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Des libelles sortis de l'école philosophique les soutinrent dans le public. Voltaire, comme on devait s'y attendre, éleva alors (1750) une voix qu'il appela la voix du sage et du peuple, mais qui n'était que la sienne. Le pamphlet anonyme qu'il publia sous ce titre est le développement du plan tracé par d'Argenson, poursuivi par ses successeurs, réalisé de point en point par la constituante et exécuté sous la convention.

Voltaire, moins cauteleux que les hommes d'État, y étale les maximes suivantes :

« Il ne doit pas y avoir deux puissances dans un État : tout doit être soumis à la puissance temporelle.

« Les ministres de la religion sont dans l'État comme des précepteurs dans la maison d'un père de famille ; le prince a sur ceux-là la même autorité qu'un père sur celui-ci. Par conséquent le prince peut à son gré modifier, changer, réformer, anéantir la discipline de l'Église; disposer comme de ses biens propres, et en faveur de qui il lui semblera bon, des bénéfices séculiers ou réguliers, des biens des couvents, des monastères, de toutes les communautés religieuses, attendu que ceux qui les possèdent ne sont bons qu'à prier Dieu, et qu'il peut et doit forcer ces derniers à labourer la terre, à renoncer aux engagements qu'ils ont contractés avec Dieu pour contracter les engagements du mariage,

« Le prince peut à plus forte raison, et d'un seul mot, empêcher qu'on ne fasse des vœux avant l'âge de vingtcinq ans. Il a encore le droit d'obliger les ministres de la religion à ne prêcher que la morale et à se taire sur des dogmes importants, puisque l'auteur les appelle absurdes.» (1)

(1) La Voix du Sage et du Peuple, passim.

Tel est en substance le libelle que publia Voltaire en faveur du projet dont nous venons de parler. Il ajoutait qu'on devait regarder comme un très grand bonheur que les philosophes imprimassent ces maximes dans la tête des hommes. Mais l'opinion publique n'en jugeait pas de même; et les ministres philosophes ne crurent pas encore devoir sortir des bornes de la réserve. Ce ne fut qu'au bout de quelques années que Choiseul, profitant des progrès de la philosophie et de toutes les haines accumulées sur la Compagnie de Jésus par les partis anticatholiques, commença par ce corps la ruine générale des ordres religieux.

Ainsi tous les partis coalisés contre la religion et la monarchie s'accordèrent à commencer leur œuvre de destruction par l'institut de S. Ignace, et à réunir contre lui tous leurs efforts et les immenses ressources dont ils disposaient.

Le jansénisme poursuivait dans cette société les défenseurs du Saint-Siége, les auxiliaires des prélats et des prêtres catholiques, les appuis des doctrines de l'Église.

Les parlements, entraînés et trompés par quelques factieux soutenaient contre elle la cause des jansénistes, qu'on leur avait représentée comme leur propre cause, et se vengeaient sur elle de la résistance légitime et consciencieuse que l'épiscopat français opposait à leurs funestes tendances.

Les philosophes, qui faisaient la guerre à tout ce qui avait un caractère de religion et de probité, attaquaient dans les Jésuites les propagateurs de l'une et de l'autre, et les adversaires redoutables de leurs doctrines subversives.

Les francs-maçons méditaient de renverser avec cette

société les principes d'ordre et de soumission qu'elle inculquait à la jeunesse et aux peuples.

Les spéculateurs politiques virent dans sa destruction le moyen de tarir les vocations qu'elle fournissait à l'état monastique et la facilité de procéder à la ruine des ordres dont ils convoitaient les possessions.

Assaillie par une ligue si puissante et si audacieuse, la Compagnie de Jésus devait enfin succomber. Et, afin que dans cette conjuration il n'y eût de noble que le sort des victimes, ce fut la marquise de Pompadour qui en assura le succès.

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CHAPITRE TROISIÈME.

La marquise de Pompadour, dont la faveur à la cour était un scandale public, jure la perte des Jésuites, qui avaient refusé de se prêter à ses projets sacriléges. Quelques magistrats sont associés à ses projets

La marquise de Pompadour exerça sur les affaires religieuses et politiques de son temps une influence incontestable maîtresse des affections et de la volonté d'un monarque indolent, elle se servit plus d'une fois de sa puissance pour sacrifier à ses caprices ou à ses colères la religion, les mœurs et la patrie. Il n'est pas, dans les annales de cette époque, une page qui ne soit souillée de son nom; pas un événement de quelque importance, pas une attaque contre la religion où elle ne se trouve mêlée, soit pour l'amener, soit pour y prendre part. Il est donc nécessaire de montrer ici par quels degrés elle arriva à la puissance souveraine que bientôt nous lui

verrons exercer.

Jeanne Poisson, depuis si fameuse sous le nom plus sonore de marquise de Pompadour, fut le fruit des débauches d'une femme qui ne connut jamais la fidélité conjugale. (1)

Le Normant de Tourneheim, qui croyait en être le père, se chargea de son éducation, et lui en fit donner une que sa complice ne désavoua point.

A peine âgée de seize ans, Jeanne Poisson était une coquette qui savait relever une beauté naturelle par l'éclat et l'ajustement d'une parure recherchée, qui avait les goûts des plaisirs et l'art de se les assurer par les appâts du luxe.

Peu de temps après, de Tourneheim la donna pour épouse à son neveu, Le Normant d'Étioles, malgré les répugnances du père de ce jeune homme, qui ne voulait pas admettre avec son sang un sang si impur.

La nouvelle dame d'Étioles justifia bientôt les répugnances de son beau-père: aussi étrangère à la foi conjugale que sa mère, elle dédaigna son époux, dont la bonhomie et les grandes richesses favorisaient également ses goûts pervers. Elle profita de l'une et des autres pour acquérir dans la capitale cette sorte de réputation que s'étaient faite plusieurs courtisanes. Sa maison devint le rendez-vous des beaux-esprits, parmi lesquels brillèrent Voltaire, Cahusac, Fontenelle, Montesquieu, etc. De Bernis, qui était venu à Paris à la recherche d'une

(1) Cette femme avait été mariée à un commis nommé Poisson et attaché à l'administration des vivres de l'armée. D'autres affirment que c'était un boucher. Celui-ci fut mis en jugement et condamné à être pendu ; il n'évita la sentence que par la fuite. Un nouveau jugement lui permit dans la suite de rentrer dans sa patrie; mais il fut toujours marqué de la tache que le premier lui avait imprimé.

fortune, se fit connaître dans cette réunion par des mots heureux, des réparties spirituelles et des couplets délicats; il inspira à son hôtesse une affection qui fut le principe de la fortune qu'il cherchait (1). La régularité de ses traits, la beauté de sa figure, l'élégance de ses manières lui firent donner le surnom de la belle Babet; et Voltaire, dans la familiarité de leur correspondance, lui rappelle souvent un sobriquet dont Bernis alors ne parut pas rougir.

Cependant la dame d'Etioles aspirait à une plus brillante conquête. Louis XV, indifférent aux efforts que faisaient de concert le Dauphin et Boyer, évêque de Mirepoix, pour éloigner de sa cour le scandale et la honte, avait déjà donné des marques déplorables de faiblesse ; et la faveur infâme dont jouissait alors auprès de ce prince la duchesse de Châteauroux avait excité la jalousie et l'ambition de la dame d'Etioles. Celle-ci rencontra dans le parti opposé au Dauphin, des flatteurs et des amis qui servirent à la cour ses projets amoureux. Ils cherchaient ou faisaient naître l'occasion de vanter au roi les qualités de cette femme, ses manières, sa noblesse et sa beauté, pour lui inspirer le désir de la voir. (2)

(1) Mémoires historiques et Anecdotes de la cour de France pendant la faveur de la marquise de Pompadour, t. 1, chap. 1, p. 1 et suiv. (2) Mémoires du duc de Richelieu, t. 8, p. 150 et 154, 2o édit. Nous n'attachons pas à cet ouvrage plus d'importance qu'il n'en mérite. Soulavie, qui en est l'éditeur, a eu à sa disposition des documents curieux, des pièces rares et authentiques; il ne les a pas toujours données dans leur intégrité; mais il est facile de le corriger par d'autres monuments contemporains, et de profiter ainsi des anecdotes et des révélations précieuses contenues dans les mémoires de ce compilateur, sans les confondre avec les mensonges qu'il y mêle. Voir, dans le Moniteur du 21 février 1794, une lettre où Soulavie prouve assez bien qu'il avait reçu du duc de Richelieu des pièces, des lettres originales et une foule de confidences verbales.

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