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cun guide pour se diriger; nulle part on ne s'est livré à des expériences précises et comparatives. Je dois en excepter Grenoble et Avignon où la taxe légale s'appuie sur l'expérience et l'observation des faits.

Aidé de tous les renseignements recueillis, nous allons essayer d'examiner la question sous toutes ses faces, et vous faire connaître le résultat des expériences que nous avons entreprises.

L'Administration, pénétrée de l'importance de cette étude, nous a donné toutes les facilités désirables, pour l'examen que nous avions à faire et dont nous allons vous rendre compte.

Discussion et exposé.

La viande est un objet de première nécessité : c'est l'aliment le plus nécessaire pour développer la force physique de l'homme et pour conserver sa santé : c'est l'élément le plus réparateur, pour supporter les travaux multipliés auxquels la population ouvrière est constamment livrée.

Malheureusement sa consommation, déjà si restreinte dans un temps normal, tend encore à s'amoindrir dès que le travail est rare, ou que le prix des céréales devient trop élevé. Ce fait ressort évidemment des observations faites sur un tableau qui comprend la consommation annuelle de la ville d'Angers, depuis 1800 jusqu'en 1841, inséré au bulletin des travaux de la Société, tome Xlil (1842), page 123, et au supplément ci-joint, jusqu'en 1849.

Angers n'a consommé en 1849, que 43 kilogrammes de viande par individu, ou 118 grammes par jour et par individu, ce n'est pas la moitié d'une consommation normale dans les villes; d'après la statistique de Peyrremond, la consommation moyenne des villes, au-dessus de 10,000 âmes, est de 50 kilog. Nous sommes donc audessous de la moyenne, cependant une consommation cinq fois plus considérable que celle qui existe maintenant en France, ne constituerait qu'un état régulier. — Car la moyenne, dans les campagnes n'est que de 20 kilog.; encore le porc, dont le régime est loin d'être salutaire, forme-t-il presque uniquement ce chiffre.

Boucherie d'Angers.

La ville d'Angers est soumise à une taxe unique pour toutes les natures de viandes, à l'exception, cependant, du porc qui n'est pas taxé. Dans le relevé de 50 années, dont nous venons de parler, le prix le plus faible, a été de 68 c., et le prix le plus élevé de 95 c., le prix moyen est de 85 c. le kilog.

Avant d'aborder cette grande question de la taxe, mettons en avant quelques axiomes qui, pour être généralement ignorés, n'en sont pas moins hautement proclamés par tous les connaisseurs, soit bouchers, soit herbagers et cultivateurs.

1o Dans les grands marchés de bestiaux du département de Maine et Loire: Cholet, Chemillé, Montrevault et Montfaucon, qui fournissent le tiers de la consommation de Paris en viande de bœuf, il y en a quatre qualités. La première se consomme en général à Paris;

La deuxième et la troisième à Angers et dans les départements circonvoisins;

La quatrième est éloignée de la consommation des grandes villes par les tares dont elle est frappée, mais qui n'en rendent cependant pas l'usage nuisible.

2o Le poids du bétail n'est point la règle de la qualité de la viande; la première existe sous tous les poids, dans le bœuf comme dans la vache; les connaisseurs la distinguent sans peine, et même des cultivateurs intelligents connaissent le maigre qui doit arriver à la première qualité.

« La joue d'un bœuf gras vaut mieux que la cuisse » d'un bœuf maigre: » dit le proverbe, vrai cette fois. 3o Plusieurs animaux pesant le même poids, n'ont ni la même qualité, ni la même valeur.

4° Le bœuf qui a le plus de suif ou qui est le plus gras, est généralement le meilleur, sauf exception.

5o Dans un même animal, il y a de la viande d'au moins trois qualités bien distinctes.

Ces cinq propositions étant admises, nous allons en tirer des conclusions qui, découlant des principes posés, feront apparaître la question dans tout son jour et de la manière la plus saisissante.

Le régime de la taxe unique est toujours injuste, puisqu'il fait payer le même prix la viande de qualités différentes; mais il a d'autant moins d'inconvénient, qu'il est appliqué à une population plus pauvre, parce qu'alors le partage des bons morceaux se fait d'une manière plus égale.

Mais dans une ville, comme Angers, où le nombre des familles aisées est très considérable, la taxe unique est préjudiciable au pauvre qu'elle atteint plus spécialement dans sa consommation habituelle.

Dans tout animal il y a trois qualités de viande bien distinctes, sans compter les morceaux de choix et d'exception.

Ainsi dans un boeuf de 600 kilogrammes, par exemple, au moment où il est abattu, il y a 340 kilog. de viande qui se décomposent ainsi qu'il suit :

Viande d'exception, six kilog. (1)

1re qualité, la moitié,

2e qualité, le quart,

3e qualité, l'autre quart,

6 »

167 »

83 5

83 5

340 »

Dans leur appréciation, les bouchers n'achètent, ordinairement, que sur le poids de moitié de viande nette : le cubage qu'ils opèrent de l'animal, par la vue et le tact, les trompe rarement; mais leur appréciation, favorable à leurs intérêts, ne peut être prise pour point de départ; et nous maintenons qu'un bœuf de 600 kilog., en 2o qualité. a 340 kilog. de viande nette et non pas 300, et que l'augmentation de la viande nette suit une progression croissante en rapport avec l'augmentation du poids et la quantité du suif. Ajoutons, pour être juste, qu'il faut tenir compte au boucher, par une réduction de 5 010 sur le poids net, de l'évaporation de la viande et du dépeçage.

Or, qui ne voit au premier aperçu, que c'est la viande de 3e qualité qui supporte toute l'augmentation de prix, dont diminue la 1re par suite de la taxe moyenne, et que la troisième est encore plus grevée que la seconde, par

(1) La moyenne des bœufs tués à Paris, a 436 kilos de viande nette.

cette manière de procéder, puisque la deuxième forme ordinairement le prix moyen. Si nous prenons les prix de 1 fr., de 80 c. et de 60 c. pour les trois qualités de viande qui correspondent à une moyenne de 80 c., on se rendra facilement compte des faits, de même qu'avec les deux autres séries: 1 fr. 20 c., 90 c., et 60 c., ou 1 fr. 10 c., 90 c. et 70 c. dont les moyennes sont 90 c.

Ce chiffre, est le prix actuel de la taxe unique à Angers, mais nous démontrerons, plus tard, que la 1re série, que nous adopterions dans le cas d'une taxe graduée, est préférable aux deux autres: 1o parce que la progression est régulière et s'accorde parfaitement avec les bénéfices à concéder aux bouchers; 2° parce que dans la seconde série, la viande de première qualité est portée trop haut; 3o parce que dans la 3° série, la viande de qualité inférieure serait plus chargée.

Dans ce système, heureusement modifié par la concurrence et le désir de conserver ses pratiques, le boucher a tout intérêt à acheter des bœufs de qualité inférieure, puisque la 2e et la 3e classes de viande le dédommagent de la 1re sur laquelle porte la plus grande différence du prix des bestiaux, et il doit toujours tendre à n'abattre que des bœufs, dont le prix de la viande, de 1re qualité, se rapproche de la taxe ou se confond même avec elle, parce qu'alors, tout le reste de l'animal, c'est-à-dire, la moitié, étant vendue au même prix, quoique inférieure en qualité, le bénéfice prend des proportions considérables.

La taxe est donc illusoire, en ce sens que, dans le cas le plus favorable, la qualité diminue à proportion de la diminution de la taxe.

Elle est souverainement injuste, en ce que la viande de qualité inférieure se paie au même prix que la qualité supérieure, et, dans le cas d'un prix trop bas, elle est contraire à l'hygiène, en ce que la viande de qualité inférieure ne fournit plus qu'une alimentation, sinon nuisible, du moins très imparfaite.

Noqs n'avons encore envisagé la taxe unique, qu'à un seul point de vue, sous le rapport de la viande de bœuf et de vache, mais la taxe comprend encore le veau et le mou

ton.

La combinaison de ces trois éléments, mérite d'ètre examinée. Si ces trois éléments, qui entrent dans la taxe, avaient la même valeur et étaient soumis, parallèlement, aux mêmes variations, il y aurait une apparence de raison à les confondre et à les réunir, mais malheureusement il est loin d'en être ainsi : les variations sur le bœuf sont minimes et graduées, celles sur le veau sont énormes, suivant la saison, et celles sur le mouton ne le sont pas moins, mais avec cette anomalie, dans nos contrées, que le prix du mouton, en dehors des variations, suit une marche constamment ascensionnelle par suite de la suppression des jachères et du perfectionnement de la culture et que, dès lors, son prix réel est presque toujours supérieur à celui de la taxe. Aussi, qu'en résulte-t-il pour les consommateurs qui préfèrent une espèce de viande à l'autre ? Celui qui aime le veau est obligé de le payer fort cher, alors qu'il n'a presque pas de valeur. Par contre, celui qui aime le mouton ne le paie presque jamais à sa valeur, et ceux qui ne mangent ni mouton, ni veau, paient le bœuf plus cher qu'ils ne devraient le payer, puisque, presque toujours, cette dernière viande se trouve frappée de l'augmentation des deux autres.

Là, encore, les intérêts du pauvre sont complèment sacrifiés il ne lui est pas loisible de profiter du bas prix du veau et de s'en priver quand il est cher.

:

Dans le mouton, les côtelettes, les gigots et les épaules, sont le partage du riche, et le reste est cependant vendu au même prix.

Frappé de ces anomalies, quelques administrations municipales avaient voulu scinder la taxe mais la complication résultant des trois natures de viande et des trois qualités de viande, accompagnée des variations survenant dans chacune d'elles rendaient cette mesure très délicate et très difficile, et nous ne sachons pas qu'elle existe quelque part. La taxe a encore un autre inconvénient; du moment où elle établit une limite aux bénéfices, la limitation du nombre des bouchers devrait en être la conséquence forcée, mais alors on créérait un privilège que nos mœurs repoussent.

Que conclure donc d'une marchandise si variable et

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