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amis, et particulièrement par Vaublanc, qui repoussa avec énergie le reproche fait à l'assemblée coloniale d'avoir voulu déclarer l'indépendance de sa colonie et rompre les liens qui l'unissaient à la métropole. Gensonné avait dans le cours de cette discussion reproduit les assertions de Brissot; affectant une fausse modération, il adjurait l'assemblée de ne pas se laisser arrêter par la crainte du refus de la sanction du roi, lorsqu'il était si urgent de sauver la colonie par des mesures décisives. « Croiriez-vous, disait-il, excu« ser cet acte de découragement et d'inertie en alléguant votre respect religieux pour tout ce qui peut porter la fausse empreinte d'une loi «< constitutionnelle? Croiriez-vous échapper du << moins au juste reproche de la plus effrayante impéritie, si vous laissiez dessécher ainsi l'une << des sources de la prospérité nationale, par l'in« décision qu'aurait pu jeter dans vos esprits <«< une misérable équivoque? » Feignant de vouloir conserver aux assemblées coloniales le droit d'initiative que leur assurait le décret du 24 septembre, il en proposait ainsi la révocation formelle: «Aurions-nous donc à craindre que la « même influence qui a déterminé l'adoption du « décret du 24 septembre au sein de l'assemblée << nationale, n'environnât aujourd'hui le trône, << et que le monarque, trompé par des conseils

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perfides, crût servir la constitution, en main<< tenant l'exécution d'un décret qui la viole, et << en livrant les colonies au danger d'une subver« sion totale? » Le projet de décret présenté par Gensonné obtint la priorité; et l'assemblée législative, renversant d'un seul coup la base constitutionnelle de la législation coloniale, décréta, le 28 mars 1792, 1° qu'il serait procédé à la réélection des assemblées coloniales et des municipalités dans les formes prescrites par les décrets des 8 et 28 mars 1790; 2° que les personnes de couleur et nègres libres jouiraient, ainsi que les colons blancs, de l'égalité des droits politiques; qu'ils seraient admis à voter dans toutes les assemblées primaires et électorales, et seraient éligibles à toutes les places, lorsqu'ils réuniraient d'ailleurs les conditions prescrites par l'article 4 de l'instruction du 28 mars (toutes les personnes âgées de vingt-cinq ans, propriétaires d'immeubles, ou, à défaut d'une telle propriété, domiciliées dans la paroisse depuis deux ans, et payant une contribution, se réuniront pour former l'assemblée coloniale.)

Ainsi fut aveuglément et irrévocablement consommée la perte de la plus riche colonie que les Européens eussent fondée au delà de l'Atlantique, depuis la découverte du nouveau conti

nent.

Je reviens à la discussion sur la guerre, plusieurs fois interrompue par des questions incidentes, comme je l'ai dit plus haut, questions dans lesquelles le parti de la Gironde trouvait toujours de nouveaux prétextes pour exciter les passions populaires, les diriger sur ce point d'attaque qu'il ne perdait jamais de vue, et y entraîner la majorité de l'assemblée. Le terme fixé par le roi au 15 janvier 1792, passé lequel S. M. devait déclarer les électeurs ennemis de la France, s'ils n'avaient dispersé les attroupements d'émigrés dans l'étendue de leurs territoires respectifs, ce terme était sur le point d'expirer. Le 14 janvier, le ministre des affaires étrangères, Delessart, vint communiquer à l'assemblée la note officielle adressée à l'électeur de Trèves de la part de l'empereur Léopold. Par cette note, l'empereur autorisait le maréchal Bender, commandant dans les Pays-Bas, à défendre les électeurs contre une attaque dans le cas seulement où ils auraient satisfait aux devoirs du bon voisinage envers la France, et où ils auraient, conformément à l'engagement qu'ils avaient pris de disperser les émigrants français, à l'imitation du gouvernement des Pays-Bas, évité de provoquer et de justifier aucune invasion hostile des Français. La communication de cet office de l'empereur fut renvoyée au comité diplomatique. Le ministre, après le

rapport fait au nom du comité par le savant professeur de droit public Cock, soumit à l'assemblée quelques observations très-sages, et qui furent mal accueillies par les artisans de la guerre. Les dispositions pacifiques de Léopold étaient évidentes; M. Delessart faisait sentir à l'assemblée qu'il fallait agir avec prudence, et surtout ne point s'exposer aux suites d'une déclaration qui prescrirait à l'empereur un temps fixe pour déclarer ses véritables intentions, ainsi que toute autre condition que la vanité seule pourrait regarder comme une insulte. C'était indiquer assez les ménagements qu'exigeait la position embarrassée du cabinet de Vienne, à cause des engagements déjà pris avec la Prusse et les États de l'Empire sur des bases éventuelles ; mais c'était aussi montrer aux ennemis de la paix intérieure et extérieure le point vulnérable de la négociation. L'esprit et les conclusions du rapport étaient entièrement dans ce sens. Cock avait même fait valoir, comme un favorable augure de l'issue des négociations pour l'affermissement de la paix, les démarches spontanées et conformes au désir du roi, de l'électeur de Trèves et du duc de Wurtemberg, directeurs des cercles de Souabe et de Franconie. La discussion s'ouvrit immédiatement. Brissot fut d'abord entendu; voici ses premières paroles « Le masque est enfin tombé; votre

« ennemi véritable est connu; l'ordre donné au

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général Bender vous apprend son nom : c'est l'empereur. Les électeurs n'étaient que ses « prête-noms; les émigrants n'étaient qu'un ins<< trument dans sa main; vous devez maintenant « mépriser les émigrés; c'est à la haute cour à « venger la nation de la révolte de ces princes << mendiants. Cromwell força la France et la Hol«< lande à chasser Charles II; une pareille persé<< cution honorerait trop les princes; saisissez << leurs biens et abandonnez-les à leur néant. » Ce violent exorde, applaudi par les tribunes, excita parmi nous des murmures d'indignation. Brissot, pour prouver que l'office de l'empereur était un acte d'hostilité, donnait un sens tout contraire aux intentions pacifiques de ce prince. Il taxait de connivences coupables et de trahison toutes les communications du cabinet des Tuileries avec celui de Vienne. Son argumentation perfide, quelquefois éloquente, mais toujours pleine de fiel, décelait un ardent désir de rendre tout accommodement impossible, et de provoquer le ressentiment des puissances par d'insultantes provocations. Après avoir supposé, fabriqué un plan d'agression, donnant ses soupçons pour des certitudes, l'orateur s'écriait : « Tels sont les « vœux secrets de vos ennemis; ils sont rois et << vous êtes peuple; ils sont despotes et vous êtes

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