Page images
PDF
EPUB

De son côté, la dame d'Etioles observait avec soin et saisissait avec empressement les circonstances où elle espérait pouvoir attirer sur elle les regards du prince. Elle revêtait alors des habits d'un luxe royal, et mettait à relever sa beauté toutes les ressources d'une vanité et d'une imagination lascive. Puis elle se rendait dans une voiture légère et découverte, à la forêt de Sénart, on Louis avait coutume de faire des parties de chasse, et s'étudiait à le rencontrer et à le croiser le plus souvent qu'il lui était possible. La duchesse de Châteauronx s'en aperçut elle fit souffrir à cette femme importune des affronts qui humilièrent son orgueil sans rebuter son ambition. La persévérance de la dame d'Etioles, secondée par des courtisans et par le valet de chambre du roi, triompha des obstacles que lui opposaient à la fois la jalousie de ses rivales, le dédain des seigneurs et la religion du Dauphin et de Boyer. Elle enchaîna le cœur d'un prince sans énergie, et prit sur lui-même un ascendant qu'elle ne perdit plus.

Ce n'était pas la première fois que cette femme était infidèle à son époux; mais elle ne rompit avec lui que lorsque, sùre des faveurs royales, elle se servit de son nouveau pouvoir pour l'obliger à se prêter à tous les crimes de son épouse. D'abord exilé à Avignon, Le Normant d'Etioles fut ensuite rappelé à Paris où des pensions et des charges lucratives furent le prix de sa complaisance.

Les parents de la favorite ne tardèrent pas à partager sa fortune son frère utérin fut d'abord créé marquis de Vandière, que les seigneurs de la cour, par un jeu de mots dérisoire, appelaient marquis d'avant-hier. Cette plaisanterie valut au parvenu le marquisat de Marigny, dont il porta le titre.

Quant à la favorite, le roi semblait être disposé à ruiner l'Etat pour l'enrichir : il lui accorda le marquisat de Pompadour; acheta ou fit construire à grands frais des châteaux et des maisons de plaisance pour loger une prostituée. Il suffisait qu'une terre, qu'un point de vue parût lui plaire, pour que ce prince en expropriât en sa faveur les possesseurs légitimes. Aussi cette femme, sortie de la boue, se vit-elle en peu de temps à la tête de la plus brillante fortune du royaume. Outre les revenus immenses de ses biens-fonds, les grandes banques de l'Europe, dépositaires, de sa part, de sommes considérables, lui rétribuaient chaque année d'énormes intérêts.

La prospérité scandaleuse de la marquise humiliait la France, et affaiblissait dans tous les cœurs l'amour et le respect pour le monarque. Les seigneurs de la cour s'indignaient en présence d'une impudique qu'on élevait de si bas jusqu'à leur hauteur. Mais l'orgueilleuse parvenue ne supportait point patiemment leur dédain: l'exil et la prison la vengeaient ordinairement de quiconque ne la traitait pas en reine.

Le Dauphin, dont le caractère était aussi noble que sa naissance, gémissait de la honte de son père : il s'affligeait surtout de l'affront que cette ignoble conduite faisait à la reine, dont la vertu semblait briller d'un nouvel éclat à côté de la courtisane en faveur. Dans son indignation, il refusait toujours à celle-ci les égards qu'il accordait à la dernière femme du peuple. La marquise de Pompadour eut l'audace de s'en plaindre à son royal amant; et elle serait parvenue à mettre la discorde entre le père et le fils, si le Dauphin avait eu le cœur moins généreux, et s'il eût moins respecté un père, même un père dégradé.

Le dépit troublait le bonheur de la favorite, et l'état précaire de ses relations avec le roi ajoutait à sa colère l'horreur des plus funestes prévisions. Elle possédait, il est vrai, le cœur de Louis; mais ce prince, si mobile dans ses affections, pouvait enfin se dégoûter d'elle comme de bien d'autres, et l'abandonner au mépris et à l'indignation de tout le royaume. D'ailleurs le sentiment religieux que le roi n'avait point perdu pouvait exciter dans sa conscience des remords capables de le retirer de l'abîme où la séduction l'avait précipité.

Ces réflexions laissaient entrevoir à la marquise l'éventualité d'une séparation qu'elle redoutait. Elle résolut donc de mettre son avenir à l'abri de l'inconstance de la fortune, et de se créer à la cour une position stable. Dans ce dessein, elle recourut à des intrigues où elle déploya toutes les ressources d'une âme aussi basse qu'ambitieuse.

Au titre pompeux de marquise de Pompadour, elle voulut ajouter la qualité plus rassurante et plus honorable de dame du palais de la reine. Ce titre ne s'accordait ordinairement qu'aux dames qui relevaient l'éclat d'une naissance illustre, par la noblesse des sentiments et la dignité des habitudes. La nouvelle marquise n'offrait aucune de ces qualités ni dans sa naissance ni dans sa conduite; mais elle prétendit tenir des faveurs du roi un droit que tout lui refusait. Elle fit connaître ses prétentions à Louis XV, et ce prince, qui n'avait plus de force que pour obéir à cette créature, s'oublia au point d'exiger que la reine admît parmi ses dames d'honneur celle qui lui avait ravi la confiance et le cœur de son époux. Cette pieuse princesse rougit pour lui, et se tut sur l'inconvenance d'un pareil choix. Elle se contenta de faire obser

ver au roi, par l'entremise de la duchesse de Luynes, qu'elle désirait conserver dans sa maison la règle établie de temps immémorial, qui voulait que ses dames fréquentassent les sacrements, et que toutes accomplissent au moins le devoir pascal.... « La reine croit bien, ajouta la duchesse de Luynes, que madame de Pompadour les fait aussi; mais comme tout le public n'en est pas persuadé, il serait nécessaire, pour le maintien de la règle, que le public en fût édifié, après quoi la reine donnerait volontiers son consentement. » (1) La marquise de Pompadour ne pouvait être admise ni publiquement ni en secret à la table sainte, sans faire cesser le scandale de sa vie. La proposition de la reine la mettait donc dans l'alternative ou de renoncer à ses prétentions, ou de rapporter sa foi à l'époux qui l'avait reçue. Une âme généreuse aurait fait l'un et l'autre : il y avait encore un troisième parti à prendre, celui d'une communion sacrilége; et ce fut à cet expédient que s'arrêta la favorite. Elle employa dès lors à en assurer le succès ce raffinement et cet orgueil de l'impiété qui veut se satisfaire sans porter la honte de son crime. Elle feignit de vouloir se réunir à son époux, et lui écrivit une lettre pleine d'expressions de repentir et de respect; en même temps un de ses plus vils flatteurs décidait Le Normant d'Etioles, par les promesses, les récompenses et par d'autres manœuvres, à rejeter l'offre de son épouse. Cet homme, qui depuis son divorce vivait dans le concubinage, se rendit aux suggestions de l'entremetteur, et ne fit de difficultés qu'autant qu'il en fallait pour mieux jouer cette comédie, ou pour vendre plus chèrement son refus.

(1) Mémoires du duc de Richelieu, t. 9, p. 40.

.

Munie de sa lettre, dont elle avait eu soin de conserver la minute, et de la réponse de son mari, qui faisait semblant de la rejeter, la marquise de Pompadour se justifia auprès de la reine par le refus convenu de celui-ci. La reine fut quelques moments embarrassée par tant de fourberie, et la courtisane ne douta plus qu'elle n'eût levé le principal obstacle qui s'opposât à sa réconciliation avec l'Eglise.

Dans cette confiance, la marquise de Pompadour imagina de se donner un confesseur en titre, comme tous les membres de la famille royale, et en chercha un dont le nom et le caractère pussent attirer l'attention publique sur sa démarche. Le prince de Soubise, esclave trop complaisant de cette femme, se chargea du choix, et jeta les yeux sur le P. de Sacy, procureur des nombreuses missions que la Compagnie de Jésus entrenait dans les deux mondes.

Le P. de Sacy, d'une naissance distinguée, avait dans le caractère une douceur, une simplicité, dans ses manières une grâce, une dignité qui répandaient des charmes singuliers sur son commerce. Mais aussi zélé contre le péché que compatissant pour le pécheur, le P. de Sacy ne savait point composer avec ses devoirs, et jamais une complaisance mal entendue ne l'engagea à les trahir.

Le prince de Soubise et la marquise de Pompadour en firent bientôt l'expérience. Le P. de Sacy se résigna à une mission plus difficile que glorieuse, dans l'espoir, toujours bien doux pour un saint religieux, de mettre fin à un scandale qui outrageait Dieu et humiliait la patrie. Ses premiers soins tendirent à ramener cette courtisane à des sentiments de repentir, et à le prouver à toute la

[ocr errors]
« PreviousContinue »