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la plus douloureuse expression, était debout à côté du roi. Le roi, touché de la vérité de son action étend la main sur celles de Dumouriez, et lui dit avec cet accent que l'art ni la dissimulation ne sauraient imiter : « Dieu m'est témoin que je ne veux que le bonheur de la France. Je n'en doute pas, Sire, repartit Dumouriez les larmes aux yeux, mais vous devez compte à Dieu, non-seulement de la pureté, mais aussi de l'usage éclairé de vos intentions. Vous croyez sauver la religion, vous la perdez. Les prêtres seront égorgés, votre couronne vous sera enlevée; peut-être votre épouse, vos enfans..... » Entraîné par l'image sinistre qui s'offre tout-à-coup à son esprit, Dumouriez colle sa bouche sur la main du roi. Le roi répand quelques larmes : ils gardent un moment le silence. Le roi serrait la main de Dumouriez. «Sire, continua Dumouriez du ton le plus pénétré, si les Français vous connaissaient comme moi, ah! tous nos maux seraient finis! Vous désirez, vous voulez le bonheur de la France; eh bien! il exige le sacrifice de vos scrupules. Sire des intérêts mal entendus aveuglent ceux qui vous les inspirent; l'esprit de faction les égare: il égare les hommes les plus éclairés. Vous vous êtes sacrifié dès 1789, continuez ce généreux sacrifice la nation saura l'apprécier, les troubles cesseront, la constitution s'achèvera, les Français rentreront dans leur caractère, le reste de votre règne sera heureux, sa stabilité sera fondée sur

des lois fixes. S'il y avait eu avant vous une constitution, vous n'auriez pas éprouvé tous les maux qui vous affligent; vous êtes encore le maître de votre sort, votre ame est pure, croyez un homme exempt de passions et de préjugés, et qui vous a toujours dit la vérité. -Je m'attends à la mort, répliqua tristement le roi, et je la leur pardonne d'avance. Je vous sais gré de votre sensibilité. Vous m'avez bien servi; je vous estime, et, s'il vient un temps plus heureux, je vous en donnerai des preuves... » A ces mots le roi se lève précipitamment, et va se mettre à une fenêtre au bout de la chambre. Dumouriez ramasse lentement ses papiers. Son émotion trop visible lui faisait craindre les regards curieux des courtisans: il s'efforce de composer son visage il ouvre enfin la porte. Le bruit qu'il fait tire le roi de ses tristes réflexions il tourne la tête du côté de Dumouriez, et d'un ton plein de bonté : « Adieu, soyez

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lui,

Cette pénible idée de la mort suivait sans cesse cet infortuné monarque : idée d'autant plus accablante pour , que l'acharnement de ses ennemis était l'effet d'une haine injuste qu'il savait n'avoir pas méritée. Louis XVI se rendait à lui-même le consolant témoignage qu'il avait toujours voulu le bonheur du peuple. Son propre bonheur était attaché au bonheur de tous. Ce sentiment était inné en lui : il lui échappa un jour en plein conseil, dans un de ces élans subits de l'ame qui ne sont

point le fruit du calcul (1). Cahier de Gerville lisait le projet d'une proclamation sur les troubles qui déchiraient la France; il y faisait dire au roi: Ces désordres altèrent le bonheur dont nous jouissons... «Ne parlez point de mon bonheur, reprit le roi avec beaucoup d'émotion, je ne saurais autoriser une expression si contraire à mes sentimens. Comment pourrais-je être heureux, monsieur de Gerville, lorsque personne en France ne jouit du bonheur? Non, Monsieur, les Français ne sont pas heureux, je n'en suis que trop convaincu : ils le seront, je l'espère, et c'est mon vœu le plus ardent. Alors je jouirai de leur bonheur, et je pourrai le déclarer sans imposture. >> Louis XVI ne craignait pas la mort; ses malheurs lui avaient donné une sorte de satiété de la vie. « Je n'ai d'inquiétude que pour la reine et pour ma sœur, disait-il à Bertrand de Molleville; je ne crains rien pour moi. On a eu plusieurs fois l'intention de m'assassiner, je ne conçois pas pourquoi on ne l'a pas fait; mais je n'échapperai pas toujours; ainsi je n'en suis pas plus heureux : un peu plus tôt, un peu plus tard, c'est la même chose.-Grand Dieu! s'écrie Bertrand de Molleville, Votre Majesté croit donc qu'elle sera assassinée?— J'en suis convaincu, répliqua le roi, il y a long-temps que je m'y attends, et je me suis accoutumé à cette pensée. Croyez-vous que la mort me fasse peur? peur?—Non, cer

(1) Mémoires de Bertrand de Molleville.

tainement, mais je voudrais que Votre Majesté ne se persuadat pas qu'elle en est si proché, et qu'elle prit des mesures vigoureuses capables de la mettre à l'abri du danger.Il est possible, repartit le roi après un moment de réflexion, que j'en échappe. H y a bien des chances contre moi, et je ne suis pas heureux. Si j'étais seul, je risquerais encore une tentative. Ah! si ma femme et mes enfans n'étaient pas avec moi, on verrait que je ne suis pas si faible qu'on l'imagine.... Quel serait leur sort si les mesures que vous me proposez venaient à ne pas réussir ! Mais si l'on assassine Votre Majesté, pensez-vous que la reine et vos enfans seront plus en sûreté ? — Oui, je le pense; et s'il en arrivait autrement, je n'aurais pas à me reprocher d'en être la cause. »

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Ainsi ce malheureux monarque, mû par les motifs les plus purs et les plus désintéressés, ne pouvait, malgré la certitude du sort qui l'attendait, se résoudre à sanctionner un décret qu'il regardait comme injuste. Entouré d'hommes immoraux, sans religion, il se sacrifiait pour eux, en croyant n'obéir qu'à cette même religion, dont lui seul au milieu d'une cour corrompue, recevait avec foi les dogmes, et pratiquait avec exactitude la morale sublime. Héroïsme d'autant plus admirable, qu'aucun motif humain ne le soutenait dans ce pénible dévouement, pas même celui de la gloire du sacri'fice récompense flatteuse! mais que l'imbécile vulgaire n'accorde jamais à la vertu modeste, tandis

qu'il la prodigue au crime audacieux. Louis n'avait même qu'un faible avantage à tirer des entreprises que formaient sous son nom les hommes intéressés qui l'opiniâtraient dans ce refus impolitique : ils travaillaient beaucoup plus pour eux qu'ils ne travaillaient pour lui; et s'ils eussent réussi dans leurs desseins, son sort n'eût guère été moins à plaindre.

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