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une seule expression qui ne fût d'accord avec les principes de la constitution et les intentions de l'assemblée. La lecture de cette lettre fut même accueillie par des applaudissements; et cependant la même pièce servit plus tard de texte aux plus fausses interprétations.

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Avant de passer à la communication de la note officielle du prince de Kaunitz à M. de Blumendorf, Delessart, m'adressant la parole: « La dépê<< che qu'on vient de lire, M. le président, n'était point destinée à voir le jour; elle avait été communiquée confidentiellement au ministre << de l'empereur, et il a manqué à l'ordre des procédés; c'est en quelque sorte par un abus « de confiance qu'il en a fait usage de manière à «< ce qu'elle devînt publique. Cette dépêche con<«< tient le secret de ma pensée; il est essentiel « que tout ce que je pense soit connu; on ne se << permettra plus alors d'abuser de la situation << désavantageuse où me met mon département, << pour diriger sans cesse contre moi des soupçons, << des imputations, des reproches également «< contraires à la justice et à la vérité. »

Cette loyale profession de foi, loin de désarmer la malveillance, ne fit qu'aggraver aux yeux des républicains le soupçon de connivence entre les deux cabinets, et le contenu de la note impériale ne donna que trop de prétextes à cette

injuste imputation. Les divers documents dont le texte est rapporté dans toutes les chroniques du temps, et que tous les historiens contemporains ont répété, sont si connus aujourd'hui, que je crois inutile de les rappeler ici.

Tout en protestant des intentions pacifiques de Léopold, le prince de Kaunitz justifiait la convention de Pilnitz et les mesures concertées précédemment entre les puissances pour maintenir l'honneur et la sûreté des couronnes; il motivait ces dispositions sur la crainte de la propagation des principes révolutionnaires subversifs de toutes les autres formes des gouvernements de l'Europe; il prouvait que ces mesures purement défensives avaient été, sinon révoquées, du moins arrêtées et suspendues depuis la libre acceptation de la constitution par le roi; mais venant aux circonstances actuelles, Kaunitz faisait un hideux et trop véritable tableau de l'anarchie qui commençait à dévorer la France, sapait les fondements de la constitution jurée, et menaçait de renverser le trône du roi de France.

S'immiscant dans notre régime intérieur, intervenant dans nos querelles domestiques, l'empereur anathématisait les sociétés populaires, s'adressait à la partie saine de la nation, et ne voyait de garantie du maintien de la paix que dans la ruine du parti jacobin.

Les républicains supportèrent impatiemment la lecture de cette déclaration de Léopold, et des circulaires et autres pièces diplomatiques dont elle était accompagnée. Immédiatement après, le ministre des affaires étrangères donna divers renseignements sur l'état des forces impériales dans les Pays-Bas et dans le Brisgaw, et il ajouta :

Maintenant, M. le président, le roi n'a pas cru « devoir différer de faire connaître à l'empereur «<l'impression que lui avait faite sa réponse, et <<< le parti auquel Sa Majesté avait jugé à propos << de s'arrêter. En conséquence, l'ambassadeur de << France est chargé de déclarer à la cour de << Vienne, que le roi n'a pas pensé qu'il convînt «< à la dignité, ni à l'indépendance de la nation, << d'entrer en discussion sur des objets qui ne «< concernent que la situation intérieure du « royaume. Le roi demande à l'empereur de faire <«< cesser tout concert contre la France; il lui «< offre ou plutôt il lui renouvelle l'assurance de << l'union et de la paix; il lui demande une pareille manifestation de ses sentiments; il la lui << demande prompte, franche et catégorique; << et pour gage d'une fidélité réciproque, le roi << promet qu'aussitôt que l'empereur aura pris l'engagement de faire cesser tous les préparatifs << de guerre dans ses États, et de remettre ses <«< forces militaires dans les Pays-Bas et dans le

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« Brisgaw, sur le pied où elles étaient au mois « de février 1791, Sa Majesté fera également ces<< ser tous préparatifs, et réduira les troupes françaises dans les départements frontières, à « l'état ordinaire des garnisons. >>

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Cette importante communication fit sur les différentes parties de l'assemblée une impression aussi diverse que l'étaient les vues et les opinions qui nous divisaient. Les jacobins ressentaient comme une injure faite à la nation, les inculpations d'anarchie qui leur étaient imputées dans la dépêche du prince de Kaunitz, et le mépris qu'on y déversait sur les sociétés populaires; les Girondins y voyaient avec joie des motifs pour forcer la déclaration de guerre; et, comme les jacobins, ils ne tenaient aucun compte des dispositions pacifiques de Léopold. Les constitutionnels, qui auraient pu avec raison tenir le même langage que le ministre de l'empereur, sur la principale cause des troubles intérieurs et des différends survenus entre les puissances étrangères et la France, n'étaient pas moins offensés que tout le reste de l'assemblée, de la prétention du cabinet de Vienne d'intervenir dans nos affaires; de conseiller, de dicter, du ton le plus inconvenant, la conduite que devaient tenir les défenseurs de la constitution et du roi; et cependant ceux-ci étaient loin de repousser, comme

leurs adversaires, la dernière lueur d'espoir de la paix que laissaient encore entrevoir les dispositions personnelles de l'empereur, et la réponse faite par le ministre Delessart au nom du roi.

Aucun membre n'obtint la parole, et toutes les pièces furent renvoyées au comité diplomatique; mais le même jour, dans la séance du soir, Rouyer fit la motion expresse, que le comité diplomatique joint au comité de législation fût tenu de présenter dans trois jours, à la chambre, des observations à adresser au roi, sur la mauvaise conduite de Delessart, qui, disait-il, avait eu l'impudeur de faire tenir au roi un langage indigne de lui, et de la nation qu'il avait l'honneur de représenter. Cette motion fut appuyée par Mailhe. J'eus la douleur de mettre aux voix le renvoi de cette dénonciation, et de le voir adopter sans discussion.

Le 5 mars 1792, je quittai le fauteuil de président, et j'y fus remplacé par Guyton de Mor

veau.

Dans le cours de ma présidence, et surtout dans les orageuses séances où l'on avait débattu la question des sociétés populaires, j'avais éprouvé l'insuffisance des moyens de maintenir l'ordre dans les discussions, et le trop faible secours que le règlement donnait au président pour s'opposer aux motions incidentes, et réprimer les in

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