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tement en notre langue ces relations calomnieuses; Le Paige, correspondant affidé du parlement de Rouen, lui prêtait dans ce travail un concours actif, tandis que Boucher, janséniste fougueux, faisait entrer ces matériaux dans l'indigeste rapsodie qu'il intitula Histoire des Jésuites.

L'heure de la justice sonna plus tard pour Pombal. Lorsque l'indolent Joseph eut terminé sa triste carrière, son sceptre tomba entre des mains plus capables et plus dignes de le porter. La justice et l'innocence purent enfin se faire entendre, et des cris d'indignation, s'élevant de tous les coins du royaume contre le ministre oppresseur, réclamèrent sur son administration tant vantée par des plumes vénales une enquête rigoureuse. Pombal fut jugé digne de mourir sur un gibet; la pitié royale se contenta cependant de le reléguer loin de la société dans une de ses terres, où il put entendre, le reste de ses jours, les malédictions de ses concitoyens. Sa mémoire resta jusqu'à sa mort livrée à l'horreur publique, et celle de ses victimes fut vengée de ses atroces imputations.

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L'affaire du P. La Valette fournit aux ennemis de la Société l'occasion de la perdre. Les congrégations, l'Institut de S. Ignace, la doctrine de son ordre sont dénoncés par l'abbé Chauveliu au parlement de Paris, qui condamne les Jésuites sur tous les points, malgré l'avis des évêques consultés par Louis XV et malgré le roi lui-même.

Tandis qu'en Portugal une furieuse tempête fondait sur la Compagnie de Jésus, en France les passions amoncelaient sur elle un orage qui devait bientôt éclater. Les partis ligués contre elle activaient leurs opérations; multipliaient leurs mesures, préparaient et calculaient la portée de leurs coups. Une cotisation volontaire fournissait abondamment à la calomnie les moyens de soudoyer des milliers d'agents, qui sillonnaient la France pour souffler partout la haine contre ces religieux, et les presses innombrables qui multipliaient à l'infini et ses mensonges et ses accusations.

Le président Rolland fit imprimer à Paris, en 1781, un mémoire où se lisaient les phrases suivantes : « L'affaire seule des Jésuites me coûtait de mon argent plus de soixante mille livres. Ils n'auraient pas été éteints si je n'avais consacré à cette œuvre mon temps, ma santé, mon argent. »

J. J. Rousseau prétend, dans sa lettre à M. de Beaumont, qu'il fut persécuté par ses confrères pour ne pas avoir pris parti contre les Jésuites. » On a sévi contre moi, dit-il, pour avoir refusé d'embrasser le parti des jansénistes, et pour n'avoir point voulu prendre parti contre les Jésuites, que je n'aime pas, mais dont je n'ai point à me plaindre, et que je vois opprimer. »>

Diderot fut aussi sollicité de servir le complot. Au moment où tant d'écrivains moins délicats sur ce point acceptaient le salaire promis à leurs calomnies contre les Jésuites, ce philosophe reçut un billet anonyme conçu en ces termes : « Si M. Diderot veut se venger des Jésuites, on a de l'argent et des mémoires à son service. Il est honnête homme, on le sait; il n'a qu'à dire : on attend sa réponse. » Diderot fit la réponse suivante : « Je, saurai bien me tirer de ma querelle avec le P. Berthier sans le secours de personne. Je n'ai pas d'argent, mais je n'en ai que faire. »><

L'abbé de Fontenay, auteur présumé de l'ouvrage qui a pour titre Du rétablissement des Jésuites, ajoute l'anecdote suivante :

« J'ai entendu raconter, quelques années après que cette destruction fut opérée, par le P. de Montigny, homme recommandable par la simplicité de ses mœurs et par la candeur de son caractère, que dans un des premiers jours de janvier de l'année 1758, après qu'il eut dit la messe de grand matin, un jeune homme s'approcha de lui dans la sacristie, et lui dit tout bas qu'ayant une affaire de grande importance à lui communiquer, il le priait de lui désigner un endroit où il pût lui parler en particulier. Ce religieux le conduisit dans sa chambre. Là, après s'être assuré qu'il ne pouvait être entendu de

personne, le jeune homme lui dit, avec cet embarras qu'on éprouve auprès d'un inconnu, quand on a un grand secret à lui découvrir, que, se trouvant sans ressources à Paris, il s'était vu dans la nécessité d'accepter un travail qu'on lui avait proposé, qui lui rapportait une centaine de livres par mois, et qui consistait à faire, avec d'autres collaborateurs, des extraits de l'Institut des Jésuites. Ils se rassemblaient dans le couvent des BlancsManteaux, Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, jansénistes effrénés, qui leur traçaient la marche qu'ils devaient suivre. Ce jeune homme ajouta qu'ayant étudié chez les Jésuites, et connaissant leurs bons principes dans tous les genres, il ne se livrait à ce travail qu'avec les plus vifs remords; que si lui, P. de Montigny, voulait lui donner cent louis d'or, une fois payés, il le cesserait entièrement, ou que, s'il le jugeait plus utile, il le continuerait pour l'instruire de tout ce qui se tramait contre la Société.

<< Ce Jésuite lui répondit qu'il ne lui était pas libre de disposer d'une somme aussi considérable, mais qu'il en parlerait à ses supérieurs, et que, s'il voulait revenir dans huit jours, il lui ferait part de la décision qui aurait été portée. La décision fut qu'on ne lui donnerait rien, parcequ'il paraissait que c'était un aventurier.....

« Au jour marqué, le jeune homme revint. Quand il apprit le refus qu'on lui faisait, il donna les marques de la plus vive douleur. Vous vous en repentirez, dit-il au P. de Montigny; mais ce sera trop tard. Les Jésuites eurent en effet bientôt lieu de s'en repentir. Le P. de Neuville, étant allé peu de temps après à Versailles, pour faire sa cour à M. le Dauphin, qui l'honorait de ses bontés, lui parla du sujet de la demande de ce jeune

homme et des moyens qu'il disait qu'on prenait pour travailler à leur perte. « Je le sais depuis quelques mois, lui répondit ce prince. Prenez vos mesures pour éviter le coup qu'on veut vous porter; mais je doute que vous puissiez en venir à bout. » (1)

Que pouvaient en effet les Jésuites contre tant de machinations? Ils n'avaient à y opposer que leur innocence et leurs services, et c'était précisément contre leurs vertus et leur zèle que le siècle conspirait.

Les principaux chefs de cette conjuration convoquaient à Paris de fréquentes assemblées, où ils combinaient leurs attaques, donnaient de l'ensemble aux opérations de toutes les haines qui les secondaient, et s'efforçaient de mettre à profit les effets qu'elles produisaient dans le public. (2)

De ces réunions se répandaient dans toute la France des avis et des mots d'ordre pour les affidés qu'elles avaient dans les provinces; et aussitôt des tracasseries presque simultanées venaient assaillir les Jésuites de Rouen, de Nantes, d'Amiens, d'Orléans, de Tours et de plusieurs autres villes du royaume. On organisait contre eux un système d'espionnage qui aurait infailliblement trouvé en faute des hommes moins innocents; on ne craignait pas de soudoyer de perfides séducteurs pour tendre des piéges à la conduite de ces religieux et les faire tomber dans des fautes qui pussent fournir

(4) Du Rétablissement des Jésuites et de l'éducation publique, p. 91 et suivantes.

(2) Outre la réunion des Blancs-Manteaux, qui était l'atelier principal des faussaires, d'autres se tenaient chez le président Gauthier de Bretigny; les opérations étaient dirigées par Clément, Clémencet, Lambert, Chauvelin, Bèse de Lys, Laurent et Laverdy.

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