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un plan d'attaque qu'elle approuva et auquel elle associa de Bernis. Celui-ci se défendit, après sa disgrâce, d'être entré dans le complot; mais son extrême complaisance pour la favorite, et sa conduite subséquente rendent ce témoignage fort suspect. L'abbé Georgel nous assure même qu'il a lu la preuve écrite de la connivence et de la complicité de Bernis. (1) Il est juste cependant d'ajouter que Bernis n'apporta point dans cette affaire une ardeur égale à la haine de sa protectrice et, plus tard, à celle du duc Choiseul. (2)

Tandis que les confidents de la marquise préparaient le succès de sa vengeance, elle prenait les moyens d'affermir sa puissance à la cour, et de l'appuyer au dehors sur de nombreux partisans. Décidée à rester auprès du roi, malgré la religion, elle se trouva l'ennemie personnelle de tous ceux qui, à la cour comme à la ville, dans le clergé comme dans toutes les classes de la société, représentaient ou défendaient les bons principes. Elle soutint par des actes d'un cynisme révoltant la position nouvelle que lui faisait son ambition.

Son principal soin fut d'enchaîner à sa volonté les désirs de Louis XV: incapable de plaire plus longtemps à un prince voluptueux dont elle ne pouvait plus satisfaire les passions, elle s'efforça de se rendre, par d'autres moyens, nécessaire à ses plaisirs. Elle lui donnait dans

(1) Georgel, Mémoires, t. 1, p. 71.

(2) Le secret de ce complot ne fut pas si bien gardé qu'il n'en transpirât quelque chose longtemps avant l'exécution. Le cardinal de Tavannes dit en mourant, à son secrétaire, qu'il ne regrettait pas la vie, puisqu'il n'aurait pas la douleur de voir éteindre le corps le plus respectable qui fût en France. (Collect. de documents pour servir à l'histoire des persécutions suscitées contre la Compagnie de Jésus, 1er cahier des Documents: Destruction des Jésuites.)

ses petits appartements des fêtes continuelles, des concerts, des représentations théâtrales, où la musique faisait entendre les airs les plus langoureux, où la peinture étalait sous mille formes diverses tout ce qui fixe les regards de la luxure, où la comédie mettait en scène d'infâmes amours. L'imagination enflammée, les passions irritées par tant d'objets séduisants, l'indolent monarque demandait de nouveaux plaisirs à celle qui savait lui en donner de si attrayants. La courtisane interrogeait son cœur, et elle en trouvait d'autres d'autant plus piquants qu'ils faisaient à la nature un outrage plus sanglant.

Pour ne point voir de rivale auprès de ce prince, elle faisait chercher dans les rangs de l'enfance, et plus d'une fois dans les bras de leurs mères, d'innocentes créatures qui, transportées au Parc-aux-Cerfs, alimentaient les passions du monarque lubrique. Celui-ci se croyait redevable d'un bienfait envers la favorite toutes les fois qu'elle lui sacrifiait une nouvelle victime; et perdant d'ailleurs au sein des voluptés jusqu'à la force d'oser un refus, il lui abandonnait à la fois son honneur, sa conscience et son royaume. « Plus de cent millions ne suffirent pas pour payer les effrayantes dépenses que coûtaient à l'état les débauches de son souverain. Des brochures du temps les font monter jusqu'à un milliard. » (1)

La Pompadour disposait donc de tout en France. «< Elle s'empara des affaires étrangères, de celles de la guerre et de celles des autres ministres. Tous devinrent ses commis, ou bien elle eut le crédit de les chasser et

(1) Lacretelle, Hist. de France au dix-huitième siècle, t. 3, p. 170, en note.

de les perdre quand ils voulurent régner par eux

mêmes.» (1)

Maîtresse de toutes les places, elle les distribuait à ses favoris, et en écartaient ceux qui lui témoignaient de l'aversion: elle mettait à la tête de nos armées des généraux sans caractère, sans expérience, sans vertu, indignes de marcher à la tête de nos braves guerriers; tandis que des capitaines capables de ramener la victoire sous les drapeaux français étaient rejetés à l'écart : la patrie éplorée réclamait vainement leur courage, leur expérience et leurs services; la favorite aimait mieux les généraux qui la flattaient, en perdant la patrie, que ceux qui auraient sauvé la France.

Un des plus déplorables résultats de l'autorité souveraine de cette femme fut l'alliance de l'Autriche avec la France, et cette guerre à jamais funeste où la fille de Poisson sacrifia au profit de sa nouvelle alliée les trésors de la France, la gloire de ses armes et des troupes nombreuses qui, mieux commandées, l'auraient dignement

soutenue.

Quelle cause si grave avait donc pu entraîner cette femme dans cette funeste démarche ? Le roi de Prusse l'avait raillée; l'impératrice l'avait flattée. Voilà le motif d'une guerre qui a coûté à la France son honneur et le sang de ses enfants. Quoique la guerre de sept ans retentisse si douloureusement au cœur d'un Français, il fallait la rappeler ici afin de montrer de quoi était capable la marquise de Pompadour pour satisfaire son ambition et assouvir sa vengeance.

Cette guerre odieuse, qui aurait dû lui aliéner tous les

(1) Mémoires du duc de Richelieu, t. 9, p. 85.

cœurs, rapprocha d'elle les chefs du parti philosophique, dont elle recherchait l'appui.

Voltaire, relégué alors sur les frontières de la Suisse, connaissait le caractère de la Pompadour, et ses dispositions différentes à l'égard de Frédéric et de Marie-Thérèse. Il sut les mettre à profit. Il lui faisait rapporter de la part de l'impératrice des propos menteurs, mais très flatteurs pour elle, et s'efforçait de lui faire oublier qu'il avait été l'ami de Frédéric. Tantôt il racontait à Richelieu, avec prière de le faire savoir à Louis XV et à la marquise, que le roi de Prusse lui avait proposé d'aller le voir, mais que lui, Voltaire, avait refusé d'accepter les offres d'un prince ennemi de la cour de France. «Le roi, ajoutait-il, ne s'en soucie guère, mais je voudrais qu'il pût en être informé (1). » D'autres fois il se faisait adresser par quelque princesse anonyme d'Allemagne des lettres remplies d'outrages contre Frédéric et de flatteries pour la favorite, puis il écrivait au maréchal de Richelieu: « Je sais que l'impératrice a parlé, il y a un mois, avec beaucoup d'éloge de madame de Pompadour. Elle ne serait peut-être pas fâchée d'en être instruite par vous; et comme vous aimez à dire des choses agréables, vous ne manquerez peut-être pas cette occasion.

« Si j'osais un moment parler de moi, je vous dirais que je n'ai jamais conçu comment on avait de l'humeur contre moi, de mes coquetteries avec le roi de Prusse. Si on savait qu'il m'a baisé un jour la main, toute maigre qu'elle est, pour me faire rester chez lui, on me pardonnerait de m'être laissé faire; et si l'on savait que cette

(1) Corresp. génér,,1756 6 octobre. Lettre au maréchal de Richelieu.

année on m'a offert carte blanche, on avouerait que je suis un philosophe guéri de ma passion.

« J'ai, je vous l'avoue, la petite vanité de désirer que deux personnes le sachent (Louis XV et la marquise de Pompadour); et ce n'est pas une vanité, mais une délicatesse de mon cœur, de désirer que ces deux personnes le sachent par vous. Qui connaît mieux que vous le temps et la manière de placer les choses ? » (1)

Louis XV ne donna jamais son estime à Voltaire; mais la marquise de Pompadour ne lui refusa point la sienne. Elle avait besoin de son influence: elle n'épargna rien pour l'augmenter et la faire servir à ses projets. Il lui fallait encore un homme d'état qui pût les exécuter : elle le trouva dans le duc de Choiseul.

CHAPITRE QUATRIÈME.

Le duc de Choiseul arrive aux affaires. De concert avec la marquise de Pompadour, il trame la perte du Dauphin et poursuit celle de la Compagnie de Jésus.

Le comte de Stainville, depuis si fameux sous le titre de duc de Choiseul, était porté à la magnificence et dévoré d'ambition. Jeune encore, il s'occupa d'égaler sa fortune à ses désirs : il avait dans l'esprit des ressources propres à le conduire à ses fins. « De Choiseul, dit l'auteur des Mémoires de Besenval, était d'une taille médiocre. Quoiqu'il fût laid, sa figure avait quelque chose d'agréable. Il avait des façons nobles, pleines de grâce. Sa confiance

(1) Corresp. génér., 1756, 10 octobre, Lettre au maréchal de Richelieu.

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