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France par une prompte retraite de la cour et un éclatant retour au Seigneur. La favorite, décidée à communier publiquement, et nullement résignée au sacrifice néces-saire qu'on exigeait d'elle, entreprit de négocier avec le directeur de sa conscience un moyen d'accorder Dieu avec le monde. Mais le directeur ne connaissait que la règle de ses devoirs, et il n'en dévia point. Ne pouvant vaincre par la persuasion l'opiniâtreté de cette femme, le P. de Sacy lui déclara nettement qu'elle devait ou sortir de la cour, ou renoncer aux saints mystères. « Votre séjour ici, lui dit-il, votre divorce, les bruits du public relatifs à la faveur que le roi vous accorde, ne vous permettent pas d'approcher de la sainte table, ni de prétendre à l'absolution: le prêtre qui vous la donnerait, au lieu de vous absoudre, prononcerait une double condamnation, la vôtre et la sienne, tandis que le public, accoutumé à juger la conduite des grands, la confirmerait sans appel. Vous désirez, madame, vous me l'avez témoigné, de remplir les devoirs d'une bonne chrétienne; mais l'exemple en est le premier; et pour obtenir une absolution et la mériter, la démarche préalable consiste à vous réunir à M. d'Etioles, ou du moins à quitter la cour et à édifier votre prochain, puisqu'il se déclare scandalisé de votre séparation d'avec votre mari.» (1)

(1) Mémoires historiques et anecdotes de la cour de France pendant la faveur de la marquise de Pompadour (ouvrage conservé dans les portefeuilles de la maréchale d'Estrées), t. 1, c. 5, p. 105-110.

Ces mémoires sont ce que Soulavie a publié de plus exact. Ils s'éloignent même si souvent de l'esprit et du style du compilateur qu'ils semblent tirés de la source indiquée dans le frontispice. Soulavie, d'ailleurs, avait vu et connu la marquise de Pompadour, et il écrivait en connaissance de cause.

Ces conditions étaient nécessaires; mais la marquise de Pompadour n'en voulait point. La vertu désespérante du P. de Sacy la jette dans une fureur qu'elle témoigne d'abord en silence par des regards affreux, puis par ce torrent d'injures et de menaces : « Vous êtes, mon père, un ignorant, un fourbe, un vrai Jésuite, m'entendez-vous bien? Vous avez joui de l'embarras et du besoin où vous avez imaginé que je me trouvais. Vous voudriez bien, je le sais, me voir loin du roi; mais je suis ici aussi puissante que vous m'y croyez chancelante et faible; et malgré tous les Jésuites du monde, je resterai à la cour. » (1) Hélas! elle y restait malgré Dieu, à qui son ministre fidèle ne faisait qu'obéir. Le P. de Sacy se retira avec la double gloire d'avoir rempli un devoir sacré et mérité les injures d'une prostituée qui faisait la honte de la France. (2)

La marquise de Pompadour resta donc à la cour de Louis XV. Deux projets occupèrent le reste de sa vie le premier fut de se maintenir auprès du roi; le second, de faire tomber la vengeance qu'elle respirait sur une Compagnie qui, par l'organe d'un de ses membres, lui avait fait entendre la voix de la religion. Elle se chargea d'exécuter seule celui-là; mais pour achever

(1) Mém. historiques et anecdotes de la cour de France, etc., p. 107. (2) La marquise de Pompadour a laissé de cette affaire une relation détaillée dans des instructions données à l'agent secret qu'elle envoya Rome pour y négocier sa réconciliation avec l'Eglise ; malgré toutes les précautions qu'elle prend, et les inexactitudes qu'elle commet pour se justifier aux dépens du P. de Sacy et des Jésuites, elle ne peut ni cacher ses torts, ni les rejeter sur ceux qu'elle voudrait rendre coupables. Nous insérons, parmi les pièces justificatives, cette relation que M. le comte Alexis de Saint-Priest a reproduite dans son Hist. de la chute des Jésuites, p. 38 et suiv. Voir aux Pièces justificatives, No I.

celui-ci, elle appela au secours de sa haine les passions de ceux qui la partageaient.

Berrier, préfet de police, en fut le principal instrument: la marquise, qu'il avait déjà si bien servie par ses délations, l'enchaîna à sa cause par de nouvelles faveurs. Berrier fut par elle élevé au ministère de la guerre; mais plus capable de conduire une intrigue que de veiller à la gloire de nos armes, il se voua tout entier aux projets de vengeance de sa patronne. Avec le consentement de celleci, il initia à son secret les trois membres du parlement de Paris les plus capables de le seconder; c'étaient l'abbé de Chauvelin, l'abbé Terray et Laverdy.

Un auteur du temps a tracé en ces mots le portrait du premier: « Cet individu, que sa conformité monstrueuse vouait à des souffrances habituelles, en avait les humeurs aigries à tel point qu'elles étaient dégénérées en un fiel toujours prêt à s'épancher. Il en avait acquis un caractère ardent, satirique. Impropre à tous les plaisirs, il avait un désir extrême de la célébrité, et cette passion impérieuse lui tenait lieu des autres jouissances. Tourmenté du besoin de dominer, il s'était mis à la tête du parti janséniste, quoiqu'il s'en moquât intérieurement. En cette qualité, il avait été distingué lors de l'exil du parlement en 1754; il se souvenait du Mont-Saint-Michel, et ce souvenir le soutint dans un travail immense, sous lequel on aurait cru que son frêle physique aurait dû succomber.» (1)

(1) Siècle de Louis XV, par Arnoux-Laffrey, édité par Maton de Varenne, t. 2, p. 324.

Le poète Roy a fait de lui un portrait encore moins favorable:

« Quelle est cette grotesque ébauche?

<< Est-ce un homme? est-ce un sapajou?

Hors du parlement, l'abbé de Chauvelin se trouvait partout où la faction janséniste faisait du bruit dans Paris, ou bien dans les intrigues de ce que Voltaire appelait le tripot. Ami intime de Voltaire, il partageait avec d'Argental et l'actrice Clairon le soin de faire jouer ses pièces et de cabaler pour leur succès. « Où est l'intrépide abbé de Chauvelin, s'écriait Voltaire quand il éprouvait quelque obstacle: Tu dors, Brutus! (1)

La vie dissipée qu'il menait lui avait fait contracter des dettes considérables qu'il n'acquitta pas.

Les auteurs contemporains s'accordent à dire que l'abbé de Chauvelin, dans un état de fureur permanente, semblait vouloir se venger sur tout le monde des disgrâces de la nature. Mais ces défauts ont fait moins de tort à sa réputation que ses liaisons avec des coteries au service desquelles il mit son caractère acariâtre et ses passions violentes. Egalement dévoué aux jansénistes

« Cela parle... une raison gauche
« Sert de ressort à ce bijou.
« Voulant jouer un personnage,
« Aux sots il prête un fol appui.

« Dans les ridicules d'autrui

« Il caresse sa propre image,

« Et s'extasie à tout ouvrage

<< Hors de nature comme lui.» (1)

L'abbé de Chauvelin, ayant un jour rencontré l'auteur de cette épigramme, le menaça de le frapper de sa canne qu'il agitait avec violence. Alors le poète Roy, qui était à côté de lui une espèce de géant, se redressa sur ses pieds: « Eh! M. l'abbé, lui dit-il, vous voulez donc me casser les chevilles?» (Palissot, Mémoires sur la littérat., art. Fréron.) Collé ajoute qu'on ne donnait à l'abbé de Chauvelin que trois pieds de haut. (2)

(1) Lettre à d'Argental, 1752, 11 mars.

(1 Dans le journal historique de Collė, t. 1, p. 438. — (2) Ibid.

et aux philosophes, il était l'interprète des uns et des autres au parlement de Paris, où il avait une charge de conseiller-clerc. C'était lui qui signalait à ce corps les refus de sacrements; c'était lui qui dénonçait le vénérable de Beaumont, tous les évêques et les prêtres catholiques fidèles à leur mission; c'était lui qui dénonçait les mandements écrits contre les erreurs du jansénisme, ou en faveur des ecclésiastiques persécutés, ou sur les maux acutels de l'Eglise. Ce fut lui par conséquent qui, comme nous le dirons bientôt, alluma contre la Compagnie de Jésus les colères d'une certaine portion du parlement.

Si nous en croyons l'abbé Georgel, «Terray, en affichant le cynisme, s'était attiré une sorte de considération parceque, doué d'une grand facilité pour le travail et les détails de la procédure, il était devenu à la grandchambre le rapporteur de la cour: il étala, dans la suite, sans pudeur, ses maximes machiavéliques dans le ministère des finances, dont il fit un abîme sans fond, où l'esprit républicain puisa les événements de notre révolution. »> (1)

« Le sieur de Laverdy, selon le même écrivain, plus janséniste dans ses principes que dans sa conduite, avait acquis un grand ascendant sur la cohue des enquêtes. Sa haine contre les Jésuites lui valut le contrôle général, d'où il fut tiré après s'être enrichi; il traîna depuis lors dans l'oubli le reste de sa vie, qu'il termina sur l'échafaud, en 1793. » (2)

Ces trois personnages, admis avec Berrier, aux conseils de la marquise de Pompadour, formèrent, dit-on,

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