de la croix militaire, demeurant à Paris, quai Bourbon, n° 1.

Lequel, profondément affligé des désordres qui viennent d'avoir lieu dans la capitale, et croyant qu'il est du devoir d'un bon citoyen de donner à la justice les lumières dont elle peut avoir besoin dans ces circonstances, pour punir les fauteurs et instigateurs de toutes manoeuvres contre la tranquillité publique et l'intégrité de la constitution française, a déclaré que depuis environ huit jours il savait, par les correspondances qu'il a dans le faubourg Saint-Antoine, que les citoyens de ce faubourg étaient travaillés par le sieur Santerre, commandant du bataillon des Enfans-Trouvés, et par d'autres personnages au nombre desquels étaient le sieur Fournier, se disant Américain et électeur de 1791 du département de Paris; le sieur Rotondo, se disant Italien ; le sieur Legendre, boucher, demeurant rue des Boucheries, faubourg Saint-Germain; le sieur Buirette-Verrières, demeurant au-dessus du café du Rendez-Vous, rue du ThéâtreFrançais lesquels tenaient nuitamment des conciliabules chez le sieur Santerre, et quelquefois dans la salle du comité de la section des Enfans-Trouvés; que là on délibérait en présence d'un très-petit nombre d'affidés du faubourg, tels que le sieur Rossignol, ci-devant compagnon orfèvre; le sieur Nicolas, sapeur du susdit bataillon des Enfans-Trouvés ; le sieur Brierre, marchand de vin; le sieur Gonor, se disant vainqueur de la Bastille, et autres qu'il pourra citer; qu'on y arrêtait les motions qui devaient être agitées dans les groupes des Tuileries, du Palais-Royal, de la place de Grève et surtout de la porte Saint-Antoine, place de la Bastille; qu'on y rédigeait les placards incendiaires affichés par inter

valle dans les faubourgs, les pétitions destinées à être portées par des députations dans les sociétés patriotiques de Paris; et enfin que c'est là que s'est forgée la fameuse pétition et tramé le complot de la journée du 20 de ce mois. Que la veille de cette journée il se tint un comité secret chez le sieur Santerre, qui commença vers minuit, auquel des témoins qu'il pourra faire entendre, lorsqu'ils seront revenus de la mission à eux donnée par le sieur Santerre pour les campagnes voisines, assurent avoir vu assister MM. Pétion, maire de Paris, Robespierre, Manuel, procureur de la commune, Alexandre, commandant du bataillon de Saint-Marcel, et Sillery, ex-député de l'Assemblée nationale. Que lors de la journée du 20, le sieur Santerre voyant que plusieurs des siens et surtout les chefs de son parti, effrayés par l'arrêté du directoire du département, refusaient de descendre armés, sous prétexte qu'on tirerait sur eux, les assura qu'ils n'avaient rien à craindre, que la garde nationale n'aurait pas d'ordre, et que M. Pétion serait là. Que sur les onze heures du matin dudit jour, le rassemblement ne s'élevait pas au-dessus de quinze cents personnes, y compris les curieux, et que ce ne fut que lorsque le sieur Santerre se fut mis à la tête d'un détachement d'invalides sortant de chez lui, et avec lequel il est arrivé sur la place, et qu'il eut excité dans sa marche les spectateurs à se joindre à lui; que la multitude s'est grossie considérablement jusqu'à son arrivée au passage des Feuillans; que là, n'ayant point osé forcer le poste, il se relégua dans la cour des Capucins, où il fit planter le mai qu'il avait destiné pour le château des Tuileries; qu'alors, lui déclarant demanda à plusieurs des gens de la suite dudit sieur Santerre, pourquoi le mai n'était pas planté sur la terrasse du château, ainsi que cela avait été arrêté, et que ces gens lui répondirent qu'ils s'en garderaient bien, que c'était là le piége dans lequel voulaient les faire tomber les feuillantins, parce qu'il y avait du canon braqué dans le jardin, mais qu'ils ne donnaient pas dans le

panneau. Le déclarant observe que dans ce moment l'attroupement était presque entierement dissipé, et que ce ne fut que lorsque les tambours et la musique se firent entendre dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, que les attroupés, alors épars çà et là, se rallièrent, se réunirent aux autres spectateurs, et défilèrent avec décence sur trois de hauteur devant le corps législatif; que lui déclarant remarqua que ces gens-là, en passant dans les Tuileries, ne se permirent rien de scandaleux et ne tentèrent point d'entrer dans le château; que, rassemblés même sur la place du Carrousel où ils étaient parvenus en faisant le tour par le quai du Louvre, ils ne manifestèrent aucune intention de pénétrer dans les cours, jusqu'à l'arrivée du sieur Santerre, qui était resté à l'Assemblée nationale, et qui n'en sortit qu'à la levée de la séance. Qu'alors le sieur Santerre, accompagné de plusieurs personnes, parmi lesquelles lui déclarant à remarqué le sieur de Saint-Hurugue, s'adressa à sa troupe, pour lors trèstranquille, et leur demanda pourquoi ils n'étaient pas entrés dans le château, qu'il fallait y aller, et qu'ils n'étaient descendus que pour cela. Qu'aussitôt il commanda aux canonniers de son bataillon de le suivre avec une pièce de canon, et dit que si on lui refusait la porte il fallait la briser à coups de boulets; qu'ensuite il s'est présenté dans cet appareil à la porte du château, où il a éprouvé une faible résistance de la part de la gendarmerie à cheval, mais une ferme opposition de la part de la garde nationale; que cela a occasioné beaucoup de bruit et d'agitation, et qu'on allait peut-être en venir à des voies de fait, lorsque de x hommes en écharpes aux couleurs nationales, dont lui déclarant en reconnaît un pour être le sieur Boucher-René, et l'autre qui a été nommé par les spectateurs pour être le sieur Sergent, sont arrivés par les cours, et ont ordonné, il faut le dire, d'un ton très-impérieux, pour ne pas dire insolent, en prostituant le nom sacré de la loi, d'ouvrir les portes, ajoutant que personne n'avait le droit de les fermer, et que tout citoyen

avait celui d'entrer. Que les portes ont été effectivement ouvertes par la gårde nationale, et qu'alors Santerre et sa troupe se sont précipités en désordre dans les cours; que le sieur Santerre, faisant traîner du canon pour briser les portes de l'appartement du roi s'il les trouvait fermées, et tirer sur la garde nationale qui s'opposerait à son incursion, a été arrêté dans sa marche, dans la dernière cour à gauche au bas de l'escalier du pavillon, par un groupe de citoyens qui lui ont tenu les discours les plus raisonnables pour apaiser sa fureur, l'ont menacé de le rendre responsable de tout ce qui arriverait de mal dans cette fatale journée, parce que, lui ont-ils dit, vous êtes seul l'auteur de ce rassemblement inconstitutionnel, vous seul avez égaré ces braves gens, et vous seul parmi eux étes un scélérat. Que le ton avec lequel ces honnêtes citoyens parlaient au sieur Santerre le fit pâlir; mais qu'encouragé par un coup-d'œil du sieur Legendre, boucher, ci-dessus nommé, il eut recours à un subterfuge hypocrite en s'adressant à sa troupe, et lui disant : Messieurs, dressez procès-verbal du refus que je fais de murcher à votre téte dans les appartemens du roi ; que, pour toute réponse, la foule, accoutumée à deviner le sieur Santerre, culbuta le groupe des honnêtes citoyens, entra avec son canon et son commandant, le sieur Santerre, et pénétra dans les appartemens par toutes les issues', après en avoir brisé les portes et les fenêtres. Qu'au moment où ils vomissaient toutes sortes de blasphèmes contre la personne sacrée du roi, Sa Majesté s'est présentée marchant seule à la tête d'une foule innombrable de bons citoyens, disposés à verser tout leur sang plutôt que de laisser consommer le plus grand de tous les crimes; qu'alors un mouvement subit et précipité de la multitude, que le déclarant veut bien n'attribuer qu'à la curiosité, ayant fait craindre pour les jours du monarque des grenadiers de poste au château l'ont entouré presque malgré lui : un aide-de-camp de M. Wittenkoff a masqué le ́corps du roi, et sur ce mouvement la multitude est devenue'

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