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l'eau de pluie qui rencontrera dans l'air des courants terrestres ascendants contiendra des substances terreuses et alcalines, ainsi que l'ont montré les analyses de Bergmann, de Zimmermann et de Brande. Les nuées de poussière qui apportent les matières minérales peuvent, d'après Darwin, venir de plus de 300 lieues. Il y a encore bien d'autres souillures, mais plus rares, telles que celles que présentent les pluies couleur de sang, vertes ou d'un noir foncé. Une pluie de ce genre, noire et putride, tomba en Irlande le 14 avril 1849, et s'étendit à Carlow sur une surface de 1000 kilomètres carrés. On remarqua que la chute de cette pluie eut une singulière coincidence avec une nouvelle reprise de choléra.

La qualité de l'eau superficielle est encore plus sujette à varier avec les circonstances locales. Celle qui coule sur le granite primitif ou celle que renferme, en un lac, un bassin de schiste insoluble (comme celle de la Dee en Ecosse et du lac de Bola dans le pays de Galles), pourra souvent ne contenir qu'un millième de matières salées ou terreuses. Au contraire, l'eau superficielle qui parcourt un sol d'alluvion ou de terreau, emporte nécessairement avec elle en solution ou en suspension, un échantillon de toutes les impuretés qu'elle a rencontrées en se rendant à la rivière. On peut dire la même chose des eaux souterraines. Cependant les eaux de source ont ces avantages qu'elles sont soustraites à l'action du soleil qui, dans les eaux superficielles, fait pulluler la population végétale et animale, et fermenter leurs débris, et d'autre part qu'elles échappent aux souillures qui sont du fait de l'homme, telles que défections, égoûts, rouissages, etc.

Du reste, si l'eau tend à prendre des impuretés chemin faisant, elle tend aussi à en déposer. Dans le long circuit qu'elle accomplit de l'air à la terre, de celle-ci à la mer, deux actions marchent simultanément, l'une tendant à la souiller, l'autre ayant pour effet d'en écarter les impuretés; or, ces actions l'emportent alternativement l'une sur l'autre. Le point principal de la question des eaux, en tant qu'il s'agit du choix de l'eau la plus pure, consiste à déterminer le moment où l'influence favorable est à son maximum et l'influence contraire à son minimum.

Le contact de l'eau de pluie avec un rocher, sur lequel elle coule, la purifie. Cette action de surface tend à accélérer l'oxydation de la matière organique et à la convertir en acide carbonique, en ammoniaque et en eau. Cette influence de la surface tient essentiellement à la question de la filtration.

Ce n'est que depuis quelques années qu'on a compris toute l'étendue des phénomènes dus à cette action du contact des surfaces. Disons-en quelques mots. On sait que les gaz et les liquides peuvent mouiller certaines surfaces solides, c'est-à-dire, qu'ils s'attachent à ces surfaces, montrant par là que leur attraction pour le solide qu'ils baignent est supérieure à leur cohésion et à leur élasticité propres. Dans ces circonstances, les liquides et les gaz obéissent bien plus facilement à l'affinité qui tend à leur faire contracter de nouvelles combinaisons. C'est ainsi que le gaz oxygène et le gaz hydrogène, qui ne peuvent se combiner quand on les mélange simplement à la température ordinaire, se combinent au contact d'une lame de platine. La combinaison est encore bien plus rapide avec l'éponge de platine, ainsi qu'on le voit dans l'expérience du briquet à hydrogène, parce que la surface du platine, grâce à sa porosité, est alors beaucoup plus étendue. Une foule d'autres corps, mais à divers degrés, jouissent de propriétés analogues. On connaît la propriété du charbon, surtout de celui des os, d'absorber les gaz et par suite de désinfecter. De là son importance pour la filtration. Mais ce qu'on ignore généralement, c'est que les roches elles-mêmes, les roches schisteuses et granitiques, par exemple, exercent aussi très puissamment cette action de surface. Cela admis, supposons qu'il tombe sur un rocher de granit de la pluie contenant des animalcules morts ou des globules fongueux, substances très oxydables, si le rocher est mouillé d'air, revêtu d'une couche d'air condensé, l'oxygène ainsi rapproché, n'obéissant plus à la force répulsive, s'unit au carbone et à l'hydrogène des matières organiques et les convertit en acide carbonique et en eau. Si c'est du sable, c'est-à-dire, du granit désagrégé, qui reçoit de la pluie, l'action de la surface en sera augmentée avec les surfaces elles-mêmes,

et l'oxydation s'opérera plus efficacement. Ainsi un ruisseau d'eau de pluie coulant sur un lit de sable peut perdre rapidement la propriété de se putréfier.

Les liquides sont aussi susceptibles, comme les solides, d'être mouillés par des gaz qui adhèrent à leurs molécules. Ainsi l'eau qu'on verse d'un vase dans un autre, entraîne des bulles de gaz, et l'on sait que c'est là le moyen d'aérer rapidement de l'eau qui a été privée d'air par ébullition. Mais l'action des surfaces solides pour altérer les gaz est généralement plus grande que celle de l'eau. Si l'on met du gravier dans de l'eau aérée, sous le récipient d'une machine pneumatique et qu'on fasse le vide, les bulles qui se forment adhèrent au gravier avant de se dégager.

Ces différents effets de l'attraction de surface se produisent dans un ruisseau sablonneux et peu profond. L'eau s'y étend, comme une sorte de ruban, entre une couche de petits cailloux et une couche d'air; l'agitation continuelle de son cours expose toutes les molécules de sa masse, au-dessus à l'aération, au fond à l'action de surface; absorbé par la tranche supérieure, l'oxygène est condensé par les surfaces des grains de sable et combiné avec les matières organiques. C'est ainsi que, dans le pays de Galles, on voit la Dee jaune comme du thé dans la partie supérieure de son cours, chargée qu'elle est d'une infusion de tourbe, devenir incolore et limpide quelques milles plus bas. La répétition plus fréquente de ce procédé dans les cours rapides, fait que les eaux en sont plus pures et plus salubres que celles des ruisseaux qui se traînent lentement. Au contraire, les eaux stagnantes exhalent souvent des odeurs infectes, et il s'en dégage des miasmes fiévreux et pestilentiels. Qu'on mette en mouvement les eaux des marais, bientôt le poison qu'elles recèlent, cessera de se produire. On fait cesser les maladies épidémiques par l'écoulement des eaux marécageuses qui les causent. C'est ce que l'on sait depuis le temps de Tarquin l'Ancien. Rome, au temps de ce roi, était comprise dans l'enceinte des quatre monts Palatin, Tarpéien, Quirinalet Cœlius. L'eau de pluie et celle des sources formaient entre ces hauteurs plusieurs marais qui infectaient l'air. Un de ces marais, le lac Cur

tius, était au milieu du Forum. Tarquin fit creuser d'immenses égoûts pour conduire ces eaux au Tibre et désinfecta Rome. De semblables mesures ont fait cesser en Angleterre les fièvres intermittentes et les dyssenteries qui y régnaient avant Sydenham, dont les sages prescriptions hygiéniques ont amené cet assainissement.

C'est à l'effet oxydant de l'action de surface et non pas seulement à l'effet de séparation ou de passoire, comme on croit généralement, qu'est principalemeut due l'efficacité de la filtration artificielle à travers le sable. C'est une action chimique en grande partie, et non simplement mécanique. C'est ce qui explique comment les filtres ne retiennent pas autant d'impuretés qu'ils en enlèvent à l'eau. Ainsi, d'après les expériences du docteur Smith, le sable des usines hydrauliques de Chelsea, près de Londres, ne contenait que 1 112 p. 100 de matières organiques, après avoir purifié pendant plusieurs semaines toute la fourniture d'eau tirée des flots bourbeux de la Tamise. A l'appui de cette manière de voir, on peut encore citer la décoloration de la bière, celle d'une eau aussi foncée que du thé, et enfin la conversion de l'hydrogène sulfuré en acide sulfurique et en sulfates, par la simple filtration à travers du sable contenant un peu de bases alcalines et terreuses.

Nous ne disons rien de l'effet mécanique de l'agitation plus ou moins grande des eaux ralativement aux matières qui peuvent y être contenues à l'état de suspension. Cela est trop connu.

Le développement de fines conferves et d'animalcules, la végétation des plantes aquatiques plus grandes, la présence des poissons, exerçent une influence mixte, qui tend d'une part à la purifier des sels qu'absorbent ces deux classes d'êtres, et d'une autre part à la souiller de tous les produits de la vie d'abord, puis de ceux de la mort. Ce que font en grand les animaux du corail, qui soutirent de l'eau de mer, chaque année, de la chaux par millions de tonneaux pour la fixer en récifs d'une grande étendue, la Galionella ferruginea le fait sur moindre échelle (1). Elle s'approprie le fer des eaux qui le

(1) Le Galionnella ferruginea (la gaillonnelle ferrugineuse) est un

contiennent et le dépose ensuite à l'état de peroxyde hydraté. C'est par là que se forme une certaine mine de fer limoneuse. Nous pouvons encore citer les animalcules testacés qui forment leur cuirasse avec la silice qu'ils trouvent dans l'eau.

Il ne serait pas impossible de faire servir à la purification de l'eau, l'action assimilatrice des végétaux et des animaux. A Glascow, en Ecosse, on a dernièrement employé des cygnes pour débarrasser un grand réservoir des plantes marines qui l'obstruaient. Pendant plus d'un an, M. Warrington est parvenu à maintenir une soixantaine de litres d'eau dans un état de pureté parfaitement équilibrée par le moyen de deux poissons dorés, de six limaces aquatiques et de deux ou trois pieds de valisneria spiralis. Avant que les limaces eussent été introduites, les feuilles tombées de la valisneria engendraient un limon visqueux, menaçant de destruction les poissons et les plantes elles-mêmes, par le trouble qu'il produisait dans l'eau. Mais les nouveaux habitants firent disparaître cette matière à mesure qu'elle se formait, et la transformèrent en jeunes limaces qui devinrent pour les poissons un mets succulent; de son côté, la valisneria se chargea d'absorber l'acide carbonique émis par la respiration de ses compagnons; elle en garda le carbone comme aliment de ses tiges et de ses jolies fleurs, dont il est si curieux de suivre la fécondation, et rendit libre l'oxygène que les poissons et les limaces purent respirer de nouveau. C'est assurément chose belle et digne d'une grande attention que cet équilibre maintenu d'une manière si simple entre les forces vitales et les forces inorganiques. Jusqu'à quel point l'application pourrait-elle s'en faire en grand? c'est ce que l'expérience seule peut décider. Jusqu'ici les myriades d'animalcules que l'on voit quelquefois dans les caux sont plus repoussants que la boue qu'ils font disparaître.

Venons aux caux souterraines. La poussière, la suie et les autres substances étrangères, entraînées par la pluie

animacule microscopique trouvé par Ehrenberg dans le tripoli. Un pouce cube de tripoli renferme plus de 1 billion 750,000 millions d'individus de cette espèce. (Voir Cosmos, par Humbold, t. 3, p. 36).

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