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noré, et par les services signalés qu'il a rendus à - ce grand prince.

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Enfin, après avoir examiné ce plan, et l'avoir communiqué à la reine, le roi l'approuva, ainsi que le choix de M. Lefort, pour le voyage de Normandie; mais il observa qu'avant tout il falloit s'occuper de trouver des fonds, parce qu'il étoit bien loin d'en avoir assez, et que la caisse de la liste civile étoit épuisée. J'allai-sur-le-champ faire part de cette réponse à M. de Montmorin, qui me dit que le duc du Châtelet lui avoit confié que, depuis deux mois, il tenoit un million en réserve pour l'offrir au roi, si S. M. en avoit besoin ;' qu'ainsi on pouvoit compter sur cette somme. Le duc de Liancourt qui m'avoit renouvelé plusieurs fois l'offre de réaliser toute sa fortune, à l'exception de cent louis de rente, et d'en remettre le prix à la disposition du roi, à qui il avoit déjà prêté 190 mille livres sur une simple reconnoissance de ma part, me promit 900 mille livres pour la première quinzaine d'août. D'un autre côté, la précaution que j'avois prise de réaliser en espèces ou en effets aut porteur tous les fonds disponibles fesant partie de la fortune de madame de Bertrand ou de la mienne, me mettoit en état de procurer' une somme de 600,000 livres dans quatre ou cinq jours. Je donnai connoissance au roi de toutes ces ressources, qui, en y réunissant les fonds que sa majesté avoit dans son secrétaire, formoient une

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somme d'environ trois millions, dont 5,000 louis étoient en or. J'insistai en même-temps sur l'importance extrême de ne pas retarder plus longtemps le départ de M. Lefort.

La nécessité du départ du roi étoit si généralement sentie, que plusieurs plans d'évasion furent formés et adressés à sa majesté. Il n'y eut pas jusqu'à madame de Staël qui, soit dans l'espérance de se faire pardonner le mal qu'elle avoit fait au roi par ses intrigues, soit par le besoin d'intriguer encore, n'eût imaginé aussi un plan de départ pour le roi. Elle en fit part à M. de Montmorin, dans le courant du mois de juillet, par une lettre qu'il me communiqua; voici en quoi consistoit ce plan :

« La terre de Lamotte, située sur la côte de Normandie, et appartenant au duc d'Orléans, étoit alors à vendre. Madame de Staël devoit annoncer le projet d'acheter cette terre, pour que les voyages qu'elle pourroit y faire deux ou trois fois par semaine, ne fissent naître aucun soupçon ; elle devoit faire tous ces voyages dans la même berline, et toujours accompagnée des mêmes personnes, au nombre de quatre; savoir: 19. un homme d'affaires, de la taille, de l'embonpoint et de la tournure du roi, en habit gris et en perruquer ronde; 2°. une femme-de-chambre, de la tournure de la reine, coiffée d'un chapeau, dont la gaze noire flotteroit sur son visage; 3o. un enfant, de

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l'âge et de la tournure du dauphin; 4°. un valetde-chambre, courant à franc étrier au-devant de la voiture, et ce rôle étoit destiné à M. de Narbonne. Aussitôt que ces voyages, fréquemment répétés, auroient assez accoutumé les maîtres de poste et les postillons à la berline de madame de Staël, pour leur ôter la curiosité de regarder de trop près les personnes qui étoient dans cette voiture, elle en feroit avertir leurs majestés, qui pourroient venir y prendre la place de ses compagnons de voyage le jour qu'elles jugeroient à propos de choisir, et se rendre, sans le moindre danger, au château de Lamotte dont le parc étant terminé par la mer, leur offriroit la facilité de s'embarquer sur-le-champ sur un bateau pêcheur, et d'aller joindre à un quart de lieue de la côte un bâtiment plus considérable qu'il seroit très-aisé d'y faire trouver. La seule précaution qu'elle indiquoit, étoit de se procurer une perruque et un chapeau, pareils à ceux dont elle donneroit la description, si son plan étoit adopté; mais elle y mettoit, pour condition essentielle, que M. de Narbonne seroit agréé par leurs majestés, parce que son zèle et son intelligence pouvoient seuls assurer le succès de cette entreprise, qui laissoit à Paris madame Elizabeth et madame Royale, pour lesquelles madame de Staël ne prévoyoit aucun danger.

M. de Montmorin qui avoit trouvé ce plan

aussi périlleux que romanesque, et peu décent, n'avoit pas jugé à propos d'en faire part au roi, dans la crainte que sa majesté, qui avoit la bonté de ne voir dans madame de Stael qu'une folle, ne regardât aussi tous les projets de départ qui pourroient lui être proposés, comme autant de folies, par la seule raison que madame de Staël avoit conseillé cette même mesure. de salut que

L'indécision du roi sur les moyens nous lui proposions, étoit d'autant plus fâcheuse, que les symptômes de la catastrophe qui le menaçoit s'aggravoient avec la rapidité la plus effrayante. Les pétitions et les adresses qui demandoient la déchéance, devenoient chaque jour plus nombreuses et plus impératives; elles étoient même, en quelque sorte, un titre bannal d'admission aux séances de l'assemblée, qui ne manquoit jamais d'accorder cet honneur à tous ceux qui venoient lui présenter de pareilles pétitions; mais une de ses mesures révolutionnaires les plus funestes, fut le décret qui, sous prétexte du danger de la patrie, mit les assemblées de section en permanence dans la capitale (1), et y établit par là autant de foyers d'insurrection et de révolte. Les soupçons, les inquiétudes et l'agitation des Parisiens, étoient entretenus par les bruits absurdes

(1) Ce décret fut rendu le 25 juillet, dans la séance du soir.

qu'on répandoit sans cesse, tantôt sur la fuite supposée du roi ou de la famille royale, tantôt sur de prétendus amas d'armes et de munitions cachées aux Tuileries. Le ministre de l'intérieur écrivit au maire, à cette occasion, le 26 juillet à une heure du matin, pour le requérir, de la part du roi, de se rendre au château, ou d'y envoyer deux officiers municipaux pour en faire la visite; et, lé corps municipal assemblé sur cette réquisition, arrêta insolemment qu'il n'y avoit lieu à délibérer, attendu que le roi devoit préalablement faire faire au comité de sa section, tant pour lui que pour les personnes domiciliées au château des Tuileries, la déclaration des armes étant en la possession de chacune d'elles. A trois heures du matin, le maire fut obligé de se transporter au faubourg St.-Antoine, où quelques attroupemens s'étoient formés, avec le dessein d'aller enlever les armes qu'on disoit être au château; et il ne parvint à les dissiper, qu'en leur donnant connoissance de la lettre du ministre et de l'arrêté de la municipalité. Il alla delà au faubourg St.-Marceau, où les ouvriers se rassembloient au son du tocsin et du tambour, et il y rétablit la tranquillité jusqu'à nouvel ordre; car il n'y avoit pas un seul de ces mouvemens séditieux qui ne fût commandé; et les jacobins en accusoient les royalistes, aussi effrontément qu'ils avoient accusé les aristocrates de brûler eux-mêmes leurs châteaux.

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