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LIVRE XII.

Journée du 20 juin. — La Fayette vient à Paris. — Intrigues, motion de l'abbé Lamourette. Arrivée des Marseillais et

des fédérés. — Pétion et Manuel suspendus de leurs fonctions.-L'Assemblée proclame que la patrie est en danger. Journée du 10 août. - Décret qui appelle une Convention nationale. La Convention abolit la royauté et décrète la république. Conclusion.

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Les girondins n'avaient point abandonné le dessein de rétablir les trois ministres disgraciés; mais, jugeant avec raison que le roi ne se prêterait jamais volontairement à les reprendre, ils résolurent de les faire demander par le peuple, et de forcer ainsi Louis XVI de les rappeler. On convint d'exciter un mouvement populaire; Pétion et Manuel, procureur-général de la commune, se chargèrent de l'exécution (1). On donna la veille, aux Champs

(1) Nous avons réuni dans les éclaircissemens historiques placés à la fin de ce volume (D), plusieurs relations de la mémorable journée du 20 juin, écrites par divers auteurs. Nous y avons joint une analyse détaillée des séances de l'Assemblée législative des 19, 20 et 21 juin. La comparaison de ces différentes pièces, composées par des hommes de tous les partis, mettra le lecteur en état de se former une opinion sur la journée du 20 juin.

Les pièces que nous offrons aux lecteurs, sont disposées

Élysées, un repas de cinq cents personnes, tous girondins et orléanistes. La populace vint se mêler aux convives et partager l'ivresse patriotique de la fête. On chanta des couplets, on porta des toasts; Sauvigny et Laclos (1) se rendirent au faubourg

dans l'ordre suivant : 1° la Relation de la journée du 20 juin, de ses causes et de ses conséquences, par Prudhomme (Révolutions de Paris, tome xã, no 154); 2°o la Relation des mêmes événemens, par M. Toulongeon, ex-constituant (Extrait de l'Histoire de France depuis la révolution de 1789, tome 1); 3° extrait de l'Histoire du 10 août, par M. Peltier; 4° analyse des séances de l'Assemblée législative, du 19, du 20 et du 21 juin ; 5° l'entretien du maire de Paris (Pétion) avec Louis XVI, le 21 juin; 5o les deux proclamations publiées le 22, la première par la municipalité, la seconde par Louis XVI; 7° enfin, les observations du maire de Paris, sur les événemens du 20 juin (publiées le 30 dans le Moniteur.) (Note des édit.)

(1) Il s'agit sans douté ici de M. de Sauvigny, littérateur peu distingué, et censeur royal avant la révolution, qui a publié plusieurs ouvrages en prose, et fait réprésenter diverses tragédies, dont aucune n'a obtenu un grand succès. Ce qui donne quelque autorité à cette conjecture, c'est que le même M. de Sauvigny fut, à la fin de 1792, nommé commandant provisoire de la cavalerie nationale. de Paris.

Laclos est très-connu dans le monde littéraire par un roman intitulé: les Liaisons dangereuses, dans lequel il fit preuve d'un grand talent d'observation, mais d'une liberté de pinceau qui va jusqu'au scandale. On peint généralement Laclos comme l'un des affidés du duc d'Orléans, et comme ayant contribué, plus que personne, à transformer en chef de parti le premier prince du sang royal. Il fut gravement inculpé dans la procédure qui suivit les événemens des 5 et

Saint-Antoine; Chabot y rassembla le peuple dans l'église des Enfans-Trouvés, et y prêcha ouvertement l'insurrection.

On cachait au roi ces avant-coureurs de l'orage; on l'environnait d'une fausse opinion qu'on lui disait être l'opinion du peuple, et qui n'était que l'opinion de quelques hommes intéressés au rétablisse→ ment de l'ancien ordre de choses. Le Directoire du département, mieux instruit, envoya le procureur-général-syndic, Roederer, avertir l'Assemblée de la fermentation qui régnait à Paris. Les

6 octobre, et même un témoin déclara, que Laclos, déguisé en femme, dans la journée du 6, avait dirigé la portion du peuple qui fit irruption dans le château de Versailles. Laclos, après cette journée, accompagna le duc d'Orléans dans sa retraite à Londres. En 1791, il fit partie du club des amis de la constitution, se déclara contre Louis XVI après le voyage de Varennes, et fut, dit-on, l'un des auteurs du rassemblement du Champ-de-Mars, contre lequel La Fayette et Bailly crurent devoir opposer la force armée. En 1792, Laclos fut fait colonel d'artillerie; mais, enveloppé dans la disgrâce du duc d'Orléans, il fut décrété d'arrestation en 1793. On lit, dans la Biographie de Chaudon et Delandine, qu'il employ a alors toutes les ressources de l'intrigue pour sauver sa tête, et qu'il composa même dans sa prison plusieurs des discours de Robespierre. Après le g thermidor, il recouvra sa liberté, et ne reparut sur la scène que sous le consulat. Laclós mou rut à Tarente le 5 septembre 1803. L'étendue de son esprit, et les dons brillans qu'il avait reçus de la nature, doivent faire regretter qu'il ne les ait pas dirigés vers un but utile: ce fait aurait besoin de preuves. (Note des édit.)

girondins assurèrent que le peuple était calme, que c'étaient les ennemis de la constitution qui semaient ces faux bruits; qu'ils cherchaient, à l'aide de prétendus mouvemens populaires, à exécuter leurs projets de contre-révolution. Tout le monde cependant savait qu'il devait y avoir le lendemain une émeute; mais les girondins feignaient de tout ignorer, dans la crainte d'être obligés de sévir contre des hommes qui n'étaient que leurs agens secondaires.

Les chefs, sûrs de ne point rencontrer d'obstacles de la part de l'Assemblée, concertèrent leur plan. On convoqua les jacobins et les orléanistes des quarante-huit sections; on manda les vagabonds et les brigands destinés aux grandes émeutes; on leur joignit la populace des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Cette multitude, entremêlée de quelques gardes nationales, s'achemina vers l'Assemblée. Le prétexte était de présenter une adresse au roi. Le procureur syndic, Roederer, courut annoncer que le rassemblement commençait à s'effectuer, malgré les efforts du département pour l'empêcher. Il pria l'Assemblée d'en prévenir les suites, suites incalculables dans leurs effets, si, comme on l'assurait, le peuple se portait au château. Vergniaux et Gensonné répondirent que l'on n'avait aucun sujet de craindre ; que l'on connaissait le civisme des citoyens qui composaient le rassemblement; qu'il suffisait d'envoyer des commissaires chez le roi, afin d'éviter tout ce qu'il

pourrait y avoir d'irrégulier dans l'adresse que l'on se proposait de lui présenter. L'Assemblée, d'après ces observations, passa à l'ordre du jour, et se mit à écouter une pétition (1) des jacobins de Marseille, où l'on dénonçait le pouvoir exécutif : elle en décréta l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens.

Le rassemblement se grossissait d'une foule d'hommes qui, sans s'informer de ce qu'on allait demander au roi, sans rien savoir des motifs de cette demande, sans rien vouloir pour eux-mêmes, insoucians, furieux et gais tout à la fois, s'agitaient, menaçaient, chantaient leur marche offrait un mélange bizarre de férocité sauvage, et de puérilité ridicule. Une mauvaise culotte noire, placée au haut d'un long bâton, surmonté d'un écriteau où on lisait en gros caractère : Vivent les sans-culottes, servait d'étendard à une troupe de gens déguenillés,

armés de scies, de haches et de broches. Venait ensuite une seconde troupe, précédée d'un homme vêtu de noir, qui portait au bout d'une pique, une fressure de cochon encore toute saignante, avec ces mots en lettres rouges: Fressure des aristocrates (2). Suivait une grande bannière sur la

(1) Le lecteur trouvera cette pétition, remarquable sous plus d'un rapport, dans l'analyse de la séance du 29 juin. (Note des édit.)

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(2) S'il était permis de fixer un moment l'attention du lecteur sur des détails aussi repoussans, nous remarquerions

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