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DE LA GARDE DU ROI. 183 les ennemis de l'autorité royale qu'on veut faire << punir. >>

Venant au fond de la question, Vergniaud chercha à justifier l'illégalité de la mesure par une nouvelle subtilité. Il établit que la garde du roi ne faisait point partie de la force armée, qui ne se composait, disait-il, que de l'armée de ligne et de la garde nationale, mais que puisque c'était un corps armé dans l'État, et que son existence ne pouvait être indépendante, il fallait, pour remédier au désordre, pour licencier la garde et la reconstituer conformément à la loi, il fallait le concours des deux pouvoirs, c'està-dire, un décret du corps législatif et la sanction du roi. L'orateur proposa en conséquence de porter immédiatement le décret de licenciement.

Ramond demanda la parole pour rétablir les principes constitutionnels que Vergniaud avait dénaturés ; mais l'assemblée décréta que Ramond ne serait pas entendu. La discussion fut fermée, et l'assemblée adopta le décret suivant, définitivement rédigé par Guadet:

<«< La garde actuelle du roi est licenciée. Elle << sera renouvelée sans délai, conformément aux << lois.

« Le service que faisait la garde constitution<«<nelle du roi demeure suspendu; et le service

« sera fait par la garde nationale jusqu'à la nou« velle organisation. »>

Pendant que les tribunes applaudissaient avec une joie féroce, Merlin de Thionville proposa, comme une conséquence du décret de licenciement, la mise en accusation du commandant de la garde du roi, M. de Brissac. La discussion s'ouvrit à l'instant. Vainement Becquey démontra qu'il était absurde et barbare de porter un décret d'accusation sur des présomptions hasardées, sur des délations anonymes, sur les récriminations de soldats expulsés, sans qu'on eût sous les yeux aucune preuve authentique des motifs allégués. L'orateur demandait la question préalable; Chabot répondit faiblement au nom du comité, et ne put donner, sur la validité des pièces annoncées par Bazire, aucun éclaircissement, aucune autre garantie que l'opinion même du comité. Une juste indignation éclata dans le côté droit de l'assemblée; le brave Calvet, ancien garde du corps, ne put se contenir et laissa échapper quelques paroles injurieuses. Rappelé à l'ordre, menacé du même traitement qu'on venait de faire éprouver à Froudières, il s'expliqua

en ces termes :

« Ce matin on nous a lu les pièces sur lesquelles on veut envoyer M. Brissac à Orléans, <«<et je déclare que je n'ai pas entendu le nom

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«< d'un citoyen, j'ai toujours entendu M..... en «< blanc. » Malgré les interruptions furibondes et les cris A l'Abbaye! répétés par les tribunes, Calvet poursuivit : « Je sais, Messieurs, qu'il y a une grande différence entre un dénon<< ciateur et un délateur. La dénonciation est une <«< vertu; la délation est un crime. Le dénoncia<«<teur est un homme qui sacrifie à sa patrie « toutes ses affections particulières et tous ses <«< intérêts; le délateur est un scélérat qui enfonce « le poignard et ne se montre pas. Je dis que <«< l'homme qui va au comité de surveillance, et qui dit : Je dénonce M. Montmorin; je dénonce «< celui-là et je signe, voilà le dénonciateur; voilà « Caton qui dénonçait au sénat Catilina. Le délateur, au contraire, nous ramène au temps « de Tibère, de Séjan, à ce temps que vous me rappelez souvent, permettez-moi de vous le dire, Messieurs; je vous demande pardon, << mais ma franchise est telle. >>

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Guadet, déclarant qu'il se portait dénonciateur de son collègue, et s'indignant qu'on eût osé dire que les représentants du peuple français rappelaient les temps de Séjan et de Tibère, demanda qu'il fût envoyé à l'Abbaye. Je m'élança à la tribune pour défendre mon ami Calvet; ma voix fut étouffée par les murmures et les cris. « M. Du« mas veut nous faire croire que nous sommes

<< des Tibère et des Séjan!» Calvet fut envoyé pour trois jours à l'Abbaye; et le trouble ne s'apaisa que lorsque l'assemblée, sur la proposition de Quinette, eût décrété l'accusation contre le malheureux Brissac.

L'ardeur avec laquelle les Girondins avaient prêté leur appui au parti jacobin pour porter une si rude atteinte à la prérogative royale, fut à nos yeux un signe évident du désaccord qui régnait dans le conseil du roi, dont ils avaient cru disposer selon leurs vues en y introduisant leurs amis. Leur plan pour parvenir à modifier la constitution, si toutefois un tel plan a existé, n'a jamais été bien connu. Quel qu'il fût, l'’avénement de Dumouriez au ministère dut nécessairement rompre le fil de l'intrigue. Arrivé à l'exercice du pouvoir, un homme d'un tel caractère était incapable de faire fléchir son ambition et son audace jusqu'à devenir l'instrument passif d'un parti qui n'avait d'autre moyen d'action et d'influence que les mouvements populaires qu'il ne dirigeait pas. Les dissensions du conseil, l'incompatibilité de Dumouriez avec Roland, Servan et Clavières, ne tardèrent point à éclater dans le cabinet et dans l'assemblée. Dans le cabinet, par l'opposition de Dumouriez, que soutenaient Lacoste et Duranthon, contre les mesures proposées par leurs trois autres collègues; dans l'as

semblée, par la présentation que fit, dans la séance du 4 juin, le ministre de la guerre Servan, d'un projet de décret qui, malgré son importance, n'avait été ni communiqué ni discuté dans le conseil du roi. Ce projet n'était rien moins que le rassemblement de cinquante mille fédérés, qui, après s'être réunis au Champ-deMars le 14 juillet, devaient camper aux portes de Paris pour assurer la tranquillité de la capitale, et suppléeraient la garde nationale dans son service, soit auprès du roi, soit auprès de l'as

semblée.

La faction qui dominait l'assemblée, et à laquelle on avait donné une si grande part dans l'exercice du pouvoir exécutif, marchait maintenant à découvert. Elle voulait s'emparer du roi par la terreur. Les trois ministres girondins, croyant que l'occasion était mûre et propice pour frapper un coup décisif, firent adresser au roi par l'un d'eux, Roland, une lettre confidentielle, qu'avait rédigée madame Roland, et qui, lue par son mari dans le conseil, en présence du roi, bien que ce ministre eût promis de la tenir secrète entre lui et Sa Majesté, devint une sorte de manifeste et accéléra la crise inévitable. Je ne rapporte point ici cette pièce si connue, et que les historiens de tous les partis ont tour à tour transcrite ou extraite.

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