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« du salut de la chose publique, que je sais com« poser avec la vérité. »

Condorcet parut enfin à la tribune; il y prononça le fameux discours annoncé par Vergniaud, comme devant porter la conviction dans tous les esprits et ôter aux partisans des mesures conciliatrices tout prétexte d'hésitation. Le style nerveux et pur du philosophe académicien répondit à l'attente que ses amis avaient excitée. Ce discours, véritable manifeste républicain, est resté comme un modèle de l'art oratoire, et les historiens, les auteurs de mémoires contemporains l'ont presque tous cité textuellement, comme on l'avait fait pour ceux de Mirabeau. Après ce juste éloge, et sans m'arrêter à analyser une pièce aussi connue, je dois dire que je n'en reçus d'autre impression que celle d'une éloquente mais trop vague déclamation. On y trouve une vive peinture, sous la forme interrogatoire, des effets qu'avaient dû produire chez les étrangers les principes de la révolution française, et de leur effet probable sur l'état social des nations européennes. Sous ce point de vue élevé et tout philosophique, Condorcet examinait les intérêts de tous les souverains, donnait à ceux-ci de fort sages conseils, mais sans daigner descendre jusqu'aux difficultés de leur application. C'était une utopie politique; il ne discuta pas, il n'a

borda pas même la question, mais il accusait les ministres de l'avoir suscitée par la négligence, le défaut de vues, une inactivité stupide ou coupable paroles remarquables, funeste augure du trait mortel qui peu de jours après devait être porté à l'infortuné Delessart. La péroraison de ce discours, renfermée dans un long considérant, n'amena que la conclusion suivante aussi vaine que les considérations générales, que l'orateur avait revêtues de tous les charmes de l'éloquence.

« Le roi sera prié d'envoyer auprès des puis"sances étrangères des hommes dignes de la con« fiance du peuple, et chargés de s'assurer des dispositions de chacun; de faire connaître les

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principes et les vues de la France; de détruire « l'effet des fausses insinuations répandues par les << ennemis; de proposer enfin et de négocier les «< traités d'alliance, de commerce et de garantie

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qui peuvent assurer la paix générale, l'indé

pendance de chaque nation, et la prospérité <«< commune de chaque empire. >>

La matière paraissait épuisée, et le point principal, la demande à faire à l'empereur d'une explication catégorique dans un délai déterminé, ne pouvait manquer de réunir tous les suffrages; ce n'était presque plus qu'une dispute de mots: les uns voulaient une satisfaction; les autres une

explication. Hérault de Séchelles, qui votait avec les Girondins, demanda à proposer un projet de décret qui devait, disait-il, concilier les vues des deux partis. Il allait monter à la tribune, lorsque le maréchal de Rochambeau se présente à la barre, pour remercier l'assemblée nationale et faire une loyale profession de fidélité à la nation et au roi : il saisit cette occasion pour exposer la situation, les besoins et le bon esprit de l'armée. Couvert d'unanimes applaudissements, complimenté de la manière la plus digne et la plus expressive par le président (Guadet), il fut admis aux honneurs de la séance. Je fus particulièrement touché de l'accueil fait à mon respectable général, que j'espérais bien accompagner à l'armée, et je reçus avec reconnaissance ses témoignages d'affection. Je devais à la reconnaissance pour mon ancien général, je me devais à moi-même de lui offrir mes services et le faible tribut du fruit de ses leçons. Il me dit qu'il me destinait la place de chef d'état-major de son armée; et comme je ne pouvais, ainsi que quelques autres officiers également membres du corps législatif qu'il se proposait d'employer dans son état-major, me rendre à l'armée qu'avec l'assentiment de l'assemblée, M. le maréchal écrivit, le 26 janvier, au président la lettre suivante :

« M. le président, je vous prie d'être mon

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interprète auprès de l'assemblée pour lui de<< mander de permettre à trois militaires tirés de << son sein, de venir à l'armée y servir la patrie. « Ma demande est conforme à la loi du 17 juin «< 1791, article 2. J'ai élevé M. Dumas; ses talents << l'ont poussé rapidement dans la carrière mili« taire; j'ai des droits pour le réclamer à venir << aider ma vieillesse. M. d'Opterre, lieutenant«< colonel du génie, est un de mes frères d'armes ; «< c'est un officier du premier mérite. M. Daver<< hoult, patriote, né en Hollande, pensionné << et naturalisé en France, dont le mérite vous << est également connu, me serait de la plus grande utilité pour m'aider à former mon étatmajor. Je vous prie, M. le président, de vou«<loir bien mettre ma demande très-urgente sous

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les yeux de l'assemblée nationale. Je suis acca«blé de détails qui finiraient par rétrécir le << cercle des grands mouvements qui doivent remplir la tête d'un général. ›

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Après la lecture de cette lettre, mes amis m'entourèrent, décidés qu'ils étaient à me retenir. Beugnot monta à la tribune, et soutint qu'il n'était pas au pouvoir de la nation de changer la destination des députés; Lacuée demanda le renvoi au comité militaire, d'autres l'ordre du jour. D'Opterre et Daverhoult s'en remirent à la décision de l'assemblée, M'expliquant à mon tour, et re

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connaissant la rigidité des principes posés par Beugnot, j'ajoutai: « que je ne pensais pas que << mes services dans l'assemblée fussent aussi importants que ceux que le maréchal de Rocham<< beau voulait confier à mon zèle; que ne choi«sissant pas entre mes devoirs, mais consultant l'impulsion naturelle à un soldat de la liberté, je croyais être dans les termes précis de la loi, << et répondre à la confiance qui m'était témoignée par le maréchal Rochambeau, en priant << l'assemblée de prononcer sur la demande for« melle que je faisais d'un congé pour me rendre à l'armée du Nord.» Sur le rapport du comité militaire, à l'examen duquel la lettre du maréchal de Rochambeau avait été envoyée, l'assemblée décréta qu'il n'y avait lieu à délibérer ni sur la lettre ni sur ma demande de congé.

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«

Le projet présenté par Hérault de Séchelles, après un court développement, était à peu près celui du comité diplomatique. Les fortes expressions du considérant satisfirent les plus ardents. La discussion ayant été fermée, ce projet obtint la priorité, et après l'adoption de quelques amendements par Mailhe, Vergniaud et Brissot, le décret fut définitivement rendu en ces termes le 25 janvier :

Art. Ier. Le roi sera invité par une députation à déclarer à l'empereur qu'il ne peut désormais

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