Page images
PDF
EPUB

duisaient et entraînaient les hommes les plus timides aussi bien que les plus ardents; et telle était son influence sur la majorité des membres de l'assemblée, que sur sa demande un fonds de six millions lui fut accordé pour dépenses secrètes, sans qu'il en indiquât la destination, et malgré les sages observations de quelques-uns de nos amis sur le scandale et le danger d'une telle concession. Nous soupçonnâmes que cet argent serait employé à fomenter quelques soulèvements dans la Belgique, si le plan de campagne que Dumouriez avait médité et conseillé était mis à exécution.

J'aurai plus tard l'occasion de critiquer et de développer ce plan si bizarre et si légèrement conçu, qu'on ne saurait y reconnaître les talents militaires et la perspicacité de son auteur. Comme ce plan avorté servit de base à l'accusation que je crus devoir porter contre le ministre girondin, peu de jours avant la catastrophe du 10 août, je renvoie à cette époque les détails curieux que renferme ma dénonciation, et je me borne à tracer ici les principaux traits et les motifs apparents de ce prétendu plan d'invasion.

On sait, et je crois avoir dit qu'avant la déclaration de la guerre, on avait non pas rassemblé, mais seulement indiqué la formation de trois armées celle du Nord, sous les ordres du maré

chal de Rochambeau ; celle du Centre, sous le général la Fayette; celle du Rhin, sous le maréchal de Luckner. La force effective de chacune de ces armées était supposée devoir s'élever, savoir: celle de Rochambeau à cinquante-trois mille hommes; celle de la Fayette à soixante-deux mille hommes; enfin celle de Luckner à quarante-huit mille hommes; total, cent soixantetrois mille hommes. Au 20 avril, époque depuis laquelle les communications sur les frontières pouvaient être interrompues, et tout au plus quelques hostilités commises entre les postes avancés des places fortes respectives, toutes les troupes françaises, dont la plus grande partie était encore dans l'intérieur et fort éloignée de la ligne, étaient répandues dans les garnisons et dans quelques cantonnements; mais il n'y avait encore aucune organisation régulière des divers corps d'armée, aucun magasin de guerre, de bouche et d'effets de campement, formé d'après des dispositions générales, même pour un système défensif. Du côté de l'ennemi, les choses étaient dans le même état. On ne pouvait des deux parts que s'observer et mûrir ses apprêts pour l'ouverture de la campagne. Le maréchal de Rochambeau, qui avait devant lui, sur la frontière de Flandre, la principale masse de troupes autrichiennes, environ vingt-cinq mille

hommes répartis dans les places entre la mer et la Meuse, conseillait de rassembler d'abord des troupes dans des camps retranchés entre les places fortes, sur les positions indiquées par les avantages du terrain, et qui, se liant au système général de défense, rendraient la ligne des frontières impénétrable aux incursions de l'ennemi. Ces camps devaient être formés aussitôt qu'on aurait pourvu à la subsistance régulière des troupes, à leur armement, à leurs besoins de toute espèce; ce n'était qu'après les avoir organisées, exercées, surtout après y avoir rétabli la discipline ébranlée par la licence et les incitations des sociétés populaires, que l'habile et prudent maréchal aurait ouvert la campagne, et qu'il aurait entrepris des opérations offensives. Il demandait un mois pour ces apprêts si nécessaires, et ne pensait pas que l'on dût, avant d'avoir pris ces précautions, conduire des troupes neuves qui n'avaient aucun ensemble, aucune expérience, contre des régiments autrichiens solidement organisés, aguerris dans les marches et les combats des dernières campagnes contre les Turcs.

L'ambitieux Dumouriez, pressé de justifier par un succès prompt et éclatant la témérité de ses mesures politiques, dédaigna les sages avis du Nestor de nos armées. Ayant fait approuver

par le conseil ce qu'il appelait son plan de campagne pour l'invasion de la Belgique, il dicta au ministre de la guerre, Degrave, le dispositif de cette folle entreprise. Des instructions particulières furent adressées directement à chacun des généraux chargés de l'exécution, et le maréchal de Rochambeau n'en eut connaissance que par une simple communication; il n'eut même aucune disposition à faire, aucun ordre à donner pour l'ensemble des opérations. « Le maréchal << de Luckner devait » (je me sers ici de l'exposé fait par Dumouriez lui-même lorsqu'il eut à justifier devant l'assemblée les résolutions du conseil du roi) << s'emparer par sa droite des dangereux défilés de Porentrui qui ouvraient une entrée <«< facile dans plusieurs de nos départements dégarnis de places fortes, et par sa gauche il devait former sur la Sarre un camp de huit <«< mille hommes commandés par le général « Kellermann, pour tenir en échec le pays de Luxembourg, tourner sur cette ville impor<< tante les inquiétudes des Autrichiens, et les <«< empêcher de se dégarnir dans cette partie pour « aller renforcer les Pays-Bas.

[ocr errors]
[ocr errors]

<< M. de la Fayette recevait l'ordre d'assembler « à Longwy un corps de six mille hommes de la « partie de son armée qui avoisine Metz, et de « le porter sur Arlon pour menacer de mème

[ocr errors]

er

Luxembourg, et couper la communication << entre Luxembourg et Namur. Il devait encore << rassembler au plus tôt le reste de son armée, << et se porter sur Givet, d'où il partirait à la tête << de l'avant-garde, le 1o ou le 2 de mai au plus tard, pour attaquer Namur; et s'il l'emportait, <<< comme cela était probable, en cas qu'il fût << favorisé par l'insurrection des gens du pays, il << avait ordre de prendre une position défensive « sur la Meuse en avant de cette ville.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

« Le général de Biron devait, avec l'avantgarde de l'armée de Rochambeau, se porter rapidement de Valenciennes sur Mons, et, en <«< cas de succès, marcher avec la même rapidité << sur Bruxelles, où il se serait trouvé par le calcul << des marches à l'époque de l'attaque de Namur, «< ces deux villes se trouvant sur la même ligne.

« M. d'Aumont, commandant à Lille, recevait « l'ordre de rassembler neuf ou dix escadrons <«< de cavalerie ou dragons, et de les faire mar«< cher en avant de Baisieux sur le territoire

[ocr errors]

autrichien, le même jour que M. de Biron devait « occuper le camp de Quiévrain.

« M. d'Elbeck avait ordre de porter un « détachement de douze cents hommes sur Fur<«< nes, pour inspirer sur ce point aux généraux

autrichiens la même perplexité que devait « porter ailleurs l'apparition des autres colonnes,

« PreviousContinue »