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sursis déterminé; deux pour la mort, avec sursis jusqu'à la paix; deux pour les fers: total, trois cent cinquante-cinq. Trois cent soixante-un votèrent pour la mort. Majorité, six. Mais si l'on ajoute aux trois cent cinquante-cinq qui votèrent, soit la reclusion et le bannissement, soit pour la pour mort avec sursis, les cinq membres qui refusèrent d'émettre leur vote, et qui, certainement, ne pouvaient être pour la mort, puisque rien alors ne les eût empêchés de se prononcer : il est constant que la majorité réelle ne fut que d'une voix.

Le président venait de prononcer l'arrêt fatal (1); et la Convention, étonnée, gardait un morne silence, lorsque Desèze, Malesherbes et Tronchet parurent à la barre. Le président leur ayant accordé la parole,. Desèze dit :

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Citoyens représentans de la nation, la loi et >> vos décrets nous ont confié la défense de Louis; nous venons avec douleur, aujourd'hui, en exercer le dernier acte. Louis nous a donné une >> mission expresse; il a chargé notre fidélité de >> vous transmettre un écrit de sa main, et signé » de lui; permettez que j'aie l'honneur de vous en >> faire lecture. >>

« Je dois à mon honneur, je dois à ma famille, » de ne point souscrire à un jugement qui m'in>> culpe d'un crime que je ne puis me reprocher. >> En conséquence, je déclare que j'interjette appel

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(1) Séance du 17 janvier.

» à la nation elle-même du jugement de ses repré>> sentans. Je donne, par ces présentes, pouvoir » spécial à mes défenseurs officieux, et charge ex» pressément leur fidélité de faire connaître à la >> Convention nationale cet appel, par tous les » moyens qui seront en leur pouvoir, et de de>> mander qu'il en soit fait mention dans le procès>> verbal des séances de la Convention. >>

<< Citoyens, nous vous supplions d'examiner, » dans votre justice, s'il n'existe pas une grande » différence entre le renvoi spontané, de votre » part, du jugement de Louis à la ratification du >> peuple français, et l'exercice du droit naturel et >> sacré qui appartient à tout accusé, qui appar>> tient à tous les individus, oui, à tous, et par » conséquent à Louis, de réclamer contre une >> condamnation où toutes les formes n'ont pas » été suivies. Si nous n'avons pas nous-mêmes » élevé cette question lors de la défense de Louis » c'est qu'il ne nous appartenait pas de prévoir » que vous le jugeriez souverainement. Nous vous » la proposons aujourd'hui, pour remplir un de>> voir dont il a chargé notre fidélité, et nous vous >> conjurons de la balancer avec cette sainte impar» tialité que la loi demande.

» Citoyens, ici finit la mission que Louis nous >> avait donnée. Maintenant que nous venons d'ap>> prendre que le décret fatal qui a condamné Louis » à la mort, n'a obtenu que de cinq voix la majo>> rité sur une peine moins rigoureuse, et encore

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» pourrions-nous réclamer les voix des membres >> qui sont absens, et penser qu'elles auraient pu >> être en sa faveur; Législateurs, permettez-nous, » soit comme défenseurs officieux de Louis, soit » comme citoyens pétitionnaires, de vous faire observer, au nom de l'humanité, au nom de ce principe sacré qui veut que tout soit adouci, qui >> veut que tout soit mitigé en faveur de l'accusé ; >> permettez-nous de vous dire que, puisqu'il s'est » élevé des doutes si considérables dans la Con» vention même, sur la question de savoir si >> votre jugement serait soumis à la ratification du >> peuple, une circonstance si extraordinaire mérite » bien de votre amour pour le peuple, de votre » dévouement à ses intérêts, et de votre respect » pour ses droits, que vous vous déterminiez vo>> lontairement à lui demander cette ratification.

>> Citoyens, nous n'ignorons pas que c'est par » un décret porté ce matin que vous avez jugé que » la majorité dé plus d'une voix suffirait pour la » validité du jugement que vous avez rendu; mais je >> vous le demande encore ici au nom de la justice, >> au nom de l'humanité, au nom de la patrie, >> usez de votre extrême puissance; mais n'étonnez » pas l'Europe du spectacle douloureux d'un arrêt >> de mort prononcé à une majorité de cinq per

» sonnes.

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Citoyens, nous remplissons ici pour la der-. » nière fois un ministère religieux, un ministère >> que nous tenons de vous-mêmes; et vous jugez

.

>> combien à ce titre seul nous devons y être atta>> chés. Permettez donc que je vous adjure encore >> au nom de ce saint ministère, au nom de la pa>> trie, au nom de l'humanité, au nom du salut de » la république, invoqué par les membres qui ont » voté l'appel au peuple. Citoyens, vous qui com>> battez pour le salut de la nation, pour ses véri» tables intérêts, je vous le demande, ne trem»blez-vous pas, quand vous songez que le salut de l'empire entier, que le salut de vingt-cinq millions » d'hommes peuvent dépendre de cinq voix ? »

Tronchet ajouta qu'il était inconcevable que le plus grand nombre de ceux qui s'étaient déterminés à prononcer la peine de mort se fussent appuyés sur le Code, pénal, et que d'une main ils eussent saisi les dispositions les plus contraires à l'accusé, tandis que de l'autre ils écartaient toutes les dispositions qui lui étaient favorables, c'est-à-dire la nécessité des deux tiers des voix exigées pour la condamnation du prévenu; que le décret rendu à cet égard n'était point réellement un décret; que c'était un simple ordre du jour, motivé sur l'usage constant des délibérations de l'Assemblée; mais que, dans une affaire aussi importante que celle-ci, cette question méritait d'être décidée par un appel nominal, et non par un simple passé à l'ordre du jour; que c'était sur ces principes qu'ils se croyaient autorisés, ainsi qu'on l'avait souvent fait à cette barre, de demander le rapport du décret rendu à ce sujet.

Malesherbes, les yeux humides de pleurs, écoutait Desèze et Tronchet avec un reste d'espérance; ses regards inquiets, portés alternativement sur toutes les parties de la salle, semblaient solliciter la conscience de chaque député, et conduire jusqu'à son cœur les touchantes exhortations de Desèze, et les solides observations de Tronchet. Il crut aussi, lui, devoir leur faire entendre sa voix vénérable, et comprimant avec peine les sanglots qui oppressaient sa poitrine :

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« Citoyens, je n'ai pas comme mes collègues » l'habitude de parler en public en public nous traitons : » sans y être préparés, une matière qui exige les » plus profondes réflexions.... Je ne suis point >> capable d'improviser.... Je vois avec douleur que » je n'ai pas un moment pour vous présenter des >> considérations capables de toucher une grande » assemblée.... Oui, Citoyens, sur cette question, >> comment les voix doivent être comptées, j'avais >> des observations à vous présenter.... mais j'ai » tant d'idées.... qui ne me sont suggérées ni par » l'individu ni par la circonstance.... Citoyens, pardonnez à mon trouble.... Oui, Citoyens, » quand j'étais magistrat et depuis, j'ai réfléchi >> spéculativement sur l'objet dont Tronchet vous >> a entretenus; j'ai eu des occasions, dans le temps » que j'appartenais au corps de la législation, de préparer, de réfléchir ces idées.... Aurai-je le >> malheur de les perdre ? »

>>

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Mais ni les larmes de Malesherbes, ni le touchant

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