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cation de votre part que de bonnes intentions de la mienne ! le Seigneur en retirerait sa gloire, vous en feriez votre profit, et j'en recueillerais la plus grande consolation.

« Du reste, je déguiserais mes vrais sentiments si j'affectais de paraître insensible à des disgrâces que j'ai assez dissimulées jusqu'ici, mais qui sont aussi notoires par leur publicité que je les trouve amères en elles-mêmes. S'il m'est donné de les sentir vivement, il ne m'est pas permis de m'en plaindre; ma religion et mon état ne m'ôtent pas la sensibilité, mais ils m'interdisent les plaintes et les murmures; la soumission est mon devoir, la résignation et la patience seront mes ressources; à Dieu ne plaise qu'après vous en avoir donné des leçons, j'aille les contredire par des exemples contraires; je me rendrais d'autant plus coupable que l'autorité légitime, lors même qu'elle sévit, mérite toujours du respect de votre part et de la mienne. La différence d'envisager les objets fait souvent que les uns ne regardent que comme justice ce que les autres ne prennent que pour excès de rigueur; peut-être y a-t-il même équité, même droiture, même zèle de part et d'autre, tandis que les sentiments ne varient que par les différentes faces que les mêmes objets présentent. Je sais que la présomption doit être en faveur de l'autorité; mais qui sait si cette autorité judicieuse et éclairée, satisfaite un jour des explications qu'elle a droit d'exiger, et des éclaircissements qui peuvent lui être donnés, ne se montrera pas plus indulgente et plus favorable à l'égard de la subordination bien intentionnée ?

« Abandonnons à la Providence les événements futurs ; et pour le présent adorons humblement ses volontés, et plions volontiers sous ses mains quand elles s'appesantissent: nous ne connaissons pas les ressorts secrets de cette Providence divine, qui rapporte tout à ses projets et à ses fins; elle permet dans cette vie des vicissitudes qui peuvent nous étonner et qui ne doivent pas nous abattre.

«Les révolutions qui se font dans les esprits sont plus frappantes, parcequ'elles sont plus rares que celles qui se font dans les cœurs, par la raison que les principes sont ordinairement plus stables et moins sujets à varier que les goûts et les passions; aussi les révolutions de l'esprit humain, et ses variations dans ses principes, sont-elles d'un plus grand éclat et d'une tout autre conséquence: n'en cherchons pas les causes et n'en prévoyons pas les effets. Il y a bien des mystères jusque dans la conduite morale et dans l'ordre politique, qui ne se développeront qu'avec tous les au

tres, lorsque nous nous instruirons à la source et que nous parviendrons au grand jour qui éclaircira tous les mystères : il en est un seul que je puis et dois même expliquer, c'est la perversité de doctrine que le cri public impute à tout un corps, sans la reprocher à aucun de ses membres existants. Comme par mon état je participe à l'imputation générale, je me crois obligé de lever le scandale particulier qui pourrait en résulter, en conséquence du saint ministère que j'ai exercé parmi vous.

<< Je vous suis redevable de mes sentiments et de ma foi, je vous en dois la profession sincère et solennelle. Si ma façon de penser ne vous a pas été suffisamment connue par toutes les vérités que je vous ai annoncées, je déclare hautement devant Dieu, qui scrute les cœurs, et dans cette chaire où ne doit se faire entendre que le langage de la vérité, que je n'ai et n'ai jamais eu sur le dogme et sur la morale d'autres sentiments que ceux de la sainte Église notre mère commune, laquelle je reconnais dans le corps des pasteurs unis à leur chef; que j'adhère d'esprit et de cœur à toutes ses décisions, à tous ses jugements; que je reçois tout ce qu'elle admet ; que je rejette tout ce qu'elle condamne : je ne tiens invariablement qu'à cette pierre ferme sur laquelle JésusChrist a fondé l'édifice inébranlable de sa religion; je prie le Seigneur de n'en être jamais détaché, et de ne voir jamais rompre parmi nous ces liens précieux d'unité qui sont essentiels à notre culte et à notre créance. Pourrons-nous oublier ce que nous apprend S. Bernard, que comme tous ceux qui n'entrèrent pas avec Noé dans l'arche périrent misérablement au temps du déluge, ainsi quiconque n'est pas dans la barque de Pierre, dont l'Église tient le gouvernail, fait un triste naufrage dans la foi?

« Voilà les vrais et solides principes que j'ai constamment reçus, et dont j'ai cherché à ne jamais m'écarter : j'avoue de plus que je n'en ai jamais connu d'autres parmi ceux auxquels je suis réuni par les mêmes engagements et par la même profession. Hélas, mes frères, nous ne dogmatisons pas en secret; vous nous avez entendus dès votre première jeunesse et dans un âge plus avancé, dans les temples et dans les écoles, dans les congrégations et dans les tribunaux de la pénitence. Si vous nous avez reconnus des ministres de l'erreur et du mensonge, comment l'avez-vous souffert, comment avez-vous gardé le silence? comment ne nous avez-vous pas démasqués, dénoncés, jeté la première pierre? Mais si en nous connaissant vous nous avez jugés dignes de votre estime et de votre confiance, pourquoi ceux qui ne nous con

naissent et ne nous pratiquent point nous supposent-ils des sentiments que nous n'avons pas ?

<< Des temps orageux et oubliés ont produit, il est vrai, des opinions justement proscrites. Mais est-ce au siècle présent à expier les erreurs des siècles passés ? Est-ce à ceux qui existent, et qui détestent ces erreurs, à porter la peine de ceux qui les ont soutenues et qui ne sont plus ? Des opinions surannées, empruntées, étrangères, plus anciennes que ceux à qui on les reproche, communes à d'autres auxquels on ne les reproche pas, devraient-elles donc être regardées comme la doctrine privilégiée, et le délit propre de ceux qui les désavouent, les rejettent et les combattent?

« Ce ne sont pas, dira-t-on, et m'a-t-on déjà dit, des excès et des erreurs personnelles qu'on vous reproche, c'est votre état. Ah! Messieurs, si mon état est un crime, j'avoue que j'en suis coupable, et je ne cherche point à m'en laver. Je l'ai embrassé par choix, j'y ai persévéré par réflexion et avec connaissance de cause, j'y tiens par estime plus que par habitude; mon unique regret est de ne lui avoir pas été plus fidèle, et de n'en avoir pas mieux su mettre à profit tant d'utiles secours, de sages leçons, de bons exemples, qui auraient dû me rendre meilleur et plus vertueux.

<«< Mais, je vous le demande, ai-je pu, ai-je dû me défier d'un institut approuvé par un concile universel, applaudi par tous les chefs de l'Église et par le corps des premiers pasteurs, depuis son établissement jusqu'à nos jours; d'un institut qui a fait des saints, et que je ne croyais propre qu'à faire des saints? Dieu, qui voyez le fond des cœurs, me rendrez-vous responsable de l'avoir embrassé et d'y avoir vécu ? Ne pourrais-je pas m'excuser par les paroles de Richard de Saint-Victor sur votre Église, et vous répondre que l'erreur, si c'en est une, rejaillit jusqu'à vous, en retombant sur ceux que vous nous avez donnés pour juges et pour guides dans la foi et dans les mœurs? Domine, si est error quem credimus, a te decepti sumus.

« Il est vrai que deux autorités bien respectables, dépositaires, l'une des dogmes, l'autre des lois, toutes deux très éclairées, et conduites par le zèle de l'utilité publique et du bien commun, ont prononcé différemment sur cet institut: la diversité de ces jugements surprend ou partage les sentiments de ceux qui n'y ont aucun intérêt et qui ne sont que simples spectateurs : quel parti doivent prendre les intéressés qui succombent? Se soumettre, souffrir et se taire. Peut-être feront-ils comprendre qu'en rece

vant humblement des fers, ils n'étaient guère capables d'en donner; qu'en se soumettant respectueusement à toute autorité, ils étaient bien éloignés de vouloir se rendre indépendants d'aucune; et qu'enfin il leur était utile et salutaire de s'exercer à la plus grande subordination, à la plus parfaite obéissance, à une obéissance aveugle où ne se trouve pas l'offense de Dieu. Ah! que ne puis-je me faire entendre à tous les juges qui doivent décider de mon sort! que le fond de mon âme et de mon cœur ne puisse-t-il leur être entièrement dévoilé ! j'ose me flatter qu'ils rendraient du moins justice à ma candeur, à ma droiture, à mes bonnes intentions, à ma soumission, à mon respect, et qu'ils reconnaîtraient qu'en ne cherchant que le vrai bien, je suis plus à plaindre qu'à blâmer, si je ne l'ai pas rencontré.

<< Voilà, Messieurs, mes vrais sentiments, que j'ai cru devoir vous manifester; non pour attirer votre compassion, ni pour vous intéresser à une cause que ni vous ni moi ne rétablirons pas; beaucoup moins pour vous porter à des réflexions ou à des plaintes que je me défends sévèrement à moi-même, mais dans la seule vue de ne pas vous rendre inutiles les effets de mon ministère, si le Seigneur a daigné le bénir, et le rendre propre à votre sanctification.

<< En vous quittant, je ne vous dissimulerai pas que j'ai demeuré parmi vous avec consolation et avec amertume: avec consolation; j'y ai admiré des vertus vraies et solides, une piété édifiante et exemplaire, une foi vive et soutenue par les œuvres ; j'y ai connu des cœurs droits, sincères, généreux, prévenants, dont le souvenir ne s'effacera jamais de mon cœur, et que je ne pourrai reconnaître que devant Dieu. Pour ce qui est du sujet de mon amertume, il vous est assez connu pour que je sois dispensé d'en rien dire ; mais je puis vous garantir que je n'ai que de la reconnaissance pour ceux qui veulent bien y prendre part en s'attristant, sans avoir ni aigreur, ni ressentiment contre ceux qui peuvent y applaudir et s'en réjouir. Je ne puis pas dire, comme S. Paul, qu'en exerçant au milieu de vous le saint ministère je n'ai été à charge à personne, et que le travail de mes mains m'ait fourni à tous les besoins de ma vie : Ad omnia quæ mihi opus erant ministraverunt manus ista. Peut-être, hélas! viendra le temps où il me sera permis de tenir un pareil langage, et de me faire un mérite de ce qui ne sera que nécessité; mais je puis vous certifier, comme cet Apôtre, que je ne vous ai point envié vos biens, vos fortunes, vos possessions, vos emplois, vos bénéfices,

vos dignités, nullius vestem concupivi. Je n'ai ambitionné que la conquête de vos cœurs pour le Seigneur; et il m'est témoin que je n'épargnerais pas seulement mes veilles et mes peines, mais jusqu'à la dernière goutte de mon sang, s'il le fallait, pour le salut de vos âmes: Ego autem libentissime impendar et superimpendar ipse pro animabus vestris. Je n'y contribuerai désormais que par mes désirs et par mes vœux; nos fonctions, devenues suspectes, vous deviennent inutiles, et se borneront bientôt à ne pouvoir vous témoigner notre zèle que par nos prières, nos gémissements et nos larmes au pied des autels.

« Nous cédons la place à regret, je l'avoue, et vous le comprendriez assez, quand je ne l'avouerais pas, mais par des motifs plus relevés et plus désintéressés que vous ne pouvez peut-être le supposer. Livrés presque dès l'enfance à une application continuelle et à des occupations laborieuses et pénibles, nos mains n'en sont pas plus remplies pour ce monde; Dieu veuille qu'elles ne soient pas vides pour l'autre, et que nous ne manquions pas la seule récompense que nous pourrions légitimement désirer et nous promettre, le ciel. D'autres vont remplir auprès de vous nos différents ministères ; ils le feront sans doute avec plus de talents et de succès; nous ne leur disputons que des vues plus droites et de meilleures intentions: puissent-ils faire oublier nos services, réparer nos fautes, surpasser toutes les espérances qu'on en conçoit! c'est le désir de nos cœurs, assez occupés d'autres sentiments pour que la jalousie n'y ait point d'accès. Personne n'est absolument nécessaire en ce monde ; quand on veut sincèrement le bien, qu'importe par qui il soit fait, pourvu qu'il se fasse ? Utinam omnes prophetent!

« La jeunesse que vous nous aviez confiée vient de passer en d'autres mains; nous ne nous proposions d'autres objets, dans son éducation, que de faire des chrétiens fidèles à Dieu, des citoyens utiles à l'état, de dignes suppôts et de consolants soutiens des familles : et si vos enfants n'oublient pas les dernières instructions qui leur ont été données sur leur devoir de religion, sur le respect et la fidélité qu'ils doivent au souverain, sur la tendresse, la reconnaissance et l'amour envers leurs parents; sur la subordination et la docilité envers leurs nouveaux maîtres; j'ose présumer qu'ils feront et notre apologie et votre consolation.

<< Fasse le ciel que notre chute et notre submersion soient le terme de tous les écueils et de tous les naufrages, et que, dévoués comme d'autres Jonas à la tempête, le calme succédant

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