Page images
PDF
EPUB

tous les moyens du crime, il y réussit. Sans se mettre en peine de créer des torts aux Jésuites, qu'ils voulaient perdre, les sophistes n'eurent besoin que de ressusciter d'antiques calomnies. Sans leur opposer de nouveaux ennemis, il leur suffit de déchaîner et d'encourager ceux qu'ils avaient déjà, cette classe d'hommes pervers et passionnés, toujours prêts à combattre la vertu qui les condamne.» (1)

Une troisième secte à la fois politique et religieuse leur apportait du renfort. La franc-maçonnerie, fraîchement implantée d'Angleterre en France, y multipliait ses loges et combinait dans l'ombre les moyens de renverser la religion et la monarchie.

L'ascendant que les Jésuites exerçaient sur la société par leurs vertus, leurs emplois, leur ministère, par le, journal de Trévoux et leurs autres écrits, avait depuis longtemps désigné ces religieux à ses premiers coups. « Dans le sentiment de leur innocence, les enfants de Loyola étaient fort éloignés de soupçonner l'orage déjà formé et prêt à fondre sur eux, lorsqu'en 1752 un membre de leur société, le P. Raffay, professeur de philosophie à Ancone, fit part à ses supérieurs de la singularité suivante. Un seigneur anglais, franc-maçon des plus hauts grades, qui voyageait par l'Italie, ayant fait la connaissance de ce religieux sous le rapport d'homme de lettres, et paraissant l'avoir pris en particulière affection, lui dit en confidence que, jeune et libre encore, il ferait bien de songer à se procurer un état, parcequ'avant peu, et sûrement avant vingt ans, sa société serait détruite. Le

(1) Proyard, Louis XVI détrôné avant d'être Roi, 2o part., au com

mencement.

Jésuite, étonné de ce ton d'assurance, demanda au donneur d'avis en punition de quel crime son ordre aurait à subir un pareil sort. « Ce n'est pas, reprit le franc-ma« çon, que nous n'estimions bien des individus de votre « corps, mais l'esprit qui l'anime contrarie nos vues phi«lantropiques sur le genre humain. En assujettissant, au « nom de Dieu, tous les chrétiens à un pape, et tous les «< hommes à des rois, vous tenez l'univers à la chaîne. « Vous passerez les premiers; après vous les despotes « auront leur tour. » Quelque précise que fût cette déclaration, les Jésuites, à une époque où tout leur répondait également et de la confiance des princes catholiques et de l'estime des peuples, la regardèrent moins comme la manœuvre bien redoutable, que comme le vœu et la menace impuissante de leurs ennemis. Ce ne fut qu'après l'événement qu'ils réfléchirent sur l'importance de l'avis qu'ils avaient méprisé.» (1)

Enfin un cinquième parti, celui des spéculateurs politiques, animé du même esprit d'irreligion, méditait les moyens de détruire les ordres religieux, et pensait aussi à commencer son œuvre par la suppression de la Compagnie de Jésus. Ce parti avait déjà des antécédents dans les siècles passés; mais ce ne fut que vers l'an 1743 qu'il arrêta son plan de destruction.

A cette époque Voltaire, chargé par Amelot, ministre des affaires étrangères, d'une mission d'espionnage à la cour de Berlin, rendait compte en ces termes d'une par. tie de sa mission: «Dans le dernier entretien que j'eus avec Sa Majesté prussienne, je lui parlai d'un imprimé

(1) Proyard, Louis XVI détrôné avant d'être Roi, 2o part., vers le commencement. - Barrue!, Mémoires sur le Jacobinisme, t. 1, c. 5.

qui courut il y a six semaines en Hollande, dans lequel on propose des moyens de pacifier l'empire, en sécularisant des principautés ecclésiastiques en faveur de l'empereur et de la reine de Hongrie. Je lui dis que je voudrais de tout mon cœur le succès d'un tel projet; que c'était rendre à César ce qui appartient à César; que l'Église ne devait que prier Dieu pour les princes; que les Bénédictins n'avaient pas été institués pour être souverains, et que cette opinion, dans laquelle j'avais toujours été, m'avait fait beaucoup d'ennemis dans le clergé. Il m'avoua que c'était lui qui avait fait imprimer le projet. Il me fit entendre qu'il ne serait pas fâché d'être compris dans ces restitutions, que les prêtres doivent, dit-il, en conscience aux rois, et qu'il embellirait volontiers Berlin du bien de l'Église. Il est certain qu'il veut parvenir à ce but et ne procurer la paix que quand il verra de tels avantages. C'est à votre prudence à profiter de ce dessein, secret qu'il n'a confié qu'à moi (1). » Frédéric a-t-il réellement fait cette confidence à Voltaire ? La discrétion et la conduite subséquente de ce prince permettent d'en douter. Ou bien Voltaire a-t-il voulu, par cette voie détournée, faire parvenir au ministre un avis qu'il n'osait pas lui donner directement ? On peut le croire: ce moyen était familier à l'auteur, et il lui a souvent réussi. Quoi qu'il en soit, l'avis ne fut point perdu. Le marquis d'Argenson, un des premiers successeurs d'Amelot, et protecteur de Voltaire, entra dans les vues de ce philosophe pour dépouiller l'Église, et traça le plan à suivre pour la destruction des ordres religieux. (2)

<< La marche de ce plan devait être lente et successive,

(1) Lettre à Amelot, 1743, 8 octobre.

(2) Barruel, Mém, pour servir à l'histoire du Jacobinisme, t. 1, c. 5.

crainte d'effaroucher les esprits d'abord on ne devait détruire et séculariser que les ordres les moins nombreux. Peu à peu on devait rendre l'entrée en religion plus difficile, en ne permettant la profession qu'à un âge où l'on s'est ordinairement décidé pour un autre genre de vie. Les biens des couvents supprimés devaient être d'abord employés à des œuvres pies, ou même réunis aux évêchés; mais le temps devait aussi arriver où, tous les ordres religieux supprimés, on devait faire valoir les droits du roi comme un grand suzerain, et appliquer à son domaine tout ce qui leur avait appartenu, et même tout ce qu'en attendant on avait réuni aux évêchés. » (1) Plusieurs ministres se succédèrent aux affaires, avant que l'opinion publique fût assez pervertie pour permettre l'exécution de ce plan; mais le projet que le marquis d'Argenson forma en 1745 resta le projet et l'entreprise de tous. Quarante ans après, il était encore sur la cheminée du premier ministre Maurepas.

« Je le sais, dit Barruel, d'un généreux Bénédictin, nommé de Bévis, savant distingué que M. de Maurepas estimait, chérissait au point de vouloir l'engager à quitter son ordre, afin de lui procurer quelque bénéfice séculier. Le Bénédictin repoussait toutes ces offres. Pour le déterminer à les accepter, le ministre lui dit qu'également il faudrait tôt ou tard s'y résoudre; et pour l'en convaincre, il lui donna à lire le plan de M. d'Argenson, que l'on suivait depuis longtemps et qui devait bientôt se consommer. » (2)

Le contrôleur général Machault, créature de la marquise de Pompadour, mit le premier la main à l'œuvre.

(1) Barruel, Mém. pour servir à l'histoire du Jacobinisme, t. 1, c. 5. (2) Ibid.

Les dépenses de la dernière guerre et les profusions effrénées de la cour avaient rouvert l'abîme du déficit : afin de le combler, il se détermina à commencer l'exécution du projet traditionnel.

Un arrêt du conseil, rendu en 1749, défendit d'abord tout nouvel établissement de chapitre, collége, séminaire, maison religieuse ou hôpital, sans une permission expresse du roi et lettres-patentes enregistrées dans les cours du royaume; révoquait tous les établissements de ce genre faits sans cette condition préalable; interdisait à tous les gens de main-morte d'acquérir, recevoir ou posséder aucuns fonds, maison ou rente, sans une autorisation légale.

Cet édit jeta l'alarme dans le clergé, et ses craintes s'accrurent encore lorsque dans son assemblée générale de 1750, les commissaires du roi vinrent réclamer comme une contribution le don gratuit qu'on avait coutume d'y voter, démarche qui fut suivie d'une déclaration du monarque, par laquelle, de sa propre et pleine autorité, il levait plusieurs millions sur le clergé, et obligeait tous les bénéficiers à donner un état de leurs

revenus.

L'assemblée adressa au roi des remontrances dans lesquelles elle défendait avec autant de force que de respect les immunités de l'Église, et montrait le danger qu'il y avait pour l'État lui-même d'y porter la moindre atteinte. L'assemblée fut dissoute, mais ses remontrances suspendirent l'effet des prétentions élevées par les commissaires. (1)

(1) Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France. Assemblée de 1750. - · Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, pendant le dix-huitième siècle, ann. 1750.

[ocr errors]

« PreviousContinue »