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général Dillon. Celui-ci, voyant qu'il avait quitté ses épaulettes de colonel, et pris celles de grenadier, résolu de combattre et de périr dans les rangs, le força de reprendre son poste. Dumouriez, retrouvant mon frère à la tête de ses quatre bataillons, après le beau combat qu'il avait soutenu, lui tendit la main et lui dit : « C'est bien «< ici, c'est bien ainsi qu'il faut se raccommoder. »

Je continuai jusqu'à la fin de la session de prendre une part très-active aux travaux des comités de la guerre et diplomatique. Dans la séance même du 19, je présentai à l'assemblée, au nom des comités réunis à la commission extraordinaire, un projet de décret relatif à l'échange des prisonniers. Mes conseils, mon zèle sincère dans tout ce qui pouvait tendre, dans tout ce qui pouvait concourir à la défense du territoire, à l'accroissement et à l'organisation des forces nationales, me conciliaient chaque jour davantage l'estime et même la confiance de quelques-uns de nos plus ardents adversaires politiques. Je reçus même de leur part une proposition à laquelle j'étais loin de m'attendre. « Pour

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quoi voulez-vous nous quitter? me disait-on. << Nous ne doutons pas de votre patriotisme, nous << vous ferons élire à la nouvelle convention. Vous « nous serez utile, et nous saurons bien vous sou« tenir contre les préventions que vous pourriez

« craindre. » Je répondis que je croyais ne pas pouvoir accepter un nouveau mandat et faire partie d'une assemblée illégalement appelée, sans trahir mes serments; que j'avais fait tous mes efforts pour m'opposer au renversement de la constitution jurée, et que je ne pourrais jamais de bonne foi conniver à une violation si flagrante de toutes les lois.

Ma présence dans les comités militaire et diplomatique réunis à la commission extraordinaire me rendit quelquefois témoin des discussions entre les principaux meneurs des Girondins et ceux des partis révolutionnaires sur la manière la plus opportune de procéder au changement de la forme du gouvernement. Les Girondins voulaient que lorsque la convention serait constituée, on fît un rapport sur l'état du pays, et qu'on indiquât les bases d'un gouvernement républicain qui devrait être d'abord discuté. Gensonné et Brissot développaient leur opinion avec apparat de logique et d'éloquence, lorsque Merlin de Thionville les interrompit brusquement. << Vous vous moquez de nous; qu'avons-nous << besoin de ces précautions oratoires? Il faut nous << tenir à la hauteur des circonstances. Nous dé«< créterons la république par acclamation, dès << la première séance. »

DE

MATHIEU DUMAS,

DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-OISE,

Sur les motifs de la dénonciation qu'il a faite du ministère qui formait le conseil du roi, à l'époque de la déclaration de guerre, et jusqu'au 18 juin 1792.

MESSIEURS,

Témoin des efforts multipliés que l'on fait chaque jour pour dérober au peuple la cause trop réelle de ses maux; voyant l'opinion se pervertir au point que ses amis les plus désintéressés lui sont présentés comme ses ennemis; profondément touché des dangers de ma patrie, j'ai cru que le temps des ménagements politiques était passé; j'ai dénoncé la conduite du ministère qui formait le conseil du roi à l'époque de la déclaration de guerre, et jusqu'au 18 juin dernier. L'assemblée nationale a décrété que je rédigerais ma dénonciation, la voici : je l'ai signée et je la déposerai sur le bureau avec les pièces justificatives 1.

Se taire dans les circonstances où nous nous trouvons, laisser perdre la trace des événements dans un moment où une foule d'autres événements qui se préparent va nécessairement recouvrir le fil des premiers, ce serait servir les ennemis de la chose

publique, ce serait donner quelque consistance aux mensonges à la faveur desquels on cherche à rendre odieux le gouvernement qui peut seul maintenir notre liberté.

Je dénonce donc le ministère qui a prêté son appui à ceux qui, voulant persuader au peuple que la constitution avait été dénaturée par la révision, n'ont cessé d'ébranler sous ce prétexte les principes de la représentation nationale en essayant de détacher de sa base le principe monarchique 2. Je sais qu'antérieurement à ce ministère, et dès l'ouverture de cette session, la même faction dont les vues ambitieuses avaient souillé la conquête de nos droits, redoubla d'efforts pour prolonger nos troubles. Pour avoir le droit d'attaquer les choses, on attaqua d'abord les personnes. Un système révoltant de calomnies réveilla les espérances des séditieux, et le peuple fut livré aux ardents et implacables détracteurs de ceux qui l'avaient le mieux servi; mais il ne fallait pas moins que le secours du ministère, l'action des agents de l'administration que je dénonce, pour créer les dangers qui nous environnent, et réduire en pratique la funeste théorie d'un nivellement subversif de l'ordre social.

Il faudrait n'avoir pas suivi de près tous les périodes de notre révolution, pour ne pas reconnaître l'influence de cette faction que les ennemis de la liberté ont mal à propos appelée les partisans de la république. Ceux-là seulement peuvent s'honorer du nom de républicains qui veulent le bien commun, et dont le vœu, fût-il chimérique, est le bonheur du peuple dans le plein exercice de sa souveraineté 3. Mais sacrifier la paix, la liberté, la prospérité nationale à l'ambition d'un petit nombre d'individus; faire, pour l'orgueil et la vanité de quelques tribuns, plus que n'eût jamais osé entreprendre la féodalité elle-même, n'estce pas corrompre, par une nouvelle et effrayante aristocratie, les principes sains et solides de notre gouvernement? Et qu'ont fait ces tribuns pour le salut du peuple, soit dans l'intérieur du royaume, soit dans nos relations extérieures, soit dans les opérations militaires qui sont plus particulièrement l'objet de cette dénonciation? Vainement aujourd'hui voudrait-on frapper les esprits par la terreur des dangers présents, allumer l'indigna

tion des citoyens, et leur désigner d'illustres victimes, pour cacher sous un voile épais les véritables causes de nos malheurs, le temps approche où ceux qui ont osé abuser de la respectable crédulité du peuple ne trouveront plus de crédit auprès de lui, ni dans le passé, qui ne peut sans doute leur servir de garant, ni dans l'avenir, qui démentira leurs fausses promesses. Et d'abord c'est au système d'administration intérieure de ce ministère que j'attribue les commotions, les désordres, les crimes pour lesquels on n'a pas manqué de provoquer votre sévérité, ou de solliciter votre indulgence, suivant qu'ils servaient les vues des factieux ou nuisaient à leurs desseins. Ces manoeuvres se sont succédé si rapidement, que leur enchaînement a dû vous échapper; mais la tolérance, que dis-je! la protection ouverte qu'elles ont reçues des principaux agents du pouvoir exécutif, à l'époque dont je parle, ont causé plus de troubles que nos ennemis n'en eussent osé désirer. On a feint de craindre l'attiédissement de l'esprit public, pour saisir toutes les occasions de reproduire et de prolonger le mouvement révolutionnaire. Tous les citoyens que leurs propriétés ou leur industrie attachent au sort de l'État, tous ceux qui ne peuvent vivre heureux que par la prospérité commune, réclamaient le prix de leurs efforts et de leur sacrifice, le repos, la libre action du gouvernement qu'ils s'étaient donné; mais la faction, écrasée sous le poids de la loi, avait besoin d'agitation pour se relever : elle ne pouvait pas insulter d'abord aux autorités constituées; la force répressive, si nécessaire à la fin d'une révolution, allait croissant, par une sage distribution; il fallait de l'agitation pour les détruire. Les tribunaux s'organisaient et mettaient en pratique la partie morale de la constitution; les difficultés qu'avait d'abord présentées la perception de l'impôt s'aplanissaient sous une main habile: il fallait de l'agitation pour arrêter les effets salutaires de l'administration constitutionnelle, qui, portant dans toutes les parties de l'empire l'esprit d'ordre et le calme qui le suit, eussent fait aimer les nouvelles lois, et donné au roi l'avantage d'avoir affermi leur empire. Il semble qu'on ait craint de voir s'établir ce lien de reconnaissance mutuelle entre le peuple et le

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