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Tarbé. Le comité persistait dans son avis de s'abstenir de prononcer, par aucune mesure législative, sur le fond même de la question, c'est-à-dire, sur les personnes. La conclusion de ce rapport présente avec tant de lucidité la véritable situation de la colonie à cette époque, et tout ce que la prudence conseillait de faire pour prévenir, dans ce dernier instant de salut, la perte de la colonie, que je la cite ici textuelle

ment.

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<< Si vous mettez des moyens de force trop puissants à la disposition de l'assemblée colo« niale, il est à craindre qu'elle ne s'en prévale << pour refuser aux hommes de couleur les droits qu'ils réclament au nom de la justice et de l'humanité; si c'est le parti des hommes de couleur « que vous renforcez, qui vous répondra qu'ils <<< n'abuseront pas de leur toute-puissance, ou « pour imposer aux blancs des conditions vio<<< lentes et injurieuses, ou pour opérer, comme <«< à la Martinique, le rétablissement de l'ancien régime? Si vous portez la moindre atteinte au régime constitutionnel des colonies, vous por<< tez de nouveau l'étincelle de la révolte et de la << discorde, non-seulement à Saint-Domingue, << mais encore dans les autres colonies françaises. « Enfin, si vous différez à secourir cette partie <«< intéressante de l'empire, vous négligerez un

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« de vos premiers devoirs, celui de veiller à la « sûreté de toutes les parties de l'empire, celui « de soulager, de consoler les malheureux habi<< tants de Saint-Domingue par tous les moyens « qui sont en votre puissance.

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Placés entre ces divers écueils, vous n'hési« terez pas, Messieurs; vous prouverez que, si << la prudence vous conseille de peser mûrement « les mesures définitives qui doivent assurer la « tranquillité de Saint-Domingue, l'humanité « vous commande de voter sans délai les secours provisoires de subsistances, de vêtements et «< d'instruments aratoires réclamés par nos frères d'Amérique, et vous vous empresserez d'acquit<< ter cette dette de la patrie et de l'humanité. »

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La discussion s'ouvrit enfin le 21 mars. Le champion de la liberté illimitée des hommes de couleur et des nègres, Brissot, réclama le premier la parole pour réfuter les assertions du rapporteur, qu'il accusa d'avoir déguisé les faits dont il avait rendu compte. Dans son discours, qui ne fut guère qu'une répétition de sa première plaidoirie, Brissot applaudit à l'insurrection des hommes de couleur, l'assimilant à la révolution du 14 juillet. Français du 14 juillet, s'écriait-il, vous étes coupables si les hommes de couleur ne sont pas innocents! Après avoir dit dans sa péroraison que, pour le bonheur des co

lonies, le parti des hommes de couleur l'emportait, qu'il fallait étre inflexible comme les principes (fameux adage de Robespierre), Brissot, voulant réparer de grands maux et l'honneur de l'assemblée précédente, persistait dans ses premières propositions, qui n'étaient rien moins qu'un acte d'accusation contre l'assemblée coloniale, le gouverneur Blanchelaude, et tous ceux qu'il appelait leurs complices. Il demandait, 1° leur traduction devant la haute cour nationale; 2o la formation d'une nouvelle assemblée coloniale, dont les membres seraient choisis par les assemblées paroissiales, conformément aux décrets des 8 et 28 mars 1790, sans distinction de couleurs. Tarbé répliqua vivement à ce virulent réquisitoire, et, par la force de son argumentation autant que par celle de ses expressions, prit beaucoup d'avantage sur son antagoniste, véritable Protée politique. Alors les orateurs de la Gironde accoururent au secours de l'accusateur. Au milieu de ces vifs débats, mon tour vint de prendre la parole; j'avais à soutenir l'avis du comité, et à justifier les mesures que mes honorables amis avaient fait prévaloir dans l'assemblée constituante. Après un résumé succinct de l'historique des troubles de Saint-Domingue, et quelques observations sur l'état social des colonies, je disais :

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« Quels sont donc les vrais amis de l'humanité ? «< ceux qui, par la propagation de leurs principes <«< absolus, allument les plus terribles passions << des hommes, appellent la révolte, et ensanglantent le berceau de la liberté, ou ceux qui, << avant de porter au milieu des plus épaisses té<< nèbres des préjugés la lumière qui doit inonder <«<le monde, la font précéder par l'aurore de la «< raison, qui veulent poser la base des institu<<< tions sociales sur l'intérêt personnel de chaque << homine; enfin, qui, loin d'irriter ses passions, << savent les intéresser à son bonheur, et les faire «< servir ainsi au triomphe de la philosophie? Eh! « Messieurs, la philosophie a aussi à découvrir << ses antipodes, et on n'y parvient qu'en tour<<< nant le globe, et non en le perçant.

<< Ceux qui croient cette prudence inconciliable « avec les élans de la liberté, taxeront-ils d'une « modération pusillanime, dans cette grande «< cause, l'auteur de l'Histoire philosophique? Je ne veux point grossir, commence ainsi l'abbé Raynal, la liste ignominieuse des écrivains qui consacrent leurs talents à justifier par la politique ce que réprouve la morale. Voilà, « Messieurs, le début de cet éloquent plaidoyer par lequel il dévoue au mépris des philosophes ceux qui tenteraient de justifier <«<l'odieux système de l'esclavage; mais voici

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«< sa conclusion, elle est très - remarquable : » En accordant à ces malheureux la liberté, que ce soit successivement, comme une récompense de leur économie, de leur conduite, de leur travail. Ayez soin de les asservir à vos lois, à vos mœurs; donnez-leur une patrie, des intérêts à combiner, des productions à faire naître.

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Puisqu'il était démontré que l'esclavage ne pouvait diminuer et disparaître que par l'effet du temps; puisque, par la nature même de << l'esclavage, l'affranchissement dépend tout à la «< fois de la volonté du maître qui abandonne ses droits, et de l'acte du peuple souverain qui reçoit l'affranchi au nombre des citoyens, il << fallait donc inspirer la confiance aux propriétaires, conserver le respect des affranchis en« vers leurs anciens maîtres, préparer leur sou<«< mission aux lois. On a suivi cependant une << marche directement contraire au lieu de ras<< surer les colons, on les a environnés de dan«<gers; au lieu de ne montrer le soleil qu'à tra«< vers un voile à des yeux peu accoutumés à la <«< lumière, on les a tout d'un coup éblouis; ils << n'ont plus reconnu ni leurs maîtres, ni leurs <«< bienfaiteurs, ni la liberté, ni les lois.

<< Prenons pour un instant la place « de ces malheureux colons, qui sont pourtant

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